Pierre Adrian Que reviennent ceux qui sont loin Gallimard, 2022

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du 5 octobre 2022, n° 32 à propos de Que reviennent ceux qui sont loin de Pierre Adrian, Gallimard, 2022

« Le monde veut ce qui brille, et la lumière vraie ne brille pas ». Pierre Adrian, Des âmes simples. Editions des Equateurs, 2016, p. 20.

Pierre Adrian, né en 1991, est encore un jeune auteur ; pourtant, les livres qu’il a déjà publiés sont d’une qualité indéniable.

On pourra faire reproche à Pierre Adrian une écriture trop « belle », il emploie de bonne manière le passé simple et l’imparfait du subjonctif. Les titres de ses livres ne sont pas faits d’une insulte ou de mots grossiers, ainsi que certain libre de cette rentrée littéraire. Se contente-t-il de chercher le beau, d’évoquer des souvenirs d’enfance comme tant d’auteurs de « qualité française » l’ont fait par le passé ? Le problème vient pour moi du simple fait de poser une telle question. Pour être entendu, voire être lu, faut-il que la violence soit présente d’une manière ou d’une autre ? La logique des médias et des réseaux y conduit ; on n’a jamais vu un esprit pondéré acquérir quelque succès sur ces outils.

Il est heureux qu’existent toujours des livres qui proposent d’autres chemins. Je les crois miser davantage sur l’intelligence et la sensibilité des lecteurs que sur le choc des mots.

Dans le roman qu’il publie en cette rentrée littéraire, Pierre Adrian nous transporte dans une maison de vacances, la « grande maison », dans le Finistère. Il revient sur les mois d’août familiaux. Ceci parlera spontanément à ceux qui ont vécu ou connaissent de tels lieux. Les autres se laisseront porter par les images, les moments, les rencontres, et, comme le proposent tous les romans, s’ouvriront à d’autres vies que la leur.

« Chaque année se réjouit ici les mystères d’une vie entière résumée en quelques semaines. Il y avait d’abord la monotonie des jours qui se confondent. Et puis l’attente. Avant le basculement de la mi-août, la précipitation douloureuse de dernières soirées dans la lumière d’automne, déjà. La fin. Août était le mois qui ressemblait le plus à la vie » p. 14.

« Nous formions un monde à part, autosuffisant, suffisant, envié par d’autres sûrement. Mais le cercle familial excluait autant qu’il rapprochait. Il avait ses idées arrêtées. Et après ? Je savais désormais qu’on ne pouvait pas lui dire non à moins d’être malheureux. Il s’agissait d’accepter la famille nombreuse, tolérer le bruit, concéder » p. 23.

La dimension religieuse, proprement chrétienne, est présente dans chacun des livres de Pierre Adrian. Elle s’exprime avant tout dans la force d’une révolte, d’un espoir souvent déçu – Adrian n’a pas écrit sur Pasolini sans raison. « Tu dois savoir ceci : dans les enseignements que je te donnerai, je te pousserai – il n’y a pas de le moindre doute – à toutes les désacralisations possibles, au manque total de respect pour tout sentiment institué. Mais le fond de mon enseignement consistera à te convaincre de ne pas craindre la sacralité et les sentiments, dont le laïcisme de la société de consommation a privé les hommes en les transformant en automates laids et stupides, adorateurs de fétiches » Pier Paolo Pasolini, Lettres luthériennes, 13 mars 1975.

« Croire, c’est faire le passage de l’intellect à la réalité, à l’expérience. Ce n’est pas une échappatoire ou une fuite. Au contraire. La foi est une épreuve de la réalité. Il faut éprouver pour aimer. Regarde, Dieu s’est fait homme. Il a épousé la condition de l’homme pour éprouver sa réalité. Et l’aimer jusqu’au bout » Des âmes simples. Edition des Equateurs, p. 65. « Nous sommes sauvés. Nous sommes déjà sauvés. Ces mots n’ont pas deux mille ans, et la foi ne se range pas dans la durée. Elle ne participe pas à l’enchaînement cafardeux des jours et des nuits. Le temps est vain, désespérant, s’il n’a pas un goût d’éternité » oc, p. 128-129.

Dieu a changé en Bretagne… Adrian se demande s’il y est encore présent ! « La messe du dimanche était une tradition familiale. La génération de grand-mère pratiquait par fidélité, celle de nos parents par foi véritable. Nous, nous pratiquions par habitude et pour ne pas les décevoir » p. 103.

Des âmes simples rendait hommage à cette foi des parents : « Je me souviens des pleurs de mes parents au retour de leur première messe en français. Ils disaient : ‘’Comment l’Eglise a-t-elle pu nous priver pendant tant d’années de cette joie ?…’’ Enfin le prêtre ne leur tournait plus le dos pendant l’office. Ils comprenaient chaque mot, et on disait la consécration devant eux. Pour eux. Mes parents étaient bouleversés » p. 63-64.

Le livre présent déplore dès lors le peu d’accès à cette liturgie si nourrissante. « Il n’y avait plus qu’un seul office dominical par canton […]. Ce pays de prêtres en était devenu orphelin. Ce pays de fidèles les voyait disparaître. » p. 104. « Un prêtre africain célébrait la messe. Le monde avait bien changé, il s’était retourné même, pour que des clercs sénégalais et gabonais viennent évangéliser la vieille terre de Bretagne » p.105. « Ce jour-là, les voix qui répondaient au tollé des cloches chantaient : ‘’A la foi de nos vieux pères, nous, enfants de Bretagne, serons toujours fidèles. Foi bien-aimée de nos pères, jamais nous ne te renierons » p. 108. « Une immense fatigue spirituelle me gagnait. J’étais devenu superficiel ou fainéant, les efforts pour aimer et me laisser aimer, c’est-à-dire croire, me semblaient trop durs » p. 109.

Roman du temps qui passe, il mène à une fin inexorable. Que reviennent ceux qui sont loin égrène les souvenirs qui tout à la fois survivent mais tels des fantômes. « Même les enfants deviendraient des adolescents. Ils seraient comme tout le monde. Il avait fallu un été quelconque, semblable aux autres, pour que je me rende compte que le temps courait et qu’il existait déjà une première vieillesse en moi » p. 165-166.

Ceux qui découvrent Pierre Adrian avec ce roman de rentrée pourront aussi lire ses œuvres précédentes, en particulier La piste Pasolini, Des âmes simples ou encore Les bons garçons, tous trois publiés aux Editions des Equateurs.

+ Pascal Wintzer, Archevêque de Poitiers

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