Hans Jonas, précurseur de sauvegarde

EC GirafeLe Père Jacques Turck présente le « principe responsabilité » développé par Hans Jonas, qui donne un fondement philosophique à une prise en considération de la nature. Cela débouche sur des obligations que nous devons réellement nous imposer pour le respect de la vie future et de l’être des choses.

Né en 1903 en Allemagne, élève de Husserl et Heideger, Hans Jonas, a été professeur de philosophie à Jérusalem, au Canada, à New-York et à Munich. Auteur d’une oeuvre importante, notamment d’un « commentaire de l’Evangile de saint Jean dans lequel il puise son premier thème de recherche : le phénomène gnostique » (Jean Greisch).

L’homme se croyant tout promis s’est cru tout permis

La critique facile du judéochristianisme

Depuis longtemps la critique des écologistes à l’égard du judéo-christianisme existe. Elle porte en elle le reproche d’un anthropocentrisme démesuré. L’homme serait le centre de la nature ; celle-ci n’aurait d’intérêt que pour lui.

L’époque moderne a vu l’homme défier la nature. Il s’est cru tout permis. Il s’est aventuré là où les risques étaient immenses en pensant qu’il allait pouvoir les dominer. Il s’est installé sur les pentes des volcans, il a construit des maisons sur le bord du littoral et par bien d’autres défis encore il a pensé être le maître du monde. Mais la nature n’a pas d’a pas d’obligation morale qui lui dicterait le respect de la vie de l’homme. Elle ne tient pas compte de lui et de ses rêves de conquête. Et l’homme demeure fragile face à ce qu’il n’a pas pris le temps de considérer avec intelligence. Lors de la grande tempête de 1998 une étude a montré que les animaux avaient su se mettre à l’abri. Pas les hommes. On a fait le même constat lors du tsunami en Indonésie.

Il s’est ainsi peu à peu construit un monde artificiel en pensant qu’un secours providentiel serait toujours là pour le tirer d’affaire. Hans Jonas dans son éthique pour la civilisation technologique, intitulée :

Le principe responsabilité en appelle justement à la responsabilité de l’homme. Il réfléchit sur le rapport entre technologies et éthique, sur la maîtrise par l’homme de sa propre puissance, sur les effets irréversibles que peuvent avoir les technologies sur la nature. Il conclut : aujourd’hui si l’homme ne domine pas sa domination il est capable de détruire l’humanité.

Hans Jonas refuse l’idée que l’homme par la technique saura toujours résoudre les problèmes qu’elle engendre. En fait l’homme croit contrôler la nature par le moyen d’une technique qu’il ne contrôle pas.

L’existence de la nature et de l’homme sont menacées à long terme par les interventions technologiques qui interviennent dans l’écosystème planétaire. Hans Jonas mettait particulièrement en garde contre le génie génétique et les expérimentations irréversibles.

Il y a donc de nouvelles obligations à imposer à l’homme dans son rapport à l’avenir. Ceci suppose une éthique moins anthropocentrique et qui laisse plus de droits à ce qui n’est pas l’homme.
L’idée de l’autolimitation de l’homme se justifie par la simple intelligence et le bon usage de la raison. Il n’est pas nécessaire pour Hans Jonas d’avoir recourt à des justifications religieuses. « Ce n’est pas parce qu’ils étaient chrétiens ou non chrétiens que des hommes ont inventé le tracteur, la pendule … ou la radiographie ».

Le concept de responsabilité est un impératif qui s’impose à tout homme. Il exige d’agir de manière à ce que l’action ne soit pas destructrice de possibilité future de vie, pour lui et pour le reste du monde des vivants.

Face à ce défi, le politique est porteur de responsabilité. Il lui revient de déterminer quelles obligations nous devons réellement nous imposer pour le respect de la vie future et de l’être des choses.

Pour y répondre face à l’avenir menacé l’auteur propose une éthique de l’urgence.

Il s’agit d’aller jusqu’aux racines des mentalités du corps social sinon nous ne pourrons pas prendre les mesures qui s’imposent.

De l’impossibilité de communiquer avec les autres espèces vivantes, vient l’idée qu’entre l’homme et le reste de la nature existe un fossé profond. On en tire argument de la supériorité absolue de l’homme. Même les matérialistes pensent que l’homme est au sommet de l’évolution.

La conception juive de la condition humaine est en opposition avec celle des autres religions (23). La fatalité est contestée.
Le judéo-christianisme ne croit pas en la force aveugle du destin (la moira).
Elle n’apparaît plus comme le sort auquel nul ne peut échapper (22).
Le récit de la chute est bien là, mais il fonde l’espérance (23).
L’histoire aboutira à la réconciliation entre la créature et le projet de Dieu (23).

