Intervention de Mgr Lalanne lors du congrès international de la presse catholique, octobre 2010

Intervention de mgr Stanislas Lalanne, évêque de Coutances et Avranches lors du congrès international de la presse catholique, au Conseil pontifical pour les communications sociales à Rome le 5 octobre 2010
 

Lalanne Stanislas - Coutances Avranches

Chers amis,

Une intervention est toujours un « service » pour une « conversation » :
– service du dialogue et de l’annonce de l’Évangile,
– conversation, pour contribuer à lancer vos échanges et vos futurs débats, en quelques points qui me paraissent essentiels.

Notre Église doit se faire « conversation », entre nous et avec le monde. « Service » pour une « conversation » : nous sommes donc déjà au cœur de la presse catholique !

Je résume en sept points ce que j’attends de la presse catholique.
 

1. J’attends qu’elle soit fortement signe d’espérance

Légitimée à porter le message de l’Évangile, la presse catholique doit parler de manière audible à tous ceux qui « n’ont pas baigné dans le chaudron » catholique depuis leur plus tendre enfance.

Elle se doit d’être présente sur les questions du sens, d’autant plus dans un contexte européen très sécularisé, où l’appartenance chrétienne ne va plus de soi.

Si je prends l’exemple de la presse locale chrétienne en France, celle-ci réfléchit sur ses fondements et ses enjeux. Ils sont doubles :
– échanger avec les personnes dans la fraternité,
– et transmettre le message de l’Evangile.

Je demande donc à la presse catholique de mettre en œuvre une double fidélité :
– fidélité au message reçu des apôtres,
– fidélité aux hommes et aux femmes de ce temps. Ce qui veut dire qu’elle doit s’exprimer dans la langue de ses lecteurs, dans leur « culture ». Elle doit s’exprimer dans la langue de l’autre…

Elle doit dire quelque chose de l’espérance chrétienne.

C’est elle qui montre au jour le jour, dans le courant « ordinaire » de l’actualité, ces petits germes de vie, d’énergie, de dynamisme cachés.

Qui d’autre que la presse catholique pourra mettre l’accent sur un certain type de questionnements, liés aux valeurs évangéliques ?

Cela la conduit souvent à mettre en relief ce que les autres médias montrent peu : la solidarité, l’éthique et la morale, les valeurs éducatives, ou même l’attention aux solitudes de notre temps.

Je pourrais l’appeler le caractère spécifique de la presse catholique, comme nous avons en France, dans notre pays laïc, une identité spécifique et originale de l’enseignement catholique, qu’on appelle le « caractère propre ».
 

2. J’attends de la presse catholique qu’elle soit pleinement libre

Nous sommes conscients, nous Européens, de notre chance de pouvoir bénéficier de la présence, dans le champ médiatique, de différents types de presse catholique.

Dans tous les cas, la presse catholique, et quelle que soit sa typologie, doit être une presse de liberté.

C’est une presse de liberté, qui développe à la fois le défi de la liberté intérieure de ses journalistes et celui de ses lecteurs.

Avec elle, le lecteur est doublement gagnant :
– gagnant en capacité de jugement, en exigence, en liberté par rapport à la pression de divers courants de pensée,
– mais aussi gagnant en liberté intérieure dans sa vie spirituelle cimentée par l’Évangile.
Je vais même plus loin : je pense profondément que c’est cette mission de liberté qui conduira cette presse catholique vers l’un de ses nouveaux défis, le défi de ses jeunes publics.

Avec leurs publics traditionnels, historiques en quelque sorte, les titres préparent l’avenir, et l’avenir, c’est aussi celui de leur lectorat.

Comment rejoindre les jeunes ? Les 25-40 ans ?

Une caractéristique de la modernité, c’est cette multiplicité de haut-parleurs : multiplicité des messages, multiplicité de la diffusion, mais absence de hiérarchisation de l’information.

J’attends donc de la presse catholique qu’elle relève ce challenge, ce défi, y compris dans la diversité de ses titres et de sa diffusion.

Une presse qui aide chacun à dire « je ».

C’est dans votre diversité même, par vos différences, en raison de ces richesses de points de vue et d’approche, que vous pourrez toucher, aller vers les lecteurs de demain !

Alors, n’hésitez surtout pas à montrer le cœur de votre message, le cœur de ce que vous êtes !
 

