Thomas Coutrot, Coralie Perez : « Redonner du sens au travail, une aspiration révolutionnaire »

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 8 février 2023 de Thomas Coutrot et Coralie Perez : Redonner du sens au travail Une aspiration révolutionnaire, La République des idées, Seuil, 2022.

Redonner du sens au travailLes débats, grèves, projets qui touchent la réforme des retraites méritent d’être traités  pour ce qu’ils sont, cependant, ils invitent à se tourner aussi vers le travail. Il semble en effet  qu’indépendamment de ses conditions concrètes d’exercice, tout travail soit de plus en plus  perçu comme pénible. Dans ce cas, l’accès à la retraite apparaît comme une libération qui ne  saurait être différée.

La question du sens du travail et même du sens de sa vie apparaît comme une conséquence du  Covid : on parle de Covid long lorsque des personnes souffrent de pathologies qui perdurent, d’une fatigue générale qui demeure ; dans le domaine social, on pourrait aussi parler de « Covid  long ».

« La crise du Covid a poussé des millions de personnes à s’interroger sur leur sens. Mon activité  est-elle essentielle à la vie ? Si oui, pourquoi est-elle si pénible, peu considérée et mal  rémunérée ? Sinon, pourquoi continuer ? Beaucoup désertent les grandes villes étouffantes et  les emplois intenables, en quête d’un habitat apaisé et d’un travail utile, acceptant de moins  consommer et se réjouissant de moins polluer » p. 9.

Les crises conjointes du Covid et de l’écologie, qui ont peut-être quelque chose à voir entre  elles, n’ont pas fait émerger de telles questions mais ont renforcé leur acuité.  Les auteurs rapportent les résultats d’une enquête sur les conditions de travail réalisée de 2013  à 2016. « Le sentiment d’utilité sociale est décrit grâce aux deux questions : ‘’Je fais quelque  chose d’utile aux autres’’ et ‘’je suis fier de travailler dans cette entreprise (cette organisation)’’.  On peut supposer que la fierté revendiquée par les salariés repose sur la réputation dont  bénéficie leur entreprise eu égard à la qualité de ses produits ou services. La cohérence éthique est appréhendée par trois questions : l’une en positif, ‘’j’éprouve le  sentiment du travail bien fait’’ ; deux en négatif, ‘’je dois faire des choses que je désapprouve’’  et ‘’je dois faire trop vite une opération qui demanderait davantage de soin’’. Quatre questions permettent d’évaluer la capacité de développement. Les deux premières  portent directement sur ce sujet : ‘’dans mon travail, j’ai l’occasion de développer mes  compétences professionnelles’’ et ‘’je peux organiser mon travail de la manière qui le convient  le mieux’’. Les deux autres concernent le fait de (ne pas) ‘’ressentir de l’ennui dans mon  travail’’ et ‘’la possibilité de faire des choses qui me plaisent » p. 23.

On constate alors que « Les professions qui trouvent le plus de sens à leur travail présentent  souvent la particularité, quel que soit le niveau de qualification, de placer leurs occupants en  relation avec le public ou les clients […]. Le fait de travailler en contact avec le public accroît  le sens du travail, en renforçant à la fois le sentiment d’utilité sociale et la capacité de  développement, même si, en moyenne, cela favorise aussi les conflits éthiques » p. 27.

Or, c’est au sujet de ces professions, qui sont souvent des « métiers de vocation » que l’on  entend le plus d’insatisfactions : ce pour quoi les personnes se sont engagées, le soin,  l’éducation, mais aussi le service religieux, tend à être de moins en moins honoré ; les  procédures administratives, le management, les contrôles de tous ordres, etc., occupent de plus  en plus de temps au détriment de la relation aux personnes. Des métiers qui étaient sources de  gratification humaine pour ceux qui les exerçaient, et le plus souvent les choisissaient, sont de  plus en plus décevants.

