Les orphelins de François de Bernard Gheur

Fiche de l’Observatoire foi et culture du mercredi 30 juin 2021 à propos de l’ouvrage : « Les orphelins de François » de Bernard Gheur.

Ce livre révèle un aspect peu connu de François Truffaut : celui de conseiller littéraire. Le romancier et journaliste Bernard Gheur nous dit sa dette à l’égard de François Truffaut dans un double mouvement : celui de la reconnaissance (gratitude) qui conduit à la connaissance d’un homme qu’il n’a fait qu’entrevoir, de loin, une seule fois, à Cannes. Adolescent, l’auteur découvre Les quatre cent coups, il écrit à Truffaut son admiration ; longtemps après il lui envoie une nouvelle, Truffaut répond et l’encourage dans sa vocation littéraire. La suite relève du conte de fées : Bernard Gheur lui soumet le manuscrit d’un roman : Le testament d’un cancre. François Truffaut l’annote. Enfin le manuscrit accepté par Albin Michel, Truffaut en rédige la préface. Le dialogue entre le cinéaste et l’écrivain ne cessera qu’à la mort du premier.

Les orphelins… est une autobiographie éclairée par la présence du cinéaste, avec le souci de dessiner une image de François Truffaut qui ne se réfère pas seulement au témoignage de l’auteur. Pour approfondir la connaissance de François Truffaut, Bernard Gheur en journaliste averti interroge des proches : sa femme, Madeleine Morgenstern, et Claude de Givray. Madeleine Morgenstern à la voix juvénile et rieuse révèle, avec beaucoup de fraîcheur, sa vie avec son mari, la vie aussi de son père, Ignace Morgenstern, distributeur et producteur de films dont l’existence est traversée par les tragédies du XXème siècle : antisémitisme, totalitarisme. Elle dresse un portrait de Truffaut, jeune critique, plus nuancé qu’habituellement, à propos de La Nouvelle Vague, loin du dégagisme : « Ces jeunes gens avaient un but ; faire du cinéma. Ils ne voulaient pas que les autres s’en aillent ; ils voulaient qu’ils leur fassent de la place. » À ce propos, Madeleine Morgenstern rappelle cette phrase de Bernanos que son mari adorait : « J’ai compris que la jeunesse est bénie, qu’elle est un risque à courir – mais ce risque même est béni ». Madeleine Morgenstern évoque l’après-guerre et « le grand éblouissement du cinéma américain » qui trouve un écho dans les souvenirs de son interviewer passionné par les westerns qu’il voyait enfant, accompagné par une grand-mère, veuve très jeune d’un ingénieur des mines, personnage mythique parcourant le Canada à cheval. Sur le ton de la conversation Bernard Gheur souligne ce que sa jeunesse doit au cinéma : tournage de films durant son adolescence, recherche de jeunes actrices, premières amours. La vie de ces adolescents liégeois n’avait rien de tragique, ils cherchaient à découvrir obstinément la vie, dans un collège de jésuites (sévère préfet de discipline cinéphile, admirateur de Bergman), dans la rue pleine de filles (futures actrices) à la sortie des classes.

Évoquant les derniers moments de François Truffaut, Madeleine Morgenstern rappelle la visite du Père Jean Mambrino : « Il a écrit de très beaux poèmes, pas particulièrement religieux. Je me souviens d’avoir entendu rire les deux hommes. François interrogeait le prêtre sur la mort, l’au-delà. Après le départ du Père Jean Mambrino, François m’a dit : ‟ il n’en sait pas davantage que moi ”. » Dans ces récits entrecroisés une place est accordée aux rêves, celui de Madeleine Morgenstern : « Je l’aime encore. Je rêve souvent de lui. Je lui dis ‟ Pourquoi m’as-tu quittée ? Pourquoi es-tu mort si tôt ? ”Je lui fais des scènes affreuses. » Bernard Gheur raconte son rêve : « Madeleine lui dit : ne vous inquiétez pas Bernard. François va arriver… (…) C’est le jeune homme pâle que j’ai vu sur la Croisette. ‟ Allez-y ” me dit Madeleine souriante. Vous avez assez attendu. » François à l’air un peu interloqué. Il me dit : « Pas un visage… Un nom… Oui, un ami. » Comme l’écrit François Truffaut, « Dans le gruyère des cinéastes les trous sont pleins d’esprit ».

François Denoël

Orientation bibliographique

Amédée AYFRE, Un cinéma spiritualiste, Cerf-Corlet, 2004
Bernard BASTIDES (éd.), La correspondance littéraire de François Truffaut, Gallimard, à paraître en 2022
André BAZIN, Écrits complets, édition établie par Hervé Jubert-Laurencin, Éditions Macula, 2018
Jean COLLET, Michel CAZENAVE, Petite théologie du cinéma, Les Éditions du Cerf, 2014
Bernard GHEUR, Interview, RCF, 10 mars 2021
François TRUFFAUT, Correspondance, le Livre de Poche, 1993

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