3. J’attends de la presse catholique qu’elle montre sa différence

En France, le quotidien « La Croix » constitue un bel exemple de presse catholique qui sait à la fois, rendre compte de l’actualité de l’Église et du monde, et oser la publication de voix diverses afin de contribuer à porter son point de vue sur les questions du sens.

Cette presse catholique est lue, attendue, écoutée : cela lui donne une responsabilité très grande.

« La Croix » est devenue, en France, un journal de référence pour bon nombre de chrétiens mais aussi de non chrétiens. Il constitue une référence essentielle, jour après jour pour le décryptage de l’actualité.

Il me semble que c’est bien ainsi que les valeurs de l’Évangile peuvent se faire entendre dans le vaste concert aux voix multiples et indifférenciées de nos pays européens.

Je salue cette forme de courage de la presse catholique qui a l’audace de nous les faire entendre et comprendre, à la fois par ses « grandes » plumes, mais aussi, plus modestement, par exemple, par le courrier de ses lecteurs.

Le Père Emile Gabel, l’un des pères fondateurs du groupe Bayard-Presse, rappelait aux journalistes : « Par-delà nos divergences, ayons le sens de l’Église. »

La presse catholique fera ainsi preuve à la fois de sa pleine liberté personnelle et de sa fidélité à une Église qui la dépasse.

Je le dis fortement : on ne peut pas être directeur de journal, rédacteur en chef, journaliste d’un journal catholique sans aimer profondément l’Église. C’est fondamental. Ce qui ne veut pas dire devenir « la voix de son maître » !

Deux mille titres en France en 2010, pour une diffusion annuelle cumulée de 150 millions d’exemplaires ! C’est énorme ! C’est donc bien que la voix « différente » garde toutes ses chances d’être largement entendue !
 

4. J’attends de la presse catholique qu’elle nous fasse penser

Voici le challenge commun à tous ses titres : celui de se situer à la croisée d’une double interprétation : celle de l’Évangile et de la Tradition, et celle de la vie des hommes et des femmes d’aujourd’hui.

Je ne suis jamais honteux de cette presse quand elle joue bien son rôle.

Ce que j’attends d’elle – et donc des équipes de rédaction -, c’est d’être professionnelle et compétente. Elle doit pouvoir décrypter l’actualité, à la fois l’actualité de l’Église et l’actualité de la société.

Son rôle de médiation, sa mission de décodage pour faire comprendre l’actualité religieuse, je les situe presque comme un rôle de « formation permanente » à l’actualité, peut-être même d’une catéchèse de l’actualité.

Oui, je l’aime, cette presse qui nous fait penser, en lisant et relisant.

Nous percevons bien cet enjeu de la durée : le temps de l’événement, le temps social, impose sa trace dans la durée.
Lire demande du temps, penser demande du temps, rédiger l’expression même d’une pensée requiert ce temps de la réflexion…

La presse catholique n’hésite pas à prendre ce temps et à l’offrir à son lecteur. C’est une de ses spécificités par rapport aux autres médias.

Voici donc ce que j’attends de la presse : qu’elle aide les personnes à former leur jugement, qu’elle redonne le sens de la durée, au nom même de l’Évangile.

Elle contribuera ainsi à l’éducation à la fidélité, dans une société occidentale de l’instantané, du « tout et tout-de-suite ».

C’est à la fois un signal fort dans l’actualité en train de se faire, et un signe pour l’histoire, inscrite dans la durée de la vie des hommes d’aujourd’hui.

Je lui demande donc de prendre de la distance, du recul, et de ne pas hésiter à proposer à ses lecteurs cette distance et ce recul, y compris quand cela est beaucoup moins « vendable », moins rentable économiquement parlant !
 

5. J’attends de la presse catholique qu’elle ouvre et construise le débat

La presse catholique doit, dans sa diversité, permettre l’échange, le débat. Ce rôle me semble essentiel, au sein de l’Église elle-même où cette dimension peut n’être pas toujours suffisamment honorée.

J’ai plaisir à vous citer un exemple très récent survenu en France : le magazine hebdomadaire « La Vie » a organisé, du 23 au 25 septembre dernier, dans la ville de Lille, les États généraux du christianisme.

