La réforme des retraites vue par la doctrine sociale de l’Église
Comment évaluer les enjeux dans les débats autour d’une réforme des retraites ? Quel jugement porter sur les propositions et contre-propositions ? La doctrine sociale de l’Église ne donne pas de réponse toute faite. Elle n’a pas vocation à offrir des solutions techniques. Mais si l’on chausse ses lunettes, elle peut donner quelques points d’attention utiles pour envisager les questions à la lumière de l’Évangile. Ces points sont regroupés autour de grands principes énoncés par le magistère, et font écho à un échange entre des chrétiens de différents mouvements et associations de l’Église (mouvements de dirigeants, d’ouvriers, de retraités, de cadres, de solidarité avec les plus précaires…). En effet, « toute la communauté ecclésiale concourt à constituer la doctrine sociale » (Compendium de la doctrine sociale, no. 79)
Bien commun
Le bien commun, c’est « le bien du ‘nous-tous’, constitué d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui forment une communauté sociale » (Benoit XVI, Caritas in veritate no.7).
« Si le travail est une obligation, c’est-à-dire un devoir, il est aussi en même temps une source de droits […] » Parmi ces droits, « le droit à la retraite et à l’assurance vieillesse » (Jean-Paul II, Laborem exercens, nos 16, 19)
Le sujet des retraites, un sujet majeur. Toute notre société est concernée. Le principe d’une retraite par répartition en France fait que tous sont concernés d’une manière ou d’une autre comme contributeurs ou récipiendaires. Il est problématique de s’en désintéresser comme, par exemple, il est problématique pour les citoyens de se désintéresser de la vie politique en n’allant pas voter. Chacun selon sa situation et son étape de vie doit se sentir concerné, mais il s’agit aussi d’envisager les questions autour des retraites en pensant aux autres, au-delà de l’impact qu’aura une réforme sur ma situation, dans la recherche du bien commun, du bien du « nous-tous ».
Solidarité
La solidarité « n’est pas un sentiment de compassion vague ou d’attendrissement superficiel pour les maux subis par tant de personnes proches ou lointaines. Au contraire, c’est la détermination ferme et persévérante de travailler pour le bien commun : c’est-à-dire pour le bien de tous et de chacun parce que, tous, nous sommes vraiment responsables de tous » (Jean-Paul II, Sollicitudo rei socialis, no. 38)
Le principe d’un système de retraite par répartition repose sur un mécanisme de solidarité entre les générations. Les actifs contribuent pour celles et ceux qui ne le sont plus. Un système par capitalisation met à mal ce principe de solidarité intergénérationnelle. Le projet de réforme actuel n’est pour l’instant pas de ce type, mais cela reste un point d’attention. Il y a déjà des systèmes de capitalisation en parallèle des régimes principaux. Va-t-on vers un encouragement à un double système ?
Mais la solidarité se joue aussi dans le fait d’assurer que même ceux qui ont moins contribué par leurs cotisations puissent toucher une retraite qui permette une vie digne. Cela nécessite d’autres mécanismes que le simple lien entre niveau de retraite et niveau de cotisation. Que se passe-t-il pour les personnes ayant cotisé à un faible niveau pour une carrière complète mais également celles qui ont eu des interruptions dans leur parcours. La question du niveau du minimum vieillesse (tout juste au seuil de pauvreté actuellement) est en jeu également.
Option préférentielle pour les pauvres
« De notre foi au Christ qui s’est fait pauvre, et toujours proche des pauvres et des exclus, découle la préoccupation pour le développement intégral des plus abandonnés de la société » (François, Evangelii gaudium, no. 186)
Comment les évolutions envisagées vont-elles affecter les plus précaires ? En quoi le système actuel montre-t-il des limites pour des personnes précaires ? Des catégories des personnes auxquelles penser : les agriculteurs et encore plus aujourd’hui les agricultrices (femmes d’agriculteurs dont l’activité professionnelle est restée « invisible »), les travailleurs indépendants (leur régime actuel leur assure de très faibles retraites), les personnes vivant des minima sociaux (le RSA par exemple, on ne cotise pas à la retraite quand on touche le RSA), les nouveaux « auto-entrepreneurs » liés à l’« ubérisation » (livreurs, chauffeurs…)… Ces diverses catégories (et d’autres encore) peuvent représenter des lieux tests importants pour juger de la justesse d’un système ou d’une réforme au regard du principe de l’option préférentielle pour les pauvres.
Justice, équité
La justice « consiste dans la constante et ferme volonté de donner à Dieu et au prochain ce qui leur est dû » (Catéchisme de l’Église Catholique, no. 1807).
La justice demande de rendre à chacun ce qui lui est dû. Dans un système rétributif comme l’est notre système de retraite, chacun reçoit pour sa retraite en fonction de ce qu’il a contribué pendant sa vie active (avec tout de même des mécanismes de redistribution : les écarts de niveau de retraites sont moins importants que les écarts de salaires). Un objectif de justice ne serait-il pas de tendre vers le principe de recevoir selon son besoin plutôt que selon sa contribution ?
Une règle uniforme concernant l’âge de départ à la retraite est égalitaire mais pas nécessairement équitable en raison des inégalités d’espérance de vie (et d’espérance de vie en bonne santé) sont fortes en France en fonction des professions.
En regardant la dimension de « contribution », il n’y a pas que l’aspect de contribution financière (cotisation) à prendre en compte. Comment est prise en compte la contribution des « proches aidants » de personnes malades, âgées, ou handicapées ? Comment prendre aussi conscience que les personnes retraitées continuent à contribuer à la société (engagements associatifs, soutien familial aux enfants et petits-enfants et aussi aux parents âgés) ce qui peut justifier, pour une part, de toucher une retraite indépendamment de ce qu’on a cotisé ?
Familles
« Le bien de la famille est déterminant pour l’avenir du monde » (François, Amoris laetitia, no. 31)
Quelle est la prise en compte des réalités familiales dans l’organisation du système des retraites ? Comme pour d’autres questions, la tendance actuelle est à l’individualisation des droits sociaux mais il y a aussi des mécanismes de prise en compte des situations familiales. Par exemple pour les retraites, existent des majorations et des compensations pour les femmes ayant des enfants. Des débats ont surgi dans les dernières semaines pour évaluer si le projet de réforme leur serait favorable ou non. Se pose aussi la question des pensions de réversion quand l’un des conjoints meurt. Prêter attention aux aspects « familiaux » d’une réforme des retraites est important.
Sur le long terme, la question des politiques familiales a aussi un impact sur les retraites car les enfants d’aujourd’hui sont ceux qui demain contribueront par leur travail aux retraites de leurs parents.
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