« Ma pratique de Twitter », par Mgr Hervé Giraud

« Pour comprendre les raisons de mon investissement sur Twitter il faut revenir un peu en arrière. J’avais pris l’habitude d’écrire de brèves homélies pour la page de mon diaire épiscopal sur le site du diocèse .
L’an passé, lors du week-end des Tisserands, à Paris, un « geek » m’a signalé que ces micromélies étaient des « tweets. » Il m’a donc vivement encouragé à les « tweeter».
Dès le lendemain, 23 janvier 2011, je me suis inscrit (@mgrgiraud) avec mon vrai nom et ma vraie identité (pas de #pseudonymat).
J’ai réfléchi trois jours et depuis le 27 janvier 2011, je n’ai cessé de poster ma micromélie quotidienne, devenue #twittomelie, sur Twitter, sans avoir où cela me conduirait vraiment. Aujourd’hui, je dénombre plus de 2200 suiveurs.Je voudrais expliquer ici quelle a été ma posture, ce qui est advenu au cours de ces 14 derniers mois, quelques réflexions qui en découlent et pourquoi l’Église gagne à utiliser les réseaux sociaux comme Twitter.

Table-ronde Tisserands 2012

Mgr Hervé Giraud, évêque de Soissons et Président du Conseil pour la communication, est intervenu à la rencontre des Tisserands, le 17 mars 2012. Lors d’une table-ronde animé par Natalia Trouiller, réunissant le blogueur Koztoujours, Pierre Durieux, directeur de la communication du diocèse de Lyon, Mgr Giraud a partagé le sens de sa présence sur le réseau social Twitter et expliqué pourquoi l’Eglise catholique gagne à utiliser les réseaux sociaux.

Une posture

Sans remonter à la structure de mon diaire, basé sur DeiVerbum, LumenGentium et GaudiumetSpes, j’ai essayé dès le début d’adopter une attitude cohérente : rester dans mon ministère de simple évêque tout en utilisant au mieux un réseau social comme Twitter.

J’insiste sur cette posture pour inviter chacun à bien préciser la sienne.

Comme ma première mission d’évêque est d’annoncer la Parole de Dieu et de la commenter, il m’a semblé important d’utiliser à cette fin le réseau social. La nouvelle évangélisation invitant les chrétiens à habiter ces nouveaux aréopages, je me devais, comme évêque, de montrer un exemple (principe d’exemplarité) en imaginant un sentier pour annoncer l’Évangile dans cet espace ultramoderne.

Je n’ai pas voulu tweeter seulement des versets bibliques. Je n’ai pas voulu non plus saturer le réseau de réactions plus ou moins en rapport avec l’actualité : une goutte d’évangile qui rafraîchit vaut mieux qu’une inondation biblique. Il m’a semblé plus juste de me tenir à l’aspect objectif du temps liturgique et de me mettre « sous la Parole » avec mon propre commentaire. Ainsi, ma propre parole ne tombe pas d’en haut, mais du cœur de la Parole. Ceci est important ecclésialement et ecclésiologiquement.

Ce fut un choix exigeant, demandant réellement beaucoup de temps (2 à 3 heures chaque dimanche après-midi ou une demi-heure chaque soir). Mais j’ai fait ce choix comme un choix pastoral : un choix personnel, œcuménique, missionnaire et exigeant.

Un choix personnel…

Comme évêque, je suis un auditeur de la Parole et comme « à l’intérieur de la Parole » (Benoît XVI). Tweeter chaque jour m’incite encore plus à me laisser porter à l’intérieur de la Parole pour devenir d’abord moi-même un familier de la Parole de Dieu. Le réseau social a comme accentué mon goût de partager la Parole.

Un choix œcuménique…

Ce choix de tweeter à partir de la Parole de Dieu est aussi un choix œcuménique. Je ne pars pas d’abord des dogmes ou du catéchisme de l’Église catholique, mais des Écritures.