2500 personnes réunies par un magazine catholique durant trois jours, ce n’est pas rien ! Quand je relis les questions soulevées, je salue l’adéquation entre les thèmes retenus et les questions de société en 2010. J’en cite quatre :
– « Divan ou confessionnal ? »
– « Faut-il défendre l’Église à tout prix ? »
– « Les chrétiens ont-ils un problème avec le sexe ? »
– « Notre époque a-t-elle besoin de Dieu ? »
C’est cette presse catholique-là que j’attends, dans toutes ses composantes : nationale, régionale, locale et paroissiale. Chaque titre a sa place.

La presse catholique doit être attentive à l’opinion publique, à ses principales évolutions, à ses symptômes, mais sans en être seulement le miroir…

Pour l’Église, pour ses responsables, pour les communautés, cela s’avère essentiel : l’annonce de l’Évangile, le regard chrétien sur le monde, l’inculturation, ne peuvent prendre racine qu’en « connaissance de cause », qu’à la condition de bien connaître les publics et ce que pensent les citoyens.

Mais j’attends aussi d’elle cette fonction d’identification à une communauté de croyants, fidèlement catholique. Sinon, comment pourrait-elle porter ce beau nom ?
 

6. J’attends de la presse catholique qu’elle soit catholique à 100 %

Qu’est-ce qu’être catholique pour un journal ?

J’entends catholique une presse qui vit du sens profond du mot catholique de deux manières :
– d’une part, catholique au sens de fidèle à la foi catholique reçue des apôtres,
– d’autre part, universelle, c’est-à-dire s’adressant à tous et en s’ouvrant au monde, au-delà du cercle des catholiques.

Oui, bien sûr, la presse écrite contribue aussi à renforcer l’identité chrétienne, elle contribue à ce que des chrétiens de sensibilités différentes puissent s’écouter.

Même si les lecteurs ne sont pas d’accord avec ce qu’ils lisent dans leur journal, c’est positif.

Pourquoi ? Parce que s’ils sont d’accord, cela les conforte dans ce qu’ils pensent et cela renforce le sentiment d’appartenance à la communauté chrétienne.
Au contraire, s’ils sont en désaccord, c’est qu’il y a des débats au sein de la communauté chrétienne, c’est donc le signe d’une communauté vivante, d’une communauté en bonne santé !
 

7. J’attends de la presse catholique qu’elle saisisse la chance d’internet

C’est exact, internet pose problème à la presse écrite.

La question qui se pose à elle : internet va-t-il contribuer au déclin de la presse écrite ? Va-t-il décourager les lecteurs restés fidèles à la presse catholique et les envoyer vers les blogs et les réseaux sociaux ?

Eh bien, j’attends de la presse catholique qu’elle saisisse cette capacité de déploiement extraordinaire pour la diffusion de la pensée et de la culture chrétienne.

Le rôle de la presse est essentiel pour la culture : les habitants des pays occidentaux sont devenus en quelques décennies, des « analphabètes » religieux !

Avec la presse, ils peuvent retrouver un terreau culturel chrétien qu’ils ne trouvent plus dans leurs familles, à l’école, au sein de leur milieu social d’appartenance.

Je crois que tout ce que je viens d’évoquer précédemment, sur les fonctions, les rôles, les missions de la presse catholique, sont « valables » aussi pour l’internet comme évolution de l’écrit.

Alors, considérez vos atouts. L’atout de la presse écrite, c’est que son lecteur identifie parfaitement la source de l’information. C’est qu’il reconnaisse comme crédibles les pages qu’il découvre.

Les questions du sens et du repérage sont démultipliées avec internet.

Osez explorer les nouveaux médias !
 

En guise de conclusion

C’est ainsi, tout simplement, que je signe mon profond attachement d’évêque à la presse catholique. Elle est un élément incontournable de la vie et de la mission de l’Eglise.

Oui, sa place est essentielle à la fois, dans la société, dans le paysage médiatique, dans la vie de l’Église. Même si elle est de temps en temps son « poil à gratter » !

Si ses journalistes sont compétents, s’ils font bien leur travail, s’ils aiment l’Église, alors, la presse catholique continuera d’apporter sa pierre à la construction du monde en devenir aux couleurs de l’Évangile.

+ Stanislas LALANNE
Évêque de Coutances et Avranches