Les Israélites ne voyaient pas dans leur Dieu le créateur des étoiles et des baleines, mais le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob : celui qui les sauve de toutes les situations difficiles, celui qui se met en colère quand ils se font apostats et leur pardonne inlassablement quand ils promettent de revenir à lui… (29).
Ce ne sont pas des hommes politiques qui sauvèrent l’identité nationale mais des prophètes (29). Ce sera vrai dans toute l’histoire.
Mais en Israël l’acharnement des prophètes sera plus fort que partout ailleurs.
Ils prenaient le parti des pauvres et donnaient au monde le spectacle sans précédent d’un peuple mort à qui le souffle du Seigneur rendait sans cesse une vie nouvelle (30).

Ils se faisaient les porte-parole de Dieu annonçant toujours une promesse.

Le livre de Job met alors en scène un débat important : le débat sur l’identité du Dieu de la Création en lien avec celui de la Promesse (30). Or la réponse de la Bible montre que Dieu refuse de se placer dans ce débat. Dieu répond sur le mode ironique : « où étais-tu quand je fixai les limites de la terre ? » (31).
La réponse Dieu seul peut la donner. Et cette réponse montre que la création des autres êtres du monde précède l’homme.

C’est un début de preuve pour affirmer que l’homme n’est pas l’unique préoccupation de Dieu. Mais ce n’est là qu’une première approche. Il faudra beaucoup de temps à l’homme pour penser autrement et sortir du message central de judaïsme entendu comme « élection de l’homme et de lui seul parmi toute la création ». Conception qui semble lui donner mandat absolu de régner, de triompher sur toutes les adversités.

Pour arriver à penser autrement au point de lutter pour que les conditions intolérables du monde dans lequel nous vivons, soient rectifiées par l’homme, il faudra que le message de Job soit libéré de son appartenance à Israël.

Le non retour du Christ

Que nous le voulions ou non et, bien considérée l’espérance des premiers chrétiens, Jésus n’est pas revenu. La Parousie n’est pas survenue. Il a fallu s’y habituer… il a fallu surtout continuer le chemin et vivre. Mais cette poursuite du chemin, coupée de la loi juive et de la doctrine qui l’accompagnait, qui était une loi de continuité, appelait à inventer ce chemin(47-48). Les écrits néotestamentaires en attestent. D’abord quant à une éthique domestique qui s’est réglée et centrée sur l’avenir de chacun au-delà de la mort. Les gestions du salut se sont organisées comme une réflexion sur la mort et la vie juste. Qui sera sauvé ? Qui sera réprouvé ? A ce propos ; on est frappé par la tonalité si différente entre le « Viens , Seigneur Jésus et les strophes du « Dies irae »..

A une époque du XX ème siècle la conviction des chrétiens comme des marxistes était que la création n’est pas encore achevée, le monde est à faire, le pouvoir de l’homme est de le changer. Mais les divergences apparaissent dès lors que l’on envisageait l’avenir, au-delà de la mort. 113- 114 Pour les chrétiens, l’avenir est de l’ordre du don et de la promesse au point de soustraire à l’homme son droit à disposer de lui-même. Pour les Marxistes, le meilleur des mondes suppose une action immédiate et parfois totalitaire où la liberté de chacun de disposer de ses initiatives personnelles est rétreinte. C’est donc bien sur le salut et sur l’espérance que se jouent les divergences de la gestion de la terre.

L’homme a été le centre de la réflexion et des recherches , l’homme et son avenir, l’homme et son salut, l’homme et la vie sociale. La création non humaine est restée dans l’ombre.

Nous ne sommes pas les gestionnaires du désespoir. (119), comme le sont trop souvent les conservateurs. L’expérience acquise au cœur des drames de l’humanité, de l’extrême fragilité de la condition humaine ne peut nous autoriser à une telle attitude. Même si nous avons le sentiment qu’être ou ne pas être (l’autodestruction possible de l’humanité) est l’enjeu des temps où nous vivons, nous n’en sommes pas à la dernière bataille. Mais à une bataille nouvelle pour contrôler notre puissance et réaliser que notre interdépendance nous y oblige. (127)

Pour agir, il importe de prendre la mesure du caractère artificiel des morceaux de pays que les politiques entendent gérer. Le péril écologique déborde toutes les frontières et appelle un gouvernement mondial. S’il y a un risque c’est que l’humanité mourra non de la disparition d’une espèce animale, mais de l’effondrement écologique de la planète (131). Le drame est que nous sommes incapables d’évaluer l’ampleur de cette question.

Lorsque les pays en voie d’émergence participeront à leur tour à la rupture de l’équilibre écologique, la situation sera plus grave encore. Surtout si l’idéalisme béat continue de chanter un avenir radieux sans s’apercevoir que les malheurs d’un monde en pleine réussite augmentent.

Nous savons seulement que le bien être des hommes comme les périls auxquels ils s’exposent par la négligence de leur empreinte écologique sont aujourd’hui l’œuvre de l’homme (man made). Ayons le courage de regarder comment la solidarité qui nous unit nous oblige à voir les conséquences de notre ignorance à résoudre les questions qui se posent ! (137). S’il le veut bien l’homme est capable de relever les défis et de faire face. Mais à condition de ne pas nier la réalité des défis à relever.

Père Jacques Turck, août 2008

à consulter sur le sujet

DSE doctrine sociale
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