Bref retour sur le centenaire Girard

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 27 mars 2024, OFC 2024, n°12 sur le centenaire Girard

Le 25 décembre 2023, René Girard aurait eu 100 ans. Cette année du centenaire a-t-elle permis de mieux le connaître ? Sans aucun doute, oui, si l’on tient compte des événements et des publications qui l’ont émaillée¹ , mais le prestige attaché à cette figure intellectuelle majeure du XXe siècle (qui fait notre fierté outre-Atlantique davantage qu’en France même) reste entaché d’ambivalence. Dans un monde redevenu très angoissant pour les raisons que l’on sait (terrorisme, guerre, menaces écologiques, etc.), l’étoile du « penseur de la violence » n’en finit plus de monter au firmament de notre époque et de briller, d’une lumière ô combien révélatrice de ce qui nous arrive. Et pourtant, face aux éclaircissements de la théorie mimétique inventée par Girard, et qui rayonne dans plusieurs directions, il reste souvent difficile d’accueillir sans broncher, sur le fond comme sur la forme, l’entrelacement de ses rôles : le chartiste réfugié dans l’exégèse littéraire, l’anthropologue du religieux, l’apologète chrétien, et pour finir le prophète d’apocalypse.

Le temps n’est plus où l’on pouvait réduire René Girard au talent d’un « essayiste » ou le désigner, avec l’air sottement entendu de qui le renverrait à son obsession, comme « le bouc émissaire de l’Université française ». Girard a mieux vieilli que bien des maîtres de la phénoménologie, du structuralisme ou de la pensée 68, sans doute parce qu’il les aura mieux compris que lui ne l’a été par eux, surtout après le tournant de sa lecture subversive des Écritures judéo-chrétiennes. De même, l’auteur de La Violence et le Sacré aura œuvré dès le départ au dialogue des meilleurs esprits d’où qu’ils viennent, à l’interaction féconde des disciplines, voire à la réconciliation, hélas utopique, des idéologies qui se sont déchirées sur fond de paix mondiale – désormais révolue – et se déchirent encore. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder la liste des principaux intervenants du monumental colloque Girard, « Un centenaire et l’avenir d’une théorie », qui s’est tenu, du 14 au 17 juin dernier à l’Institut catholique de Paris, et co-organisé par le Colloquium On Violence & Religion (COV&R), l’ICP et l’association Recherches mimétiques : on y trouvait des philosophes (en majorité), des professeurs de langue ou de littérature, des anthropologues, un psychiatre, une maître de conférences en relations internationales, des théologiens² …

Ce constat soulève au moins deux paradoxes. Le premier touche à ce qu’on peut nommer le girardisme : qu’est-ce qu’être girardien aujourd’hui ? La théorie mimétique ne s’est pas faite en un jour (ni en un livre) : son auteur, auquel se rallient désormais tant de chercheurs – par émerveillement, par conviction ou, rarement, par opportunisme –, fut plutôt un solitaire, même un sauvage, qui étouffait partout où l’air ne circulait pas, et voulait affirmer sa singularité… contre les systèmes trop bien rodés ! Parce qu’il se disait lui-même « très mimétique », il s’est inscrit d’emblée dans la rivalité, dans l’esprit de contradiction. Et curieusement, il a fait école. Ce qu’on appelait, parfois avec dédain, dans les années 70-80, le « système-Girard », semble être devenu une véritable école de pensée, avec ses thèmes, son vocabulaire, ses auteurs fétiches, ses symboles, j’allais écrire ses gri-gris ! Il y a aujourd’hui une « académie Girard » éparpillée de par le monde (mais dont le centre serait à Paris³ ), comme il y a un « clan Girard » et même un « quatuor Girard », qui, le 15 décembre dernier, en ouverture d’une journée spéciale au Collège des Bernardins, « René Girard, lecteur de l’Écriture », créait, avec l’orchestre symphonique d’Avignon, une œuvre du compositeur Charly Mandon : Actes rituels pour quatuor à cordes et orchestre !

