Le numérique : homme augmenté, homme diminué ?
Le 10 octobre 2023, ce questionnement a été abordé lors de la deuxième rencontre des « Mardis de l’OFC » organisée par l’Observatoire Foi et Culture (OFC) de la Conférence des évêques de France (CEF).
Le Père Grégoire Catta, s.j., directeur du Service national Famille et Société de la CEF, a introduit le sujet à partir du livre Pour un numérique au service du bien commun, publié en 2022 aux Editions Odile Jacob, fruit des travaux menés au sein de ce service dans un atelier sur l’éthique et le numérique. Comment analyser les effets produits par les innovations numériques, en rapport avec les questions sociétales, éthiques et anthropologiques ?
L’intitulé de la rencontre suggère de manière de manière volontairement contrastée deux regards opposés sur les effets du numérique et de l’intelligence artificielle :
« Homme augmenté » : cette expression ambigüe voudrait renvoyer, par un jeu de mots, aux bénéfices qu’un « bon » usage du numérique peut procurer aux êtres humains, au travail, à la vie en société, à la médecine, etc. A l’extrême, cette expression évoque aussi l’utopie d’un homme nouveau quasiment immortel, comme le propose et l’imagine le mouvement transhumaniste. La science-fiction devient en effet chaque jour davantage réalité, par exemple avec les implants cérébraux ou certaines prothèses.
« Homme diminué » renvoie au contraire aux dégâts qu’un usage irréfléchi du numérique et de l’intelligence artificielle peut produire sur les comportements, les relations humaines, la vie en société, la décision ou le rapport à la vérité.
Il convient donc de s’interroger, avec un regard optimiste et bienveillant, mais lucide, sur la frontière entre ces deux facettes de l’usage du numérique et de l’intelligence artificielle.
Comme l’ont rappelé les deux intervenants, le numérique transforme le monde, pas toujours pour le pire, mais pas toujours pour le meilleur. Nous avons donc des choix à faire, ce qui nous oblige à un certain discernement sur ce qui contribue au bien commun.
Comme le propose la conclusion du livre, ne soyons ni technolâtres, ni technophobes, mais engagés.
A son tour, Mark Hunyadi, professeur de philosophie sociale, morale et politique à l’Université catholique de Louvain (Belgique), auteur de plusieurs livres sur ce sujet (dont Le temps du post-humanisme, un diagnostic d’époque, Éditions Belles Lettres, 2018 et Au début est la confiance, Éditions Le Bord de l’eau, 2020), a poursuivi cette réflexion en présentant ses travaux sur l’emprise des nouvelles technologies sur le monde contemporain.
Marc Hunyadi propose une lecture et une analyse des évolutions de nos sociétés et des attentes des individus vis-à-vis du système numérique, qui assignent au numérique de satisfaire leurs besoins et ceux qu’il crée en nous. Nous ne sommes plus dans une relation naturelle au monde mais nous nous mettons en position de nous soumettre et d’obéir à la machine. Cela nous amène à nous laisser instrumentaliser par le système numérique.
Pour Marc Hunyadi, la technique numérique, par ses capacités de profilage individuel, cimente progressivement et davantage la société que le contrat social. Les individus sont scrutés en permanence par les plateformes qui leurs proposent des produits personnalisés et uniformisés. La société du contrat social s’érode. Les seuls droits individuels et le droit de la concurrence ne sont pas à la hauteur des problèmes posés par le numérique. Il faut au contraire protéger l’esprit humain. Nous avons besoin d’une réponse collective, d’actions d’éducation pour retrouver de la transcendance, et d’institutions capables d’aborder les questions éthiques.
C’est bien la question soulevée par le déploiement ultra-rapide de ChatGPT, pour lequel nous avons été mis devant le fait accompli … alors que dans le domaine médical beaucoup de tests, d’évaluations et de contrôles sont imposés dès lors qu’il s’agit de mettre un nouveau médicament sur le marché.
Bernard Jarry-lacombe