Francis Cabrel, à l’aube revenant

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 3 février 2021 à propos du chanteur Francis Cabrel et de son album : « A l’aube revenant ».

OFC CabrelFrancis Cabrel, le chanteur d’Astaffort (Lot et Garonne), a publié son quatorzième album au moment où nous entrions dans la seconde vague de l’épidémie du coronavirus. L’album n’est pourtant pas passé inaperçu. Il fait maintenant le bonheur de tous ceux qui apprécient ce chanteur discret, voire timide, peu enclin à se montrer dans les médias. Avec de très belles chansons mélancoliques, il se livre sur son époque, la planète maltraitée, l’amour ou les mots qu’il n’a su dire à son défunt père. À 66 ans, il reste un troubadour folk de son temps.

L’interprète des indémodables Petite Marie, C’est écrit ou Je l’aime à mourir vit en retrait dans sa grande maison d’Astaffort dont il a transformé l’ancienne grange en studio d’enregistrement où il compose, peaufine, guitare en main, ce que l’inspiration et beaucoup de travail lui dictent. Il crée un album tous les cinq ou six ans. Il confie : « Face à la réalité, la vraie, brutale et violente, l’homme n’a que le pouvoir de création pour s’échapper. Moi, je me suis beaucoup évadé chez des peintres, chez Baudelaire… La poésie n’est nulle part, mais chacun peut se la créer pour trouver refuge et traverser la vie. » Francis Cabrel est marié à Mariette depuis 1974 et mène une vie de père tranquille dans la campagne, à quelques kilomètres d’Astaffort. Il reste présent à la vie locale, communale et on le voit parfois au stade de rugby d’Agen.

Le titre de ce nouvel album traduit toute une symbolique chère à l’artiste poète : l’aube. Il s’agit de cet instant de déchirement, qui chasse la nuit pour laisser place au jour. Avec ce moment bien singulier, Francis Cabrel déploie la mélancolie qui abrite son cœur et son âme. Mais l’aube ouvre sur l’avenir, sur la lumière et la confiance.

• Une des plus belles chansons en lien avec cette symbolique de l’aube est sans doute Peuple des fontaines. Le chanteur parle d’un départ qui déchire son être.
« J’ai confié ma peine au peuple des fontaines / Pour qu’un jour tu reviennes te pendre à mon bras / Dimanche et semaine ne sont qu’une chaîne / De ces jours gris qui n’en finissent pas ». L’artiste chante avec son élégance habituelle, entre guitares et batteries légères et quelques choeurs. Peuple des fontaines n’est pas une chanson autobiographique mais elle décrit un thème éternel des chansons des troubadours.

Cette chanson témoigne du style poétique du chanteur de Je l’aime à mourir. Le déchirement y est bel et bien présent. L’amoureux cherche la dame de son coeur, il expose sa peine sans cacher son envie de la retrouver. La monotonie caractérise le quotidien de cet amoureux. La tristesse est la conséquence de la perte de son amante. La répétition de « toujours », et « les jours gris » exprime une vie hantée par l’absence de l’autre.

• Dans une autre chanson Te ressembler, Francis Cabrel parle de son père comme il ne l’avait jamais fait auparavant. « On ne s’est pas dit je t’aime, on ne s’est pas serré dans les bras », raconte-t-il. Dans le refrain, il revient sur les différences de vies entre eux deux : « J’aurais voulu te ressembler, je le jure / […] un jour j’ai croisé une guitare, j’ai vécu comme on s’amuse / t’avais les pieds sur terre et j’étais tout le contraire. » Ce père, décédé à l’âge de 55 ans, a été ouvrier agricole puis a travaillé dans une entreprise de biscuits. Il avait beaucoup trimé pour faire vivre sa famille. Francis Cabrel rend hommage à ce père avec des mots touchants et authentiques.

• Avec Les beaux moments sont trop courts, Francis Cabrel offre une surprenante chanson, car la rythmique et le phrasé y sont inhabituels, comme si les couplets duraient un peu trop longtemps. « Dehors une averse crépite / Sur les pavés gris de la cour / Mais nos rêves sont sans limites / La jolie dame qui s’abrite / Porte à ses pendants d’oreille, du soleil » Surprenante chanson, mais logique dans l’évolution musicale, textuelle et psychologique du chanteur-artisan. Il s’agit de développer la structure des morceaux (harmonie comme mélodie) jusqu’à arriver à un résultat inattendu. L’artiste puise son inspiration chez d’autres chanteurs célèbres comme Léonard Cohen ou Bob Dylan. C’est à l’adolescence qu’a eu lieu la révélation de Bob Dylan. Il a découvert « le placement rythmique des mots, le mouvement intérieur de la phrase ».

• Une autre chanson remarquable, ayant trait à la vie quotidienne est Parlons-nous. « Parlons-nous, rien qu’un mot, ça va c’est la forme / Un sourire à moitié c’est déjà énorme / Même si ça ne va pas plus loin qu’un signe de tête / Ça dit, tu es là, je t’ai vu, je te respecte / Alors, parlons-nous » C’est une sorte de message adressé aux auditeurs, les encourageant à parler aux autres dans la rue, à ne pas s’ignorer, quitte à dire des choses vides de sens.

• Par ailleurs, Francis Cabrel n’est pas en dehors des préoccupations écologiques du moment. Avec Jusqu’aux pôles il évoque le climat qui se dérègle. Le sujet est traité de manière poétique. « J’ai fumé, j’ai pollué, comme tous les gens de ma génération et, aujourd’hui, je me le reproche. J’ai le sentiment que nous allons dans le mur. Comment nos petits-enfants respireront quand ils auront 25 ans ? En attendant, je mange sainement, j’achète en vrac. Toutes ces questions me tarabustent. » (Notre temps du 22 janvier 2021).

Francis Cabrel entend se relier à une tradition paysanne et occitane. Dans la revue Notre Temps, il déclare : « On m’a très souvent qualifié de troubadour dans la presse, sans doute parce que je chantais des chansons d’amour. Si je ne l’étais pas, j’ai été bien obligé de le devenir ! Pour écrire cet album, j’ai lu quelques livres sur les troubadours du XIe siècle. (…) Je voulais m’inscrire dans cette tradition de poètes chantant l’amour courtois, le respect de la personne aimée, l’amour toujours renouvelé, pur et absolu. C’était aussi une manière de dire que j’appartenais à ce monde occitan, ce grand Sud, entre Limoges, Brive, Toulouse et la Provence, si riche par sa langue, sa culture et sa poésie. Aujourd’hui, c’est important pour moi d’exprimer d’où je viens. »

À l’aube revenant est un bel album qui nous remplit d’espoir et nous donne d’apprécier la belle chanson française.

+ Hubert Herbreteau

Sur le même thème

  • Observatoire Foi et Culture

    L’Observatoire Foi et Culture (OFC), voulu par la Conférence des évêques de France a pour objectif de capter « l’air du temps » en étant attentif à ce qui est nouveau dans tous les domaines de la culture : la littérature, les arts, les sciences. Il s’agit de voir ensuite comment cela rejoint les aspirations profondes de la société […]