Jean Baubérot – La loi de 1905 n’aura pas lieu

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du 21 septembre 2022, n° 30 à propos de La loi de 1905 n’aura pas lieu de Jean Baubérot

La loi de 1905 N’aura pas lieu

Histoire Politique des Séparations des Eglises et de l’Etat (1902-1908) Tome 2

La loi de 1905, légendes et réalités

Editions des maisons des sciences de l’homme 2021

Le tome 1 – l’impossible « loi de la liberté » (1902-1905) sorti en 2019 a donné lieu à une fiche de lecture de l’OFC en 2020. Ce premier tome traite des débats préalables à la loi, ce second tome se concentre sur la « production » de la loi de 1905, principalement les débats politiques et parlementaires qui aboutissent à la rédaction finale telle qu’elle fut adoptée. Ces débats couvrent deux thématiques : « De la victoire des séparatistes au second conflits des gauches » puis « Du conflit des gauches à la place des religions dans l’espace public en France métropolitaine et algérienne ». Une dernière partie « 32 thèses concernant la séparation de 1905 » est une réflexion spécifique de de Jean Baubérot qui propose une prise de recul. Elle indique la stratégie propre d’Aristide Briand, rapporteur de la loi, et surtout une analyse des deux conceptions de la liberté qui sous-tendent en tension la rédaction finale.

Cette dernière partie également intitulée « des légendes au savoir historien » ou 32 thèses concernant la séparation, est en soi une œuvre spécifique (plus de 60 pages) où Jean Baubérot s’engage dans une interprétation qui mérite attention. Ce postlude, troisième nomination de cette œuvre propose une réflexion instruite par la somme historique impressionnante réalisée en suivant pas à pas la rédaction de la loi. Ce recul bien venu permet d’engager une réflexion qui fait signe à l’actualité.

Les débats qui aboutissent entre 1903 et décembre 1905 à l’adoption de la loi de séparation sont exemplaires d’une qualité de recherche de compromis où les ultras de différents partis se risquent à des changements de positions, parfois se contredisant eux même. Cette qualité des débats parlementaires peut encore nous instruire aujourd’hui.

Les événements extérieurs et notamment les conflits : guerre entre la Russie et le Japon, et aussi le regard international sur les formes de ce qui se cherche en termes de séparations des états et des religions aux Etats-Unis et au Mexique vont influencer les débats et les rédactions …

Enfin le positionnement de la loi est celui d’une « misogynie » de fait : c’est une loi d’hommes au masculin, tant il leur est évident, croyant ou non, que les femmes sont soumises à leur mari et au clergé … Sous entendue qu’elles ne disposent pas de conscience politique autonome !

Au-delà de cet archaïsme hexagonal, on peut mieux saisir la portée de la thèse de relecture de Jean Baubérot : les débats qui président à la loi de séparation de 1905, manifestent un débat plus fondamental celui de la liberté, du libéralisme et de la liberté de conscience.

Ce débat renvoie aux racines de la révolution de 1789 qui érige la liberté en principe fondamental et fondateur de la république et qui a conduit jusqu’ à mort du despote, le débat renvoie aussi aux accents libéraux des régimes monarchistes et impériaux de la fin du XIXème Siècle qui inaugurent un libéralisme économique qui assure la prospérité, enfin ces débats relaient au début du XXème Siècle au sein de la 3ème République, une oscillation entre « la libre pensée » et la liberté de conscience.

Cependant ces débats s’inscrivent dans une France profondément rurale et dont tous les protagonistes de gauche comme de droite, religieux ou libres penseurs, reconnaissent une sagesse terrienne et un bon sens paysan !

