Se convertir à Dieu avec Blaise Pascal

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du 6 décembre 2023, n°45 à propos de Se convertir à Dieu avec Blaise Pascal, de Hélène Michon (mars 2023), Éditions du Carmel, collection « Vie Intérieure »

Maîtresse de conférences à l’Université de Tours et spécialiste de Pascal, Hélène Michon propose un livre original dans lequel l’œuvre de l’auteur des Pensées est expliquée pour en comprendre sa logique interne à la lumière de la foi.

Comme Pascal pour qui le moi est haïssable, Hélène Michon s’efface derrière son auteur pour mieux le mettre en valeur. Elle mobilise son savoir – qui est grand – pour nous faire comprendre le mouvement d’ensemble qui conduit à la découverte non pas du Dieu de Pascal mais du Christ qui conduit à Dieu. On est frappé en lisant ce travail par la manière dont la vie spirituelle de Pascal épouse une trajectoire de purification et de simplification pour ne se centrer que sur le Christ, révélation de Dieu pour et parmi les hommes.

Après avoir retracé brièvement la biographie – étonnante – de Pascal dont on se demande si le plus admirable est la puissance de son génie ou l’humilité du croyant qui s’abandonne à Dieu (cf. l’expérience mystique du 23 novembre 1654 que consigne le « mémorial », ce texte de feu que Pascal portait toujours avec lui), Hélène Michon organise son propos selon trois axes : « les obstacles à ma conversion », « les chemins vers Dieu », « la vie avec Dieu » pour finir en se demandant si « on peut transmettre la foi ». En réalité, l’autrice reprend à son compte la démarche de Pascal en l’actualisant pour nous grâce à ces questions posées à la première personne. Nous voici face à Pascal, le Pascal désireux de nous convertir – c’est la raison pour laquelle il se propose de rédiger une apologétique – mais aussi s’effaçant devant la Parole révélée dans les Écritures. Le Dieu que Pascal veut nous faire découvrir et aimer n’est pas un Dieu d’imagination humaine mais ce Dieu que le Christ révèle tant par sa vie incarnée que par l’annonce dont il fut l’objet dans l’ancienne Alliance.

Hélène Michon utilise avec soin les écrits de Pascal, convoquant les fragments des Pensées, les rapprochant, les expliquant donnant à apercevoir ce qu’aurait pu être le monument final. Voilà trois siècles et demi que les érudits tentent de classer ces notes – certaines très développées, d’autres lapidaires – pour essayer d’achever le travail de Pascal. Sans esquiver le débat, H. Michon les utilise dans la dynamique du propos de Pascal qui consiste tout simplement à convertir les cœurs et les esprits.

Tout simplement ? Que non ! Car Pascal a conscience du caractère paradoxal de sa démarche : « la foi est différente de la preuve ; l’une est humaine, l’autre est un don de Dieu¹ . » C’est la Providence qui est à l’œuvre dans la conversion : « Mais, parce que cette religion nous oblige de les regarder toujours tant qu’ils seront dans cette vie, comme capables de la grâce qui peut les éclairer, et de croire qu’ils peuvent être dans peu de temps plus remplis de foi que nous ne sommes, et que nous pouvons au contraire tomber dans l’aveuglement où ils sont, il faut faire pour eux ce que nous voudrions qu’on fît pour nous si nous étions à leur place² . »

Dans sa conclusion, Hélène Michon résume ce qui a été la clef de son projet : « C’est bien ce contexte d’amitié qui permet le dialogue ou la conversation qu’il s’agisse du dialogue apologétique entre deux amis, entre Pascal et son lecteur, ou qu’il s’agisse du dialogue entre l’homme et Dieu, qui s’appelle alors prière. L’objectif de ce petit livre, épousant celui de Pascal, est de faire passer de l’un à l’autre. » (p. 213). À la suite de Pascal, Hélène Michon veut aider à la rencontre avec le « Dieu d’Abraham, d’Isaac, de Jacob », avec le Dieu du Christ.

Dans l’abondante production que provoque le quatrième centenaire de la naissance de Pascal, ce livre, résolument catholique, tranche par son honnêteté fondamentale. 3 Ce n’est pas un Pascal relu par un intellectuel de renom, mais c’est bien une lecture attentive de Pascal pour mieux nous le faire comprendre. Ce n’est pas le Pascal d’Hélène Michon, mais un Pascal éclairé de l’intérieur par l’admirable maîtrise de l’œuvre que possède cette spécialiste qui s’efface devant son sujet pour mieux le mettre en valeur. Elle convoque aussi des extraits d’autres textes de Pascal tout aussi bouleversants que certains passages des Pensées. Ainsi « la comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui » (p. 188-193) où l’on peut lire : « il fallait autrefois sortir du monde pour être reçu dans l’Église. Au lieu qu’on entre aujourd’hui dans l’Église au même temps que dans le monde. » Poursuivant la comparaison où l’on pourrait penser que l’esprit janséniste imprègne la pensée de Pascal, on trouve aussi cette remarque : « Au lieu qu’on se trouve maintenant presque au même temps dans l’un [le monde] et dans l’autre [l’Église], (…) on fréquente les sacrements et on jouit des plaisirs de ce monde. (…) Mais ce n’est pas à l’Église à qui l’on doit imputer les malheurs qui ont suivi un changement de discipline si salutaire³ , car elle n’a pas changé d’esprit quoiqu’elle ait changé de conduite. » L’avertissement ne vaut-il pas encore ? L’entendre ne nous éviterait-il pas bien des fausses querelles ?

Il se peut alors que le pape François – un jésuite !, les ennemis jurés de Pascal et des jansénistes – ne se soit pas trompé dans la lecture qu’il fait de Pascal : « quatre siècles après sa naissance, Pascal reste pour nous le compagnon de route qui accompagne notre recherche du vrai bonheur et, selon le don de la foi, notre reconnaissance humble et joyeuse du Seigneur mort et ressuscité4 . »

Pascal, auteur canonique de la littérature française, incarnation du génie français (il eut même droit – s’en souvient-on ? – aux honneurs du billet de 500 francs !), est d’abord un chrétien ardent qui nous apprend que « la pensée ne parvient à penser chrétiennement que si elle accède à ce que Jésus-Christ met en œuvre, la charité » selon les mots de Jean-Luc Marion5 .

Benoît Pellistrandi

¹ Fragment 41 selon l’édition de Philippe Sellier, Paris, Garnier Flammarion, 1991.

² Fragment 681 selon l’édition de Philippe Sellier, Paris, Garnier Flammarion, 1991.

³ Pascal fait allusion aux baptêmes des petits-enfants.

4 Lettre apostolique Sublimitas et miseria hominis du 19 juin 2023.

5 La Métaphysique et après, Paris, 2023, p. 356

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