Le second paradoxe concerne la réception de l’œuvre : bien que très commentée, et enfin mieux comprise, elle reste controversée, en raison de son mélange des genres. Beaucoup refusent sa thèse principale, le dévoilement chrétien du mécanisme victimaire aux origines de la culture, parce qu’il se présente comme une découverte scientifique, une version culturelle de la théorie de l’évolution. Au « Darwin des sciences humaines » (selon le mot de Michel Serres), les rationalistes reprochent d’avoir conçu « une anthropologie fondamentale dont un versant est scientifique et l’autre – scandale suprême – théologique4 », bref, de confondre à nouveau Dieu et la science, la foi et la raison, en prétendant tirer des Évangiles les éléments d’un savoir objectif sur l’homme. De leur côté, les croyants flairent l’hérésie gnostique et se demandent pourquoi avoir dû attendre si tard pour voir achever – au sens girardien ! – deux mille ans de révélation chrétienne. D’ailleurs, c’est un livre à charge qui lance l’année du centenaire, René Girard, de l’ethnologie à la Bible et retour (Éd. Kimé, 2023) du philosophe suisse Alain Tornay, qui dénonce dans la démarche girardienne « une aberration épistémologique […] vouée à l’échec » (4e de couv.) ! Plus généralement, les choses cachées depuis la fondation du monde, traduites par Girard en langage anthropologique, le sont hélas restées dans nombre d’ouvrages traitant de la violence, où son nom est à peine cité, ou délibérément occulté5 . Le problème, pour les girardiens, consiste donc aussi à se situer par rapport à l’anti-girardisme, primaire ou non6 . Ils peuvent être tentés de serrer les rangs, au risque de dégager une orthodoxie problématique, et celle-ci ne manquerait pas de faire apparaître, comme dans toute entreprise collective, des lignes de fracture, des déviances, des rivalités7 , des trahisons, des repentirs…

Deux livres majeurs parus en 2023 ont apporté un remarquable éclairage sur ces questions.

Le premier, Violence des dieux, violence de l’homme. René Girard, notre contemporain (Seuil, avril 2023, coll. « La couleur des idées »), est signé Bernard Perret, suite à un précédent opus en 20188 . Socio-économiste et catholique pratiquant, Perret explore son œuvre, dont il interroge l’actualité et la portée, dans un esprit d’ouverture, c’est-à-dire sans la refermer sur son système, et sans en occulter les excès ou les manques. Porté par une véritable admiration, il ne se laisse pas pour autant intimider par ce qu’il peut y avoir d’écrasant dans son « modèle » : son livre se veut à la fois une « synthèse critique de l’œuvre de Girard, pour un public français qui le connaît mal » et « une sociologie historique girardienne centrée sur la question de la violence » (p. 25) ; mais pour l’une, il s’agira de « discuter » ses idées autant que de les « exposer », et pour l’autre, de prendre la mesure du « chantier […] considérable » (p. 26) que laisse ouvert aux générations futures la théorie girardienne. Très pédagogique, d’une composition aérée et d’une lecture passionnante, le livre non seulement résume le parcours de l’œuvre, représenté par cinq jalons majeurs : les fameux trois premiers ouvrages 9 « correspondant schématiquement aux trois étages de son système : la théorie du désir mimétique, la théorie de l’origine violente de la culture, et enfin le dévoilement du mécanisme victimaire dans les Écritures judéo-chrétiennes » (p. 31), auxquels s’ajoutent ici Le Bouc émissaire (1982) et Les Origines de la culture (2004) (celui où les ambitions anthropologiques de Girard sont le plus affirmées). Perret aborde ensuite trois domaines où la démarche girardienne prend tout son sens et apporte des innovations incontestables : la psychologie, l’ethnologie, la théologie. Le format de cette fiche ne permet pas d’en détailler toute la richesse, mais on peut l’illustrer par des exemples : pour la première, la découverte des fameux neurones miroirs dans les années 90 (voir p. 132 sq.) crédite Girard, en vertu de ses analyses approfondies du désir mimétique, d’une anticipation authentiquement scientifique ; pour le « dossier ethnologique », malgré « son incroyable prétention d’expliquer l’origine du sacré et de la culture par un mécanisme simple », la théorie de Girard « synthétise les découvertes de ses prédécesseurs, tirant parti de la conception structuraliste de l’ordre culturel tout en renouant avec l’héritage de l’anthropologie religieuse » (p. 166) ; elle fait d’autant plus regretter « le grand débat qui n’a pas eu lieu » (p. 168) avec Lévi-Strauss, dont le silence invraisemblable apparaît aujourd’hui comme une faiblesse. Enfin, pour la théologie – et bien que ses rapports avec l’anthropologie n’aient pas été clarifiés en raison de « la désinvolture de Girard à l’égard de la philosophie » (p. 285) –, on peut citer le débat toujours vif autour du « christianisme sacrificiel » (initié par le dialogue avec le père Raymund Schwager) (p. 287 sq.), ou, en relation avec le problème de la « violence » divine, « le passage d’une vision “transactionnelle” à une vision “communicationnelle” du rapport à Dieu » (p. 300), à l’image de la théologie « post-girardienne » d’un James Allison ou d’un Anthony Bartlett. Dans une partie conclusive très ouverte, Bernard Perret cherche à décentrer René Girard de la position oraculaire, parfois caricaturale, qui fut la sienne, à tempérer son « pessimisme apocalyptique », et ses effets de résignation, pour valoriser les champs d’action que son œuvre pourrait transformer et irriguer : l’action politique, les rites collectifs, le marché et la concurrence substituée à la violence (c’est l’économiste qui parle), ou encore la symbolique des arts.

