Vécu et promesses de la laïcité en France dans le cadre de la loi de 1905

Texte de Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont et Vice-président de la conférence des évêque rédigé à l’occasion du colloque « Vécu et promesses de la laïcité dans le cadre de la Loi 1905 », organisé par la CRCF (Conférence des responsables de culte en France) le 17 octobre 2011 au Palais du Luxembourg, siège du Sénat à Paris.

Simon Hippolyte - Clermont

Commençons par un étonnement. En effet, le Préambule de la Constitution de la Ve République dispose que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

Or, chacun sait que trois départements de la Métropole ( pour ne pas parler de la Guyane ou de Saint Pierre et Miquelon) sont régis par le Concordat signé en 1801 par Napoléon Bonaparte et le Saint Siège. Il ne faut donc pas confondre complètement un cadre institutionnel particulier et la laïcité, puisque celle-ci peut être mise en œuvre au moins de deux manières différentes. Ce qui tend à montrer que la laïcité dite « à la Française » n’est elle-même que l’une des modalités possibles d’un principe plus général et qui est celui de la liberté religieuse.

Notons bien aussi que le titre « loi de séparation.. », pour simple qu’il paraisse, cache en réalité une grande complexité. En effet, pour se séparer, il faut être au moins deux, et ensuite, dès que l’on est séparé, on est « trois », car il faut penser la nature des relations qui subsistent, de facto, entre les deux entités désormais séparées.

Autrement dit, puisque la loi de 1905 sépare, il faut se demander

  • de quelle nature étaient les relations antérieures à cet acte de séparation ?
  • quelles sont les « réalités » maintenant séparées ?
  • Comment s’organise le ‘modus vivendi’ entre ces réalités désormais séparées ?
Avant 1904, date de l’abrogation unilatérale, par le Gouvernement français, du concordat de 1801, les relations entre l’Eglise catholique et la République étaient régies par un accord de droit international. Et l’Eglise catholique était reconnue comme un établissement de droit public.

Par décision de l’Etat, ce même statut d’établissement public avait été donné aux Communautés Protestantes et Israélites, respectivement en 1802 et en 1808.

A partir de mai 1904, on se trouve donc, de facto, dans une situation de vide juridique, mais les communautés jusque-là reconnues subsistent. Et c’est justement parce qu’elles étaient connues et identifiées que leur séparation d’avec l’Etat a été possible.

Dans son rapport parlementaire de Mars 1905, Aristide Briand propose une rupture complète avec toutes les politiques menées jusque-là en France, en matière religieuse. En effet, tous les Régimes successifs, au moins depuis Philippe le Bel, (14° siècle) avaient cherché à organiser le contrôle de l’Etat sur l’Eglise catholique, alors unique religion officiellement reconnue en France [1] . Pour cela, il fallait essayer de constituer une « Eglise de France » plus ou moins séparée de Rome. Cette politique avait culminé dans la « Constitution civile du Clergé », imposée par l’Assemblée Constituante, en 1790.
A. Briand propose de changer de perspective : non plus séparer l’Eglise de France de Rome, mais séparer l’Eglise de l’Etat. Ce point de vue ayant été adopté, on se trouve donc, en décembre 1905, en présence de trois cultes (Israélite, protestant et catholique) de facto séparés de l’Etat.

Pour l’avenir, la loi de 1905 prévoit de transformer les anciens établissements publics en associations cultuelles chargées de représenter les trois cultes qui cessent ainsi d’être juridiquement « reconnus », mais qui ne cessent pas pour autant d’exister et donc d’être « connus » des pouvoirs publics. L’article 4 de la loi de 1905 le stipule explicitement.[2]

Pour des raisons qu’il serait trop long d’expliciter ici, l’Eglise catholique attendra 1924 [3] avant de mettre en place les associations cultuelles, dites Associations diocésaines, qui constituent son organisation juridique vis-à-vis des pouvoirs publics [4] .
Depuis lors, plusieurs modifications de la loi, ainsi que la jurisprudence constante du Conseil d’Etat, ont permis aux catholiques de se situer paisiblement dans la société française comme des citoyens de plein droit. L’Eglise catholique a pu contribuer, notamment par les mouvements de jeunesse et les mouvements d’Action Catholique, à l’animation de la société française et à la formation de nombreux cadres de la Société civile et/ou de l’Etat.

