La musique aujourd’hui
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 6 septembre 2023, n°31 à propos de la musique aujourd’hui
Plus que jamais, la musique, sous toutes ses formes, occupe une place majeure dans la vie contemporaine. De toutes les formes d’expression artistique, elle est une des plus directement liée aux émotions qui semblent être aujourd’hui un moteur essentiel des évènements. Aristote le disait déjà : « Les sons que l’ouïe nous fait entendre constituent la seule de nos sensations à produire un effet moral. »
Ce mois de juillet 2023 est une belle occasion de nous pencher à nouveau sur la place de la musique dans nos vies à travers trois propositions : la sortie d’un livre d’Hélène Daccord intitulé Quand la musique fait l’histoire, la parution du dernier numéro de la revue Sciences Humaines sur le thème Les pouvoirs de la musique et l’organisation d’un festival de musique par le département du Val d’Oise consacré sous le titre Un temps pour elles à quelques femmes compositrices oubliées. La musique dans ce dernier cas participe aux évolutions et aux préoccupations de la société.
Un festival en écho des prises de conscience
Les femmes sont plus nombreuses qu’on ne croit à avoir laissé une œuvre. Elles sont presque toutes ignorées aujourd’hui : quand on parle de femmes musiciennes, on entend surtout leur place d’interprètes, leurs créations restant dans l’ombre. Seuls quelques noms, très peu nombreux, ont traversé les siècles : Hildegarde de Bingen au XIIème siècle, Elisabeth Jacquet de la Guerre au tournant des XVIIème et XVIIIème siècles. Même une Nadia Boulanger qui a pourtant vu défiler chez elles tous les grands noms du XXème siècle, ne s’est jamais considérée comme une compositrice. La mort prématurée de sa sœur Lili, première femme titulaire du 1er Grand Prix de Rome en 1913, a tari sa veine créatrice, elle qui considérait sa musique « pas assez bonne pour être belle et pas assez mauvaise pour être drôle. »
Mais aujourd’hui, qui connaît Clémence de Grandval (1828-1907) et son très beau Stabat Mater, ou Hélène Fleury-Roy, second Grand Prix de Rome en 1904 ? En musique long fut le temps de la reconnaissance : c’est Félix Mendelssohn qui signait les œuvres de sa sœur Fanny, c’est Robert Schumann qui a pris le pas sur sa femme Clara dont on a oublié qu’elle fut aussi compositrice. Que dire d’Alma Mahler à l’ombre de Gustav ? La vie musicale participe à sa manière à ce grand mouvement de remise à leurs justes places des femmes dans la société. Est-elle seulement prise dans ce mouvement, l’accompagne-t-elle ou même l’amplifie-t-elle. En un mot la musique « fait-elle l’histoire » ?
La musique et l’histoire
Le livre d’Hélène Daccord Quand la musique fait l’histoire apporte sa pierre pour alimenter la réflexion. Il ne s’agit pas d’une nouvelle histoire de la musique mais bien d’une analyse nourrie d’exemples développés du rapport entre événements musicaux et événements politiques, qu’ils en soient des révélateurs ou des acteurs. Par exemple, le rapport entre les relations internationales et l’entente de tous pour le choix de la note LA comme diapason de référence unique, est éloquent ! Au fil de la lecture se laisse entrevoir une sorte de typologie possible du lien vie musicale et vie du monde. Ces catégories ne sont évidemment pas étanches entre elles : on n’enferme pas la musique dans des cases. Quelques grandes lignes se laissent entrevoir :
– La musique expression des nationalismes : Wagner ou Verdi ont incarné, plus ou moins malgré eux, leurs nations respectives naissantes. On pense au souhait de certains musiciens français d’interdire de jouer Beethoven parce qu’Allemand, pendant la première guerre mondiale. Des voix se sont élevées il y a peu, pour empêcher une représentation de l’opéra Boris Godounov de Moussorgski parce que Russe…
– La musique instrumentalisée devient arme de propagande ou de publicité. Elle n’est plus dans ce cas expression mais conditionnement destiné à enfermer l’auditeur dans des mécanismes de réflexes pavloviens pour le meilleur et souvent pour le pire ; on pense à Chostakovitch et sa Septième symphonie…
– La musique chemin de liberté. De même que la musique s’échappe de la partition pour laisser les sons se répandre librement dans l’espace, dans le temps et dans les cœurs, elle permet au musicien comme à l’auditeur de s’échapper du réel, de transfigurer l’évènement, de le dilater jusqu’à l’universel. Le violoncelliste Rostropovitch jouant du Bach au pied du mur de Berlin rompu ouvrait à une liberté bien plus profonde que seulement politique. On peut se demander si, dans tous ces événements, la musique fait vraiment l’histoire ou si elle en est comme un témoin révélateur. Elle n’agit pas sur les événements mais sur les consciences, les sensibilités. Si elle est dotée d’un pouvoir, c’est d’abord sur la personne humaine qu’elle agit essentiellement.
Le pouvoir de la musique
Ce n’est pas une découverte : la musique agit sur l’esprit et le cœur de multiples manières et touche la conscience d’autant plus profondément que, comme le dit Vladimir Jankélévitch « elle a un sens et n’a pas de sens ». Parce qu’elle est un « langage sans mots » elle est susceptible d’atteindre le cœur même de la vie, elle exerce un pouvoir qui lui est propre. Le dernier numéro de Sciences Humaines le résume ainsi : « elle ordonne le brouhaha… elle accompagne la conscience humaine… elle exprime les émotions. » Il y aurait lieu ici de nous interroger sur les techniques modernes de diffusion de la musique devenue omniprésente toujours et partout sur toutes sortes de supports, imposant à tous le même modèle sonore. Quel pouvoir dans ce cas la musique exerce sur les sensibilités ? Echo des émotions ou conditionnement ?
Pourtant la musique est capable d’instaurer un juste équilibre entre sensibilité individuelle et ouverture à la respiration du monde, à condition que la recherche exclusive de l’expression d’une sensibilité propre ne soit pas enfermement dans un univers sonore personnel (les excès du baladeur) où la musique devient un produit de consommation. L’expérience musicale offre quelque chose d’unique : parce que nous recevons les sons note après note, nous sommes invités à vivre le temps dans une attitude d’hospitalité permanente à ce qui advient. La musique fait-elle l’histoire, exerce-t-elle un pouvoir ? La musique est pour, celui qui la vit, elle-même une histoire du monde toujours renouvelée.
Emmanuel Bellanger Juillet 2023
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