Un choix missionnaire…

L’évêque doit être « le premier annonciateur de l’Évangile par la parole et par le témoignage de sa vie » (Pastoresgregis 26.). Mais annoncer c’est tenir compte de ceux à qui on s’adresse. D’où l’importance de penser chaque jour ma twittomélie à partir de la réception.

Twitter c’est un bel outil pour apprendre à s’adresser à des inconnus et dans un langage le plus simple et le plus universel qui soit… comme Jésus ! Il faut trouver la longueur d’onde de l’autre.

Pour ma part, j’écris toujours en pensant à la réception et aux autres (même si j’ignore qui sera le public touché) ; ce qui ne veut pas dire que je ne tweete qu’avec l’idée du « minimum recevable » ou du minimum évangélique. Il faut sortir de l’idée que le « moins disant kérygmatique » serait plus missionnaire. Dans mes twittomélies j’oscille entre des messages très catholiques et des messages plus philosophiques.
Je ne cible donc pas un public, mais essaie d’être accessible au plus grand nombre.

Un choix exigeant

Le plus gros défi fut d’arriver à rédiger une homélie en 140 signes (Parole de Dieu comprise !), travail de précision qui oblige à la clarté et donc à des choix. C’est à la fois une chance (ne pas se disperser, ne pas saturer de paroles et de commentaires savants) et une limite (brièveté de la réflexion). Ce format permet de toucher ceux qui lisent peu (non pas parce qu’ils sont surbookés, mais « sousbookés » !).

Tweeter m’oblige à m’arrêter sur un seul mot, une attitude, une vérité, à m’empêcher de vouloir tout dire. Comme l’affirme Benoît XVI, « dans la substance de brefs messages, souvent pas plus longs qu’un verset biblique, on peut exprimer des pensées profondes… ».

Ce genre minimaliste, proche de l’apophtegme ou de l’haïku, est complémentaire de l’homélie. D’une certaine manière, c’est une pro-homélie. Par sa brièveté, la micromélie est plus indicative que totalisante. Elle ne cherche pas à s’imposer en toute puissance sur un texte dont elle ne commentera qu’un très bref passage. Elle est ainsi incitation à faire soi-même ce travail pour un autre passage qui nous aura plus touchés.
Une exigence forte réside également dans l’aspect quotidien qui ne laisse pas beaucoup de possibilités d’échapper aux évangiles énigmatiques ou aux paroles dures.

Ce qui est advenu

Depuis le 27 janvier 2011, qu’est-il advenu ?

Tout d’abord, je me suis abonné à des twittos, des institutionnels comme des personnes ordinaires ou connues, de lignes politiques, sociales ou religieuses très variées. Twitter est un lieu où je reçois l’altérité des points de vue. Je ne veux pas vivre dans une bulle, une cathosphère (ni même une twittosphère !). En fait, j’ai essayé de bien choisir mes abonnements (il faut se limiter !) mais je me suis aussi laissé guider par une certaine contingence dans mes choix.

Par ailleurs, mes « suiveurs » ont commencé à augmenter lentement. Via les RT, le bouche à oreille a fonctionné. Puis j’ai tenté quelques livetweets, puis quelques citations (saint Augustin, saint Thomas, Benoît XVI…), puis quelques débats éristiques (comme le débat sur le Notre Père, « ne nous soumets pas à la tentation »). Tout ceci a éveillé l’attention de certains médias, comme cette journaliste du Parisien, puis Europe 1, puis l’AFP, puis Le Monde, puis le Corriere della Serra… Et cela a continué avec #dcdc sur Europe 1…

Ce que j’ai constaté également, c’est l’utilisation par les prêtres, dans et hors de mon diocèse, de ma twittomélie quotidienne. Bien plus, le hashtag #twittomelie a été récupéré et développé par des twittos notamment italiens (mais aussi belges, français, vénézueliens, honduriens…) qui se sont mis à commenter la Parole de Dieu sur Twitter.

