Johann Baptist Metz
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 12 février 2020 sur Johann Baptist Metz.
C’est à Münster, où il avait enseigné la théologie pendant trente ans, que Johann Baptist Metz est mort lundi 2 décembre, à l’âge de 91 ans. Disciple de Karl Rahner, il s’éloigne de la théologie du jésuite au profit d’une « nouvelle théologie politique »
enracinée dans la pratique chrétienne. Cette théologie politique proche des théologies de la libération des années soixante, s’efforce de prendre en compte la souffrance des pauvres et des exclus.
Avec Joseph Ratzinger, il partageait l’idée que le monde occidental fait face à une crise spirituelle dont la cause est « l’oubli de Dieu ». Metz, comme Ratzinger, mettait en garde contre le règne d’une croissante amnésie culturelle, de l’individualisme et d’un « athéisme gentiment religieux ». Plusieurs livres de Metz m’ont profondément marqué. Tout d’abord Memoria passionis Cerf, 2009. Trente ans auparavant La foi dans l’histoire et dans la société, Essai de théologie fondamentale pratique, Cerf, 1979, posait les bases d’une théologie fondamentale pratique.
• Dans Memoria passionis, Metz affirme que, face à la souffrance des humains nos discours sur Dieu sont bien insuffisants. Comment Dieu est-il pensable devant l’insondable souffrance du monde ? Il écrit : « Je n’ai cessé de sentir rebondir en moi le problème de Dieu dans sa version la plus singulière, la plus ancienne et la plus indiscutée, autrement dit sous la forme de théodicée, dans sa version, non pas existentialiste, mais d’une certaine façon politique : le discours sur