Eclairage de Mgr Perrier

En 1975, une loi française légalise l’avortement. Il a été rebaptisé en « interruption volontaire de grossesse », elle-même abrégée en IVG. Ainsi parle notre temps. A défaut de changer la vie, nous changeons les mots. Il n’y a plus d’aveugles, mais des «non-voyants». Les « personnes âgées » ont remplacé les vieux.

Trente ans après, on pourrait croire que la question est définitivement réglée et que la position catholique est à ranger dans le musée des antiquités. En réalité, la question reste ouverte. La loi n’était prévue que pour des cas de détresse. La mère devait être aidée à prendre sereinement sa décision. Même si elle se contredisait par la suite, la loi commençait par affirmer le respect de la vie humaine, dès son premier instant.

En trente ans, les dérives de la loi sont impressionnantes : remboursement par la Sécurité sociale, absence de soutien aux femmes renonçant à l’avortement, allongement du temps de grossesse pendant lequel l’avortement peut être pratiqué, suppression de l’autorisation parentale pour les mineures, etc. Les pressions se sont alourdies sur le corps médical, afin qu’il pratique les IVG. Face à cela, un certain nombre de gynécologues expriment leur malaise : ils n’étaient pas entrés dans cette spécialité pour donner la mort. Ils savent que bon nombre d’avortements sont de pure convenance, que d’autres rattrapent des « oublis de contraception », d’autres encore sont motivés par des raisons économiques dans lesquelles la médecine n’a rien à voir. Le dialogue entre les partisans et les adversaires du droit à l’avortement est très difficile.

Les partisans ne comprennent pas pourquoi chaque femme ne choisirait pas, de son seul point de vue, si elle désire mener à terme ou interrompre cette grossesse. Le vocabulaire lui-même est piégé : « grossesse » ne renvoie qu’à la femme. Dans cette manière de parler, l’enfant a déjà disparu. L’Église catholique, adversaire de ce qu’elle considère comme un faux droit, se place du côté de l’enfant. L’avortement voulu comme tel est un meurtre délibéré, quoi que pense la femme qui le demande. C’est pourquoi l’Église ne peut s’en tenir à une position d’indifférence : « Que chaque femme fasse comme elle l’entend ! » Si l’avortement est une action mauvaise en elle-même, qui blesse la femme et qui abaisse le niveau moral d’une société, nous ne pouvons pas ne pas le dire. Quitte à être incompris, accusés de manquer de respect envers la liberté des femmes alors que nous mettrions plutôt en cause la lâcheté des hommes. Les connaissances de l’Antiquité en matière de génétique étaient quasiment nulles.

Pourtant, l’Écriture voit dans cet inconnu, au sein de sa mère, une merveille de Dieu et la tradition chrétienne a toujours interdit l’avortement. L’enfant à naître bénéficie du commandement de Dieu : « Tu ne tueras pas ». Aujourd’hui, nous savons que, biologiquement, l’essentiel est présent, dès la conception. Nous devrions, bien plus que nos ancêtres, respecter l’embryon. Au lieu de cela, nous nous autorisons à le traiter comme une chose, à le manipuler, à l’exploiter, à le détruire. Dans la science-fiction, nous nous amusons à nous faire peur en imaginant que les ordinateurs que nous avons fabriqués avec génie puissent, un jour, prendre le pouvoir et nous asservir. En nous arrogeant le droit de dénier à une vie humaine embryonnaire la dignité humaine, nous risquons qu’un jour quelque autorité nous dénie, à nous aussi, la dignité humaine.

Entre l’embryon de quelques heures et l’enfant arrivé à terme, où placer le stade à partir duquel un petit d’homme devient luimême humain ? J’en reviens toujours au même étonnement : alors que nous étendons les applications du principe de précaution, comment se fait-il que l’humanité soit si peu prudente avec elle-même ? Qu’il y ait des cas extrêmes où la conscience médicale ne sait plus où est son devoir, c’est possible et ces quelques lignes ne peuvent que les évoquer. Mais l’hypocrisie serait de s’abriter derrière quelques situations-limites pour banaliser un comportement des actes de mort. Il fallait être net dans ce chapitre pour essayer d’éclairer les consciences. Mais si, par malheur, par désespoir, par manque de soutien, une femme ou un couple fait le choix de l’avortement, sa vie ne s’arrête pas là. Même après une erreur, Dieu nous ouvre un avenir. Les chrétiens doivent proposer une aide par leur présence et leur soutien, aussi bien avant qu’une décision fatale ne soit prise qu’après la naissance d’un enfant qu’un couple ou, plus souvent une femme seule, se croit incapable d’assumer. Des initiatives, des associations, des communautés d’accueil existent pour cela : elles sont trop peu connues.

Extrait de « simples questions sur la vie »