De l’humiliation, le nouveau poison de notre société d’Olivier Abel

Fiche de l’Observatoire foi et culture (OFC) du mercredi 30 mars 2022 à propos de l’ouvrage : « De l’humiliation, le nouveau poison de notre société » d’Olivier Abel.

L’humiliation est partout dans nos sociétés et nous ne voulons pas la voir. Nous ne vivons pas, comme au  Japon ou dans les sociétés arabes traditionnelles, au sein d’une « civilisation de honte » où l’humiliation joue  un rôle reconnu dans le fonctionnement social. Au carrefour de la morale stoïcienne enseignant à ne pâtir de rien et de la théologie chrétienne glorifiant l’humilité, notre société serait culturellement insensible à l’humiliation, analyse Olivier Abel.

« D’où vient le plaisir du spectateur à voir humilier un personnage public ? (…) Pourquoi les humains ont-ils  si souvent la tentation d’abuser de leur moindre pouvoir, dès qu’ils peuvent montrer à d’autres qu’ils les  dominent… ? » (p. 11). Le philosophe Olivier Abel montre bien à quoi peut conduire l’attitude de rabaisser autrui. Il y a là un symptôme grave d’une maladie de nos sociétés. On peut distinguer deux sortes  d’humiliation. L’une, verticale, est le fait des institutions (police, armée, prison…), mais aussi l’école, l’hôpital,  l’entreprise. L’autre est horizontale. Elle « se déploie là où il n’y a plus d’institution. Les lieux où il y a une  dérégulation totale des institutions sont aussi les lieux de grande humiliation. On le voit aujourd’hui sur les  réseaux sociaux » (Olivier Abel, La Croix Hebdo, samedi 19 et dimanche 20 février 2022). Il n’est pas sain que  la vie démocratique soit ainsi émaillée de déchaînements d’insultes et de haine. Le comportement des  candidats contamine les échanges entre les citoyens.

Et pourtant, la demande de dignité s’exprime en tous sens, de la « pride » (« fierté ») des mouvements LGBT au « respect » exigé par une jeunesse contrôlée au faciès, du policier ou de l’enseignant insultés en tant que  représentants d’institutions jugées arrogantes, en passant par les « gilets jaunes ». Spécialiste de Paul  Ricœur, qui fut un grand penseur de la reconnaissance, Olivier Abel est convaincant lorsqu’il affirme que  l’humiliation est une question politique et sociale, et non pas seulement psychologique et morale.

L’humiliation se ressent dans la chair, elle passe par la honte, la rougeur des joues, par l’envie de  « s’enterrer ». Mais si cette honte fait taire, qui saura que j’ai été humilié ? Pire : comment pourrais-je savoir que j’ai moi-même humilié ? « En s’attaquant au sujet parlant, à son crédit, à sa réputation, à son droit  d’accès au langage, l’humiliation disqualifie, elle tend à rompre toute possibilité de discussion » (p. 59), explique Olivier Abel.

L’humiliation est donc un objet fuyant et complexe qui « n’est pas quantifiable, mesurable, observable,  comme le sont les coups et blessures » (p. 65). Est-ce à dire qu’il faut être dans le « déni » ? Assurément pas.  Car l’humiliation a des conséquences qui ne se révèlent souvent qu’après coup, engendrant « une violence  future aux effets incommensurables ». Parce qu’elle s’en prend au « visage », à ce que nous avons de plus  vulnérable, l’humiliation, plus que tout autre affect, peut engendrer la vengeance : elle nous fait perdre la  face, elle ruine la possibilité de regarder en face, de se confronter à autrui. Tout au long de son essai, Olivier  Abel, doyen de la faculté protestante de Paris, élève d’Emmanuel Levinas et devenu ami de Paul Ricœur, fait  référence à la Bible. Ainsi à propos du visage, il mentionne Caïn dont le visage est abattu (Gn 4, 5), Moïse qui  se cache le visage (Ex 3, 6), le psalmiste qui décrit « le visage usé par le chagrin » (Ps 6, 8).

À la suite de Ricœur, Olivier Abel pense que dans l’humiliation se trouve l’élément de la reconnaissance. À ce  sujet les expériences sont multiples : atteinte à la renommée et à la réputation, diffamation, discrédit,  vexation et injure, outrage et offense. L’humiliation attaque la reconnaissance et engage pour longtemps du  ressentiment, et un ressentiment qui s’accroît avec le temps.

Comment déjouer l’humiliation ? Comment s’y prendre pour ne pas humilier ? Il nous est possible tout  d’abord d’être attentif à la manière de nous comporter avec autrui, d’entrer en conversation avec lui : ne  pas couper la parole, ne pas clouer le bec. Les premières réactions ne sont pas forcément les bonnes.  Sur-réagir à chaud peut faire monter le conflit très vite, ou encore passer trop vite l’éponge, comme si de  rien n’était, c’est laisser libre cours à un comportement humiliant. Olivier Abel propose de cultiver des vertus  comme le « pardon », l’« oubli » ou l’« humour », qui ont cette faculté d’alléger le ressentiment. Hannah  Arendt dans La condition de l’homme moderne, parle du pardon en ces termes : « Le pardon est la seule  réaction qui ne se borne pas à réagir mais qui agisse de manière nouvelle et inattendue, non conditionnée  par l’acte qui l’a provoqué » (cité p. 190).

L’éducation à l’humour est un autre moyen de desserrer l’étau de l’humiliation.

Quant à l’humour, il suppose une éducation : « Par l’humour on apprend à être “grand” sans arrogance et  “petit” sans être humilié. Il fait ainsi partie de ce qu’on pourrait appeler la chorégraphie élémentaire de la  vie. Car dans la vie, on se déplace, on bouge, on ne reste pas bloqué solennellement ni complaisamment dans  une figure » (p. 206).

Pour Olivier Abel, les écoles, les administrations, les hôpitaux doivent être conçus comme des espaces  protégés par la confidentialité mais aussi comme des lieux d’écoute. Cette transformation des institutions  est la seule manière de construire une « société décente », c’est-à-dire « non humiliante »

L’essai d’Olivier Abel est d’une grande pertinence dans notre actualité politique et sociale. Il nous dit combien  il est urgent d’imaginer ce que serait une société où l’on aurait appris à déjouer au mieux l’humiliation.

+ Hubert Herbreteau

ça peut aussi vous intéresser

Observatoire Foi et Culture

L’Observatoire Foi et Culture (OFC), voulu par la Conférence des évêques de France a pour objectif de capter « l’air du temps » en étant attentif à ce qui est nouveau dans tous les domaines de la culture : la littérature,[...]