Le second livre majeur de 2023 n’est autre que la biographie de René Girard par Benoît Chantre, parue en septembre chez Grasset (l’éditeur historique de Girard, depuis Mensonge romantique). Elle est intitulée sobrement : René Girard. Biographie. Péguyste distingué et remarquable polygraphe, Benoît Chantre, on le sait, a été le compagnon de route des quinze dernières années de la vie de Girard, dont il a conquis l’estime, la confiance et l’amitié. D’abord son éditeur, puis son interlocuteur privilégié, il a planifié et coécrit le fascinant dialogue d’Achever Clausewitz, le testament de Girard. Sa biographie  monumentale, se présente sous la forme d’un pavé de 1,25 kg et de 1152 pages10, avec en couverture la photo d’un Girard hilare, qui a l’air d’éclater de rire après une bonne blague 11 . Outre les innombrables sources bibliographiques et documentaires (dominées par le fonds Girard de la BNF), Chantre a pu consulter la correspondance presque intégrale (du moins ce qui en a été conservé) et une masse considérable de textes, manuscrits, dactylogrammes, esquisses, plans, notes, à l’image des very important papers contenus dans une précieuse boîte. Devenu l’intime de la famille, il a collecté un nombre incalculable de témoignages écrits ou oraux (conversations, échanges téléphoniques, mails). L’effet de cette érudition prodigieuse impressionne, au risque de faire reculer le lecteur, comme devant un massif abrupt ou une forêt labyrinthique ; mais si l’on ose s’y attaquer, bardé de patience, c’est un monde au relief, aux couleurs extraordinaires, qui reprend vie sous nos yeux. En fait, il y a dans cette biographie trois livres en un. Le premier est le récit, presque exhaustif, de la vie personnelle de Girard, avec ses grandes étapes et ses moments forts : le paradis perdu de l’enfance avignonnaise, puis les années de formation sous la grisaille du Paris occupé, la France quittée après la première gloire d’une exposition d’art et d’une semaine théâtrale qui fondèrent le festival d’Avignon (en 1947), la vie américaine, les débuts difficiles d’un instructor in french dans le Middle West (qui deviendra assez vite full professor), la « conversion » de 1959 ; puis tout ce qui rythme la vie, par ailleurs sans fracas, d’un travailleur acharné, les déménagements dus aux nominations successives : Baltimore, Johns Hopkins, Buffalo, Stanford –, les aller-retour incessants avec la France, l’aventure de chaque livre, la notoriété grandissante – surtout après le « sacre ambivalent » (p. 697) des Choses cachées en 1978, de nouvelles ambitions et controverses, enfin le triomphe du professeur-prophète entouré de ses disciples en grande partie anglo-saxons. Le lecteur y découvre aussi les figures clés d’une vie – un père régnant sur le patrimoine avignonnais mais dont la gloire du fils éclipsera le renom, une mère artiste à l’intelligence aiguë qui sombrera dans le délire spirite, la « très délicate Martha », « étudiante d’une grande beauté » (p. 98), qu’il épouse en 1951 avant un voyage de noces au milieu des pyramides aztèques, puis les enfants Martin, Mary, Daniel, pour qui il sera un « père absent, père distrait, très concentré sur sa recherche, mais père très paisible et très tolérant » (p. 507)… Les drames ne sont pas occultés, tel le suicide du frère Antoine à vingt-cinq ans, « bouc émissaire » invisible de son époque (p. 324 sq.)… Mais il est un deuxième livre dans le livre, qui explore, avec une minutie d’archiviste-paléographe, la genèse de l’œuvre girardienne (qui commence par une thèse d’histoire contemporaine, American Opinion of France (1940-1943), où s’exprime le gaullisme girardien). Chantre montre bien que dès les articles des années 60 sur Œdipe, « toute l’apologétique girardienne – celle du christianisme, du Logos johannique – est déjà là, et n’est en rien un projet tardif » (p. 392). Sa révélation progressive aura passé par une stratégie de prudence (notamment éditoriale), eu égard aux préjugés antichrétiens de l’époque. Sont mis en lumière ceux qui furent les « passeurs » importants de cette œuvre : le critique marxiste Lucien Goldmann, le poète Michel Deguy, l’africaniste Georges Balandier, l’écrivain Pierre Pachet, plus tard les philosophes Michel Serres et Jean-Pierre Dupuy, et bien d’autres. L’auteur multiplie aussi les « arrêts sur image » ouvrant sur autant de microlectures très fouillées, au risque d’épuiser le lecteur, et dont on peut se demander si elles avaient bien leur place ici. Reproche mineur, qui ne s’étend pas au troisième aspect de l’ouvrage : la chronique extraordinaire de plus de soixante ans de vie intellectuelle en France, en Europe et en Amérique, où se déploient comme au spectacle les péripéties du « débat » contemporain, les formes de plus en plus hystériques de la guerre des idées qui finira par s’effondrer dans la cendre avec les tours jumelles de Manhattan. Où l’on revit notamment les grandes heures de la French Theory, que Girard contribua à lancer aux États-Unis, lors du fameux colloque de Baltimore (1966), où l’ensorceleur Derrida12 vola la vedette à un Lacan  pathétique. Loin de faire bande à part, Girard aura croisé la route d’à peu près tout ce que les Trente Glorieuses ont compté de penseurs importants. Il a soutenu en son temps Roland Barthes, dialogué avec Lévinas et Foucault (qui l’admirait) ; défié Deleuze et Guattari… La plupart se détourneront de lui lorsqu’il justifiera et assumera la « synthèse catholique » de sa démarche ; mais celle-ci lui vaudra de nouveaux interlocuteurs prestigieux, de Calasso à Sloterdjk.