« Le management par le chiffre, adossé aux technologies numériques, impose des procédures  tatillonnes et un reporting permanent qui contribuent à la ‘’bullshitisation’’ du travail, alors que  les nouvelles générations, de plus en plus diplômées, aspirent à d’avantage d’autonomie » p. 9. « Dans de nombreux témoignages que la perte de sens du travail, les mêmes mots reviennent :  process désincarnés, objectifs chiffrés, benchmarking continuel, reporting permanent,  restructurations et changements organisationnels incessants. Ces termes proviennent du  vocabulaire du management par le chiffre, adopté par les grandes entreprises depuis la fin des  années 1990 » p. 47.

Dans un livre publié en 2011, Isabelle Sorente dénonçait déjà cette addiction au chiffre : « Nous  nous soumettons à l’ordre numérique comme l’ordinateur qui exécute un algorithme, sans juger  le résultat : il se contente de fonctionner […]. Bien que la drogue calcul se présente comme une  science, sa logique de consommation – comptez vite, comptez encore, surtout n’arrêtez pas – exclut la complexité comme la finesse mathématique, elle se situe à l’opposé de la vérité scientifique qui aspire toujours à se remettre en cause. » Addiction générale, Jean-Claude  Lattès, 2011, p. 18-19.

« Les politiques publiques continuent à faire comme si la seule motivation au travail était le  gain monétaire. Leur idée fixe est de réduire les allocations ou minima sociaux et/ou lier leur  versement à une obligation de travailler […]. Même si la nécessité de gagner leur vie est le  mobile le plus évident qui les pousse à chercher un emploi, les gens trouvent en général dans  leur travail des mobiles tout aussi importants, comme le sentiment d’être utile, de prendre soin,  de développer ses compétences, d’apprendre des choses nouvelles… » p. 36-37.

De même, la communication d’entreprise, à laquelle les États n’ont rien à envier – ce sont les  mêmes cabinets de com qui travaillent pour les uns et pour les autres – affichent des ambitions  et des résultats toujours étonnamment éthiques… qui convainquent-ils sinon eux-mêmes et  leurs clients ? Le livre de Coutrot et Perez mentionne Orpea… ! très bien notée par des agences  qui évaluent la qualité d’une entreprise, et qui écrit sur son site : « La stratégie globale du groupe  (Orpea) est axée sur la responsabilité sociale et sociétale et la création de valeur. En mettant les  femmes et les hommes au cœur de toutes nos préoccupations, nous faisons de leur  épanouissement le moteur de chacune des actions que nous entreprenons » cité p. 83. Sic !

On pourrait poursuivre dans l’ordre des constats comme dans celui des sourires ironiques ou  désespérés… mais les auteurs veulent aussi proposer ou mettre en avant des modèles de travail  qui honorent davantage les attentes de sens.

Ils présentent en particulier le modèle de l’’’entreprise libérée’’ :

« La méthode repose sur quatre piliers :

– définir clairement la mission de l’organisation, le ‘’pourquoi on travaille ici’’ ; – abolir les normes bureaucratiques et les dispositifs de contrôle ;

– réinventer les processus et les mécanismes de coordination, avec la participation des salariés ;

– repositionner les fonctions support et les managers, de façon à soutenir les salariés au  lieu de les commander » p. 96-97.

« Le travail gagne en sens grâce à la capacité de développement permise par une organisation  plus participative » p. 101. Même s’il est plus intense, la personne s’y retrouve davantage.

« L’autogouvernement s’oppose non pas à l’exercice des contrôles, voire de l’autorité (si celle ci est reconnue librement pour des motifs légitimes), mais au caractère statutaire et non  discutable du pouvoir, hiérarchique et/ou actionnarial. Sa mécanique institutionnelle vise à la  subsidiarité : concilier la maximum d’autonomie à la base avec la cohérence d’ensemble de  l’action collective » p. 102-103.

Alors que nous sommes dans un « processus de transformation », de telles réflexions pourraient apporter quelque clarté à nos choix.

+ Pascal Wintzer, Archevêque de Poitiers

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