Un nouveau genre de cinéma : Citizen Trump de Robert Orlando

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 14 octobre sur « Un nouveau genre de cinéma : Citizen Trump de Robert Orlando ».

CitizenRobert Orlando, né en 1958, s’est fait un nom dans le show business, comme artiste enregistrant et diffusant ses chansons avec ses propres maisons de production, puis d’autres musiques dans des genres variés, y compris pour le cinéma. Depuis quelques années, il s’est lancé dans des films documentaires qu’il écrit et réalise. Pas de distribution dans les grands circuits en salle, pas de recours aux chaînes « majeures » de télévision : le produit peut être acheté par des particuliers ou localement et le buzz médiatique assure la rentabilité.

Le premier a été Silence Patton (Faites taire Patton). George Patton (1885-1945) est un général américain qui s’est illustré pendant la Seconde Guerre mondiale, d’abord en Afrique du Nord, puis en Italie, en France et finalement en Allemagne. Sa maîtrise des mouvements de troupes mécanisées et son style de cow-boy super-efficace et désinvolte font de lui un héros, mais ses initiatives gênent ses supérieurs et surtout les politiques. Au printemps 1945, il sait qu’il peut foncer sur Berlin et y devancer les Russes. Il en est empêché (en vertu des accords de Yalta), révoqué et affecté à un commandement loin du front. On lui refuse d’aller se battre dans le Pacifique. Il meurt en décembre à la suite d’un accident de voiture dont on se demande s’il n’a pas été commandité…

Robert Orlando utilise des documents d’archives (photos, actualités filmées), quelques scènes tournées sur les lieux et des interviews (historiens, journalistes, survivants), lui-même étant le narrateur. La question est de savoir si Patton avait raison d’être prêt à une confrontation « musclée » avec l’Armée rouge, pour la repousser jusqu’aux frontières de l’URSS et empêcher l’Europe de l’Est de tomber sous le contrôle de Moscou. La réponse est nuancée, mais rend hommage à la lucidité pas seulement militaire du stratège de terrain.
Le film suivant est The Divine Plan (Le Dessein de Dieu), où les deux héros sont Ronald Reagan et Jean-Paul II. Par-delà leurs contributions respectives et complémentaires pour « gagner la Guerre froide », ils partagent d’échapper de peu à des tentatives d’assassinat à quelques semaines d’intervalle : le président américain le 30 mars et le pape polonais le 13 mai 1981. Pour Robert Orlando, il n’est pas interdit de voir là quelque chose de surnaturel ou providentiel et en tout cas, même rétrospectivement, un « signe » qui ne doit pas susciter que de l’émerveillement et aussi éveiller encore aujourd’hui à des responsabilités.

Vient de sortir, de la même facture, Citizen Trump (Le Citoyen Trump). Il s’agit d’un rapprochement entre l’actuel président des États-Unis et le héros du célèbre film d’Orson Welles (1915-1955), Citizen Kane (1941). L’acteur-scénariste-réalisateur américain y joue le rôle de Charles Foster Kane, un magnat de la presse qui tire parti de son savoir-faire et de son influence pour entreprendre une carrière politique devant le mener au sommet, mais échoue quand il est révélé qu’il trompe sa femme. Il meurt seul dans son immense palais inachevé de Floride où s’entassent déjà, au milieu des marbres, des objets d’arts hors de prix. Le domaine est appelé Xanadu, en référence à la mythique demeure, célébrée par le poète romantique anglais Samuel Taylor Coleridge (1772-1834), de l’empereur mongol Kubla Khan (1215-1294) qui y accueillit Marco Polo (1254-1324).
Le personnage est inspiré par Randolph Hearst (1863-1951), grand patron de presse qui tenta plusieurs fois de peser sur la politique internationale des États-Unis, mais ne réussit pas à se faire élire, calant à plusieurs reprises au niveau des primaires. Il termina ses jours près de Hollywood dans une énorme et somptueuse villa qui servit plus tard à tourner plusieurs scènes du Parrain (1972) et de ses suites. Indépendamment d’une propriété pharaonique (Mar-a-Logo en Floride – et beaucoup d’autres), Donald Trump a en commun avec Kane et Hearst d’être le fils d’un père déjà riche et d’être entré tard en politique dans un style « populiste ». Mais sa fortune est dans l’immobilier et non dans la presse. De plus, il se distingue des deux autres (le réel et le fictif) en ce qu’il n’a pas (du moins pas encore) été renvoyé dans ses palais.

La question que pose Robert Orlando porte néanmoins sur la motivation de tels hommes. Et c’est ici que Citizen Kane sert à tenter de comprendre M. Trump. Le film d’Orson Welles est précisément construit comme une enquête sur l’histoire de ce « citoyen », avec des témoignages et de nombreux flashbacks (retours en arrière), car Kane est mort en murmurant « Rosebud » (bouton de rose). Le mystère n’est élucidé qu’à la fin : c’est le nom du petit traîneau sur lequel, encore tout jeune, il s’amusait quand on est venu brutalement le chercher pour l’envoyer en pension et y apprendre à gérer l’argent dont il hériterait.

Citizen Trump ne révèle rien sur l’enfance du 45ème président des États-Unis. Mais ce qui ressort des investigations est un invincible besoin d’attirer l’attention. Ses affaires, Mar-a-Lago et le gratte-ciel à son nom sur la Cinquième Avenue au bas de Central Park à New York ne suffisent pas à Donald Trump. Dans les années 2000, il se lance dans la télé-réalité. D’une part avec des tournois (truqués) de catch où il intervient jusque sur le ring pour soutenir ses champions. D’autre part avec une série intitulée The Apprentice, où il joue son propre rôle de grand patron qui soumet à diverses épreuves les candidats à un emploi dans son entreprise et les élimine un à un avec ricanant un « You’re fired ! » (Vous êtes viré). Quand l’émission s’arrête en 2015 (une version française n’aura aucun succès), il tente sa chance en politique, et vise directement le top job, à la Maison blanche, résidence qui ne vaut pas les siennes mais d’où il peut battre des records d’audience.

Le film n’est ni à charge ni à décharge. Il tente faire comprendre un homme qui déconcerte parce qu’il ne semble pas avoir de vision ni de conviction profonde, concentré sur la conquête et la conservation du pouvoir plutôt que sur son exercice, autrement dit sur des moyens érigés en fin. Les résultats ne sont même pas catastrophiques : l’économie se porte plutôt bien. La question est de savoir si le politique peut désormais se réduire à une communication qui divise pour rassembler une majorité minimale et hétéroclite, en renonçant à l’ambition d’une gestion au service de tous les citoyens et même de l’humanité.

Jean Duchesne