Passant les Alpes, mes twittomélies ont trouvé un écho après du @cardRavasi qui avait perçu l’intérêt de la réciprocité (autre aspect important sur Twitter). Le compter parmi mes abonnés m’a évidemment conforté dans l’opportunité de mon action.

J’ai aussi joué sur l’humour, comme la photo d’un goupillon gelé qui me réservait, par un beau matin d’hiver, un accueil glacial dans une église du diocèse de Soissons.

 

Quelques réflexions

Twitter représente donc, pour ma part, un moyen d’information et de veille, un lieu de découvertes ou de débats et un chemin pour semer des paroles d’évangile. Une twittomélie peut aider à faire réfléchir et même à méditer.Ce qui me réjouit ce sont les retours (DM en général) : « merci pour ces petits mais néanmoins précieux pains quotidiens! » ; « Cela rafraîchit des textes parfois difficiles » ; « cela m’apaise le soir… » ; « Vraiment intéressantes et efficaces vos miettes d’Evangile! Une méditation distillée ». Quelqu’un me disait aussi avoir « la curiosité d’aller lire de plus près la Parole de Dieu ». Vous imaginez mon action de grâce.

Depuis quelques temps des non-croyants commencent à m’écrire : « Je ne partage pas vos convictions mais c’est joliment dit, le message est universel et a une portée en dehors du religieux » ; « Je me décris comme athée, pas agnostique… je me demande si ma non croyance est bien fondée.»

L’aspect missionnaire est aussi réel : « Grâce à vous @mgrgiraud et aux Inrocks @lesinrocks je vais pouvoir parler de l’Evangile avec des gens qui ne savent même pas ce que c’est ! »

En ce qui me concerne, sur Twitter (comme ailleurs !) il me semble important de donner de bonnes nouvelles par la Bonne Nouvelle (évangile). J’essaie d’être positif, de ne pas tomber dans la superficialité, l’approximation ni encore moins dans l’irrespect.

Le choix de mon vrai nom (et non d’un pseudo) permet de faire entendre une voix « autorisée », la « voix du directeur (de conscience) » comme me disait un twittos. Les tweeteurs catholiques créent une sorte de sensus numérique.

Les journalistes disent parfois « Mes tweets n’engagent que moi.» De mon côté, je dirais « mes twittomélies engagent plus que moi ». Ils engagent un peu l’Église, même si c’est d’une manière très légère (sauf en cas d’idée polémique).
La twittomelie ce n’est pas un « pipotron », générateur automatique de phrases savantes ! L’important est d’écrire non pas court mais bref et plutôt dense ou ciselé.

Comme vous le voyez, je veux exister sur Twitter, mais ce n’est pas pour moi, mais pour une cause, celle de la Parole de Dieu. Je ne vise pas l’auto-promotion mais à diriger vers l’essentiel (la Parole de Dieu…). Je n’ignore pas bien sûr que cela m’a peut-être propulsé… président du Conseil pour la communication !

Je veux soutenir une créativité sur ce réseau que l’ère numérique a rendu possible.
Ce faisant, je suis plus dans le réel que l’on ne croit. Twitter n’élimine certes pas toutes les distances mais casse une distance. Ma temporalité change avec l’utilisation de ce réseau (rapidité, réactivité, temps pris). Le réseau social n’est certes pas assez social (accessible). Mais on peut aller de l’URL vers l’IRL : le contact virtuel ne peut pas se substituer au contact humain direct, aux relations humaines directes fondamentales dans la transmission de la foi.

Ma twittomelie a donc fait son chemin. Elle devient attendue, désirée, « retweetée ». Que produit-elle : une nourriture spirituelle ? Une évangélisation ? Je ne sais pas…

Finalement, je ne suis ni « twittévêque », ni « geekévêque » ni aumônier ou animateur spirituel de la toile, mais un « suiveur» de la Parole et un « donneur » de la Parole.

Sur Twitter, je trouve ce que je ne cherche pas (#sérendipité). Je me laisse trouver par ceux qui ne me cherchaient pas. Je trouve surtout Celui qui nous cherche tous ! »

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