En plus de la question des associations cultuelles, deux motifs de contentieux existaient en 1905 : la reconnaissance des Congrégations, en vertu du titre III de la loi de Juillet 1901, et le financement des écoles catholiques, ou « écoles libres ».
La suspension de l’article III de la loi sur les associations, le 2 Août 1914, a permis aux religieux exilés de revenir participer à l’effort de guerre et de rester en France par la suite. Depuis 1970, une application libérale de cette même loi a permis la reconnaissance légale de la plupart des congrégations religieuses catholiques, et aussi de communautés d’autres obédiences.

Pour les Ecoles, la loi Debré de 1959 a permis leur association par contrat au Service public de l’Education [5]. Enfin, depuis 2002, la mise en place de l’instance dite « de Matignon » permet des rencontres régulières entre les représentants de l’Eglise Catholique et le Gouvernement.
Aujourd’hui la présence des catholiques dans la vie publique, en France, se réalise de trois manières :

  •  Comme Eglise, ils sont représentés par les Associations cultuelles diocésaines, regroupant les paroisses et les séminaires.
  •  Ils sont présents dans la diversité de la Société Civile par de nombreuses congrégations et associations hospitalières, caritatives, scolaires ainsi que par de nombreux mouvements, aumôneries et services,… organisés en associations (loi de 1901). La « constellation » catholique s’exprime aussi à travers divers médias ( Journaux, Radios, Télévisions, sites Internet..)
  • Citoyens à part entière, ils participent à la vitalité du pays par des engagements de toutes sortes.
C’est pourquoi notre conférence a pu conclure ainsi notre propre relecture de la Loi de 1905 et de sa mise en œuvre pendant le siècle qui vient de s’écouler :
« 12. Tout cela considéré, pour ce qui nous concerne, nous ne pensons pas qu’il faille changer la loi de 1905. Certes, il n’est pas dans notre intention de l’idéaliser. Mais, alors que la loi n’utilise pas le mot « laïcité », on en est venu à la considérer comme l’expression d’un équilibre satisfaisant des relations entre l’Etat et les organisations religieuses ; elle a acquis par là une valeur symbolique certaine. En conséquence, il nous semble sage de ne pas toucher à cet équilibre par lequel a été rendu possible en notre pays l’apaisement d’aujourd’hui.[6] »

+ Hippolyte Simon

 


[1] Cf : http://www.assemblee-nationale.fr/histoire/eglise-etat/chronologie.asp[2] Il propose de transférer les biens dont l’inventaire sera fait aux « associations qui, en se conformant aux règles d’organisation générale du culte dont elles se proposent d’assurer l’exercice, se seront légalement formées, suivant les prescriptions de l’article 19, pour l’exercice de ce culte dans les anciennes circonscriptions desdits établissements. »

[3] En 1906, le pape Pie X et les évêques de France considèrent que les modalités d’organisation des Associations cultuelles, paroisse par paroisse, dénaturent la constitution juridique de l’Eglise catholique qui repose sur les diocèses, placés sous l’autorité d’un évêque. Ils refusent de mettre en place les associations cultuelles qui auraient été nécessaires pour recueillir les édifices et les autres biens dont disposait jusque-là le culte catholique.
Devant ce vide juridique, et par mesure d’apaisement suite à la crise provoquée par les Inventaires, les gouvernements successifs, en 1906, 1907 et 1908 font voter des lois qui confient la propriété de ces édifices et de ces biens aux communes (ou à l’Etat pour les cathédrales) tout en en laissant l’usage exclusif aux catholiques reconnus comme affectataires. Ainsi s’explique le fait – étonnant à bien des égards – que la loi dite de « séparation » ait abouti, de facto, à une situation de « cohabitation » puisque la plupart des églises, – celles qui existaient en 1905,- appartiennent aux communes et les cathédrales à l’Etat.
C’est seulement après la guerre de 1914-18 qu’un accord minimal, par échange de lettres entre le Ministre des Affaires étrangères et le Saint Siège, a permis de mettre en place des Associations diocésaines dont l’évêque est de droit président.

[4 ]Cf : Emile Poulat, Les Diocésaines, la documentation française, Paris 2007.

 

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