Un des exemples les plus remarquables concerne l’interdiction publique des habits religieux, la soutane, ou les costumes des congrégations. Les ultras héritiers de la révolution française demandent leur interdiction. Les libéraux souhaitent leur maintien comme un rappel moral qui indique une limite éthique au libéralisme. Et au fil des débats les positions se nuancent et parfois de croisent ! les ultras catholiques acceptant l’interdiction de l’habit des religieux et religieuses enseignantes, ces habits civils conduisant à une forme de discrétion des congrégations se mettant à vivre au milieu de la société en communautés fraternelles non-confessantes ; La libre pensée se rangeant au bon sens paysan qui conduit, avec le temps, à ce que ces habits malcommodes soient « naturellement » abandonnés. Pourquoi interdire ce que la raison éduquée par l’instruction publique, appellera à quitter !

Bien des débats du XXème et du XXIème Siècles sont ainsi en germe. Cependant il faut noter que ces questions se retournent : Le voile des femmes musulmanes indique une forme de soumission qui choque la libération de la femme dans la société, et une forme d’intégrisme qui refuse la Laïcité. Tandis que Le retour de l’habit religieux dans les congrégations nouvelles souvent issues du renouveau charismatique, indique un même refus d’une société sécularisée et une expression traditionaliste qui peut aller jusqu’à un encadrement de la liberté de conscience ! Car c’est bien la compréhension de la liberté de conscience qui est au fondement en 1905 d’opinions divergentes, et qui l’est encore à l’époque actuelle. En suivant pas à pas les positions de la libre pensée, Jean Baubérot perçoit avec cette acuité qui s’ancre dans sa tradition protestante, combien la liberté de conscience est comprise de façon différente par les protagonistes et qu’elle conduit à une ambiguïté. Pour les Catholiques et les Protestants la liberté de conscience est le fondement de la pratique des religions, de la liberté religieuse et donc d’un culte public, ce qui oblige à un libre accès à cette pratique dans les lieux clos que sont les internats, les hôpitaux, les prisons ou les forces militaires. Pour la libre pensée, cette liberté de conscience doit être éclairée et éduquée pour conduire à reconnaitre l’athéisme comme libération de toute emprise religieuse. Dès 1905 il a fallu batailler au cours des débats pour que cette forme d’agnosticisme ne soit pas « la religion de l’état ». La loi de séparation ne prétend pas créer une religion propre à l’état, ni promouvoir une conviction religieuse. L’état est le garant du libre exercice des cultes dans le respect de l’ordre public, il n’est pas ou plus comme à la Révolution au service de leurs disparitions !

On perçoit bien combien ce débat s’est à nouveau ouvert face à des montées d’intégrisme et de formes religieuses intransigeantes !

Il y a lieu aussi de rendre hommage au travail d’historien propre à Jean Baubérot et à ses collaborateurs. Il faut accepter de réviser la position commune sur le fait qu’Emile Combes serait le père de la loi.

Dans le premier Tome, il est apparu que « le petit père Combes » a utilisé le principe de séparation plus comme une menace que comme un projet. La chute de son gouvernement a conduit ses successeurs, à engager une œuvre qu’il n’aurait pas conduit à son terme ! Jean Baubérot indique aussi les revirements de Clemenceau et de Ferdinand Buisson qui se rapprochent, au-delà de leur conviction républicaine d’une gauche anticléricale. Ils se rallient à la position médiane d’un Jaurès socialiste plus pragmatique, dans la recherche d’un compromis. Cependant ces compromis et le vote de la loi ne furent possibles que par l’habilité manouvrière d’Aristide Briand. Baubérot le salue comme un héros digne des pièces de Marivaux, capable de surfer sur les paradoxes et les faux semblants pour aboutir à une solution claire, apaisée et qui semble si simple que le sénat la vote en l’état, sans modifications.

L’ensemble des trois tomes sera une référence incontournable sur la Loi de Séparation de 1905.

Ce dernier Tome traitant de la réception de la loi dans les colonies. L’Algérie est évoquée dans le second tome car elle est alors la France ! Cette loi n’a pas fini d’agiter la compréhension de la Laïcité française, et sa réception hors de France que le rapport Stasi en 2004 définissait « comme un cadre de référence et un état d’esprit s’imposant à tous » et qu’Emile Poulat en 2005 définissait, un siècle après la loi comme : « 60 millions de consciences en liberté ! »

Hugues Derycke Mission de France

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