Danièle Sallenave : »Au sujet de Parole en haut silence en bas »

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 3 mars 2021 à propos du livre :  » Danielle Sallenave, Au sujet de parole en haut silence en bas ».

Avec mesure et justesse, sens de l’histoire, Danièle Sallenave revient dans ce texte sur le rapport de la France à l’islam à l’occasion des attentats d’octobre 2020, des caricatures, du discours officiel désignant des « ennemis », et parlant de « guerre ».

Au moment de la discussion de la loi sur les « séparatismes », des débats de peu d’ampleur à quoi elle donne droit, il est bon de prendre le recul de la réflexion.
Le soupçon, la stigmatisation, peuvent rassurer à bon compte, peuvent flatter les sentiments de peur, en fait les entretenir, mais, à terme, et dès maintenant, ils travaillent à l’opposé de ce qui est demandé à tout responsable : aider la communauté qui lui est confiée à grandir dans l’estime réciproque et la concorde.
Dans sa suite de ses propos précédents formulé à l’occasion de la crise des « gilets jaunes », Danièle Sallenave redit sa déploration de voir négligée la parole des « gens de peu ».

« La grande majorité des gens, au cours de leur existence, ont constaté, expérimenté avec dépit, avec douleur ou dans l’indifférence, le peu de poids de leur parole et ont fini par s’en accommoder ; plus ou moins, en haussant les épaules » (p. 13).

N’ayant pas voix aux chapitres, beaucoup se tournent vers les réseaux sociaux pour s’exprimer, or, comme l’écrit Eric Sadin, ceux-ci « nous encouragent à publier des moments de notre quotidien en vue de recevoir des salves de ravissements. Plus nous vivons une invisibilité sociale, le sentiment de l’inutilité de soi, plus toutes ces interfaces font office de réconfortants instruments compensatoires » (Éric Sadin, L’Ere de l’individu tyran. La fin d’un monde commun, Grasset, 2020, cité p. 16-17).

Le propos de Danièle Sallenave, exprimé dans le titre, est de dénoncer le sentiment de supériorité de certains dans la société, et, partant, de notre société occidentale s’estimant seule détentrice de valeurs universelles, à l’opposé des autres cultures, dont la musulmane avant tout, réputée obscurantiste et dangereuse.

C’est selon ce prisme que sont interprétés les attentats perpétrés sur notre sol. Or, sans rien excuser, les choses peuvent ne pas être si simple. Elle reprend un texte publié par Slate en 2015 : « Les djihadistes nous visent-ils pour nos valeurs et notre modèle culturel ou pour notre politique étrangère ? » (Un article de Florian Bardou cité p. 25).

Elle qui fut enseignante s’interroge sur le fait de montrer à des collégiens des caricatures de Mahomet, dont l’une a un caractère nettement pornographique. Ceci ne justifie en rien l’assassinat de Samuel Paty mais concerne ce que doit être l’éducation.

« Est-ce que moi-même j’aurais utilisé ce dessin dans un cours à l’Université, avec des étudiants, par nature plus âgés, plus mûrs que des collégiens ? Non, sans doute pas. Mais pourquoi ? Par une prédisposition honteuse à la censure, à l’autocensure ? Par complaisance envers une idéologie délétère, par un penchant veule à la soumission ? Ou au nom d’une certaine idée de la responsabilité ? » (p. 33). Plus gravement encore, est-ce le rôle d’une institution publique de placarder, au vu de tous, ces mêmes caricatures sur les façades de ses édifices ? « Est-il bon, est-il juste, est-il responsable d’exposer que la façade d’un édifice public, d’une mairie, des caricatures fortement connotées, issues d’un parti pris géopolitique agressif ? Et de leur donner ainsi, qu’on le veuille ou non, et même si les pouvoirs s’en défendent, une caution officielle ? Nous vivons en société, et il importe que soit assuré bien plus qu’un vague et pieux ‘’vivre ensemble’’, parfois appelé ‘’faire société’’. Il s’agit de faire en sorte que chacun puisse accepter un corps de lois et de règles sans avoir le sentiment, à tort ou à raison, qu’on cherche à l’humilier » (p. 41).

Oui, posons ce constat que nul n’est obligé d’acheter Charlie-Hebdo, de rire ou de ne pas rire à son style ; il en va autrement de ce qu’une collectivité publique met en exergue et en valeur.

« Comment ne pas voir que l’Occident manifeste ici une fois de plus son arrogant sentiment millénaire de supériorité sur l’islam ? » (p. 42).
Selon la pensée chrétienne, nous pouvons disposer de plusieurs citoyennetés, sans qu’elles ne se contredisent ni ne s’opposent. Ainsi un chrétien peut observer les lois de son pays – et il doit le faire, excepté si ces lois sont iniques, tout en voulant être fidèle à Dieu. Poser une supériorité de la loi de la République sur la loi de Dieu est infondé et surtout contre-productif, exacerbant des antagonismes fallacieux. L’alternative est à proscrire, il s’agit de rechercher la conciliation de réalités qui ne sont pas des contraires mais peuvent jouer positivement, chacune dans leur ordre ; la conjonction de coordination qui seule aide à construire est le « et », jamais le « ou bien ».

De même, « réduire à leur attachement religieux et enfermer nos concitoyens de religion et/ou de culture musulmane dans des appartenances héritées, c’est leur interdire de construire des solidarités de situation avec d’autres Français, non musulmans, placés dans des conditions similaires. C’est exonérer les pouvoirs de toute réflexion sur les inégalités scolaires, sur la qualité de vie dans les ‘’quartiers’, sur les conséquences du chômage. Mais il est plus facile de fermer une mosquée que de rouvrir une usine » (p. 49-50).

« La neutralité religieuse voulue par la laïcité ne doit s’appliquer qu’à la sphère publique, et ne peut être un motif pour refuser aux musulmans la libre manifestation dans l’espace public de leur religion, formes du culte ou manière de se vêtir » (p. 50).

On aimerait que les débats parlementaires, loin des affichages complaisants, acquièrent plus de hauteur de vue.

+ Pascal Wintzer
Archevêque de Poitiers

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