Les racines juives de Marie de Brant Pitre (2023)

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 6 mars 2024, OFC 2024, n°10 sur Les racines juives de Marie de Brant Pitre ( Artège – 2023 )

Brant Pitre enseigne l’Ecriture sainte à la faculté de théologie de l’Augustine Institute, dans le Colorado. Ce laïc catholique fidèle à Rome a signé plusieurs ouvrages publiés dans le monde anglo-saxon, notamment en 2011 Jesus and the Jewish Roots of the Eucharist. Son livre, Les racines juives de Marie, publié aux Etats-Unis en 2018, est le premier à être proposé au public francophone.

Brant Pitre nous propose de relire les dogmes catholiques concernant la Vierge Marie à la lumière du judaïsme ancien. En bon chercheur, il utilise bien sûr la Bible, mais aussi la littérature juive de l’Antiquité (Mishna, Targoum, Tosefta, manuscrits de la Mer Morte, etc.), ainsi que des auteurs juifs comme Philon ou Flavius Josèphe. La méthode adoptée est assez robuste, et le style clair et sans verbiage. Chaque chapitre suit le même plan : après une analyse de la tradition juive, le dogme catholique est exposé, soutenu par de nombreuses références aux Pères de l’Eglise d’Orient et d’Occident. Chaque thème a fait préalablement l’objet d’une conférence voire d’une publication propre, ce qui permet de lire chaque chapitre indépendamment des autres.

Brant Pitre aborde successivement les thèmes suivants : Marie l’Immaculée conception (c. 2), Marie la nouvelle Arche d’Alliance (c. 3), Marie Reine du Ciel (c. 4), la virginité perpétuelle de Marie (c. 5), les souffrances de Marie (c. 6), Marie qui intercède pour nous (c. 7), Marie notre mère à tous (c. 8).

Pour bien mettre en lumière l’intérêt de la démarche adoptée par Brant Pitre, je propose de détailler la méthode pour le premier de ces thèmes, Marie l’Immaculée conception. Il est acquis depuis les lettres pauliniennes que Jésus est le nouvel Adam (Rm 5, 18-19 ; 1 Co 15, 45-47). Marie est-elle la nouvelle Eve ? Adam et Eve ont été créés sans péché, à l’image de Dieu, ils sont aussi complices dans la désobéissance. S’en suit la lutte entre le serpent, la femme, et leurs descendances respectives (Gn 3, 15). Pour la tradition juive, ce combat est l’annonce du messie et de la femme prophétique qui « écrase le serpent », sa mère. Confrontant l’Evangile de Jean et cet oracle tiré du texte de la Genèse, Brant Pitre nous montre comment Marie incarne la figure de la nouvelle Eve. Il s’arrête par exemple longuement sur l’apostrophe en apparence brutale de Jésus à sa mère aux noces de Cane : « Que me veux-tu, femme ? » (Jn 2, 1). Cette apostrophe sera reprise au pied de la croix, lorsque Jésus donne Marie à Jean, et à travers lui à l’humanité : « Femme, voici ton fils » (Jn 19, 26). Comme nombre d’exégètes l’ont signalé, l’appellation « femme » renvoie très clairement à Eve dans le livre de la Genèse. Pitre poursuit sa démonstration avec le fameux chapitre 12 de l’Apocalypse. Suit la conclusion finale : puisque Adam et Eve ont été créés sans péché, puisque Jésus est le nouvel Adam créé sans péché, Marie la nouvelle Eve est créée sans péché. Et telle était la certitude des chrétiens de l’Antiquité et des Pères de l’Eglise, citations à l’appui (Justin de Naplouse, Irénée de Lyon, Ephrem de Nisibe, Cyrille de Jérusalem, Jean Damascène, etc.).

Les autres thèmes sont développés suivant la même méthode, avec une rigueur certaine. Si certaines références sont bien connues, d’autres le sont moins. Concernant la virginité par exemple, Brant Pitre explique que les vœux d’abstinence sexuelle des femmes sont prévus dans le chapitre 30 du livre des Nombres. Ils doivent être validés par l’époux, et sont ensuite pérennes. S’appuyant sur une analyse très précise des mots utilisés dans la version grecque de Mt 1, Brant Pitre propose d’appliquer cette loi juive à Marie et à Joseph, ce qui implique la chasteté de ce dernier. Il peut ainsi défendre la crédibilité de la virginité perpétuelle de Marie, et procéder à certaines mises au point concernant les « frères de Jésus ».

Si l’ensemble est d’une bonne tenue, avec notamment les références précises des citations que j’ai vérifiées pour la plupart, j’ai néanmoins un regret à exprimer, et un reproche littéraire à faire à l’Auteur.

Le regret d’abord. Le chapitre consacré à « Marie la nouvelle Arche d’Alliance » nous présente Jésus comme le nouveau Moïse, de la descendance de David. Mais Jésus, le messie davidique, est aussi le Grand Prêtre, l’autre figure du messie dans la tradition juive, de la descendance d’Aaron. Or Marie, comme sa cousine Elisabeth, est, elle aussi, de la descendance d’Aaron. Et ceci a été développé par la tradition chrétienne et les Pères de l’Eglise. Pourquoi ne pas avoir abordé cette dimension à l’occasion du c. 3 ?

Par ailleurs, suivant une mode détestable, Brant Pitre larde son texte de diverses anecdotes autobiographiques qui n’apportent rien au sujet traité. J’avoue que cette confusion des genres en littérature m’est insupportable. Il aurait pu aisément en faire l’économie.

Les racines juives de Marie se révèle un livre très éclairant qui rend accessible les réflexions des exégètes. Il peut notamment conforter les catholiques sur l’enracinement des dogmes concernant Marie dans la tradition juive et l’enseignement des Pères de l’Eglise. Les catéchètes y trouveront aussi une mine d’informations pour répondre à leurs questions les plus légitimes. Et remercions les éditions Artège de cette judicieuse initiative.

Vincent Aucante

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