Tout au long de ce foisonnant récit, jusqu’aux dernières années, qui retrouvent le ton du témoignage paru en 201613, et montrent un détachement quasi mystique du maître, Benoît Chantre s’identifie à son sujet comme à un héros de la « vérité romanesque ». Il cherche à s’imprégner mimétiquement des paysages traversés par son modèle, à retrouver le fil de ses pensées, comme sur le pont des transatlantiques ou dans la cabine des avions qui le ramenaient en France ou en Amérique. Il est vraiment « le disciple que Girard aimait »… Peut-être y manque-t-il parfois la distance critique dont s’autorise Bernard Perret. Peut-être fallait-il au contraire cette puissance d’adhésion totale, ce dévouement quasi religieux, pour faire aujourd’hui de lui le gardien du temple. Même s’il s’agira, quoi qu’il arrive, de maintenir ce temple aussi ouvert que possible14 .

Juste un mot pour conclure cette fiche déjà trop longue. Cette séquence du centenaire, comme tant de volumes d’hommages, actes de colloques et autres sommes critiques, où l’on se perd si souvent, saturé de discours et d’informations, aura vu passer le signifiant girardien, inarrêtable, inappropriable. Produisant le sens, sans s’y réduire, il se confond bien sûr avec la victime et in fine la victime révélée, dans laquelle – rappellent opportunément Perret (p. 200 sq.) et Chantre (p. 527 et 1013) – Girard voyait « ce qui sert aux hommes de signifiant transcendantal », en pensant au « modèle de l’exception en cours d’émergence, de l’unité, en vérité quelconque, seule à ressortir sur une masse confuse » (Des choses cachées). Ce signifiant ne « flotte » pas, il entre et sort, il se fond dans la masse et se détache, il erre, peut-être15, mais comme un centre mobile, omniprésent, comme le souffle prophétique ou le vent de l’Esprit. Ou comme, dans le train, « durant l’un de ces allers et retours entre Philadelphie et Baltimore », ces mots d’« une voix intérieure » murmurant au nouveau converti de 1959 : « Ne crains rien, tout n’est qu’apparence. » (Chantre, p. 257) À plusieurs reprises, la biographie fait état de poèmes dans les papiers de Girard : les lira-t-on un jour ? Si l’on suit sa trajectoire, l’œuvre s’ouvre sur la gloire d’un poète (Saint-John Perse) et se termine par l’évocation de la fausse, ou plutôt vraie, folie d’un autre (Hölderlin). Elle n’a pas dit son dernier mot, et pourrait à terme déboucher aussi sur une poétique du signifiant universel, qui rassemblerait les poètes. On peut rêver. Et proférer, à la manière des bandes annonces de quelque blockbuster américain : vous n’avez encore rien vu.

Fabien Vasseur

1 Parmi ces événements, le plus important a été sans doute le rapatriement des cendres de l’anthropologue (mort le 4 novembre 2015) dans le caveau familial à Avignon, le 16 décembre.

2 Pour la plupart : des habitués des colloques Girard. Plusieurs autres intervenants participaient par ailleurs à des sessions parallèles.

3 Du moins si l’on tient compte de l’association Recherches mimétiques (dont l’adresse officielle est à Montreuil), qui fut créée le 16 décembre 2005 par René Girard et Benoît Chantre au sein de l’Académie française, le lendemain de la réception de Girard sous la Coupole. Cette association est partenaire de la fondation Imitatio (américaine), dédiée à la recherche internationale sur la théorie mimétique. Il faut y ajouter la Société des amis de Joseph & René Girard, présidée par Marie Girard, petite-nièce de l’écrivain.

4 Christine Orsini, René Girard, Que sais-je ? / Humensis, 2018, 2023, p. 4.

5 Deux exemples parmi d’autres : l’absence d’une entrée autonome «GIRARD RENÉ» (son œuvre est traitée par morceaux, de façon plus ou moins arbitraire) dans le Dictionnaire de la violence, sous la direction de Michela Marzano, PUF, 2011, 2023 ; l’autre, l’anthologie de textes conçue par l’école de commerce Audencia sur la violence, thème de culture générale au concours 2024 (Offensives de la violence, coédition Espace Prépas/Studyrama – Audencia, coll. « Les textes du sujet », 2023), et où ne figure aucun texte de Girard (sur 72 !), sans que l’on sache s’il s’agit d’un simple reflet du choix des auteurs (des professeurs de lettres et de philosophie en CPGE) ou d’une censure délibérée.

6 Celui-ci, notons-le, peut être d’une violence inouïe. Ainsi, la philosophe et politologue médiatique Géraldine Muhlmann s’autorise à écrire : « Le girardisme est une chose stupéfiante […]. C’est un état d’esprit qui s’étonne terriblement peu de la prouesse de Girard, capable, de thèse en thèse, de retomber toujours sur des logiques religieuses [ …] Le girardisme ne se pose aucune question non plus à propos de ce geste consistant à placer sereinement le christianisme en dehors des logiques ordinaires du “sacré”. […] Observons que Girard est devenu à la mode non loin de l’année 1994, où des Hutus majoritairement catholiques ont massacré en quelques semaines 800 000 Tutsis eux-mêmes catholiques, souvent dans les églises et en empilant les cadavres juste devant. » (L’Imposture du théologico-poétique, Les Belles Lettres, 2022, p. 71-72).

7 Voir la situation résumée par Michel Deguy, « quand un habile, […] en l’occurrence un “girardien”, rencontre un autre girardien, critiquant […], comment alors éviter la méprise du mépris […] ? » (« Onglets de la lecture 1961-1981 », in René Girard et le problème du Mal, textes rassemblés par Michel Deguy et Jean-Pierre Dupuy, Grasset, 1982, p. 73-74.

8 Bernard Perret, Penser la foi chrétienne après René Girard, Ad Solem, 2018.

9 Mensonge romantique et Vérité romanesque (1961), La Violence et le Sacré (1972), Des choses cachées depuis la fondation du monde (1978).

10 Dont 865 pages pour le seul corps du texte, les 242 pages de notes regroupées en fin de volume constituant à elles seules un sous-texte complet, fourmillant de détails pas toujours secondaires.

11 Cette photo était-elle le meilleur choix ? On peut en douter, bien que le rire soit un thème longuement abordé dans l’ouvrage ; comme on peut regretter l’absence de cahier photographique (surtout au regard du luxueux double cahier illustrant la biographie de Claude Lévi-Strauss par Emmanuelle Loyer (Flammarion, 2015).

12 La déconstruction était née. Derrida, un temps proche de Girard, ne lui en témoigna guère de reconnaissance.

13 Benoît Chantre, Les Derniers Jours de René Girard, Grasset, 2016.

14 Dans un entretien donné à l’occasion du 15 décembre aux Bernardins, Marie Girard déclarait : « Nous avons souhaité “sortir” René Girard des catégories dans lesquelles nous avons tendance à l’enfermer. Comme tout homme de génie, René Girard a des disciples et des inconditionnels ; mais pour qu’une œuvre telle que celle de René Girard vive, il est indispensable qu’elle sorte de ce cercle restreint, qu’elle soit travaillée, critiquée, prolongée. »

15 Allusion à la traduction du Livre de Jonas, suivi d’une notice et d’un essai, par Henri Meschonnic, sous le titre Jona et le signifiant errant (Gallimard, 1981, coll. « Le Chemin »). Bien que Meschonnic ait pris le parti systématique et mesquin d’attaquer, dans la NRF, tous les livres de Girard, il est regrettable que la biographie ne le mentionne pas ; car une confrontation intellectuelle, même sans concession, entre ces deux lecteurs de la Bible aurait été possible, et le reste après tout pour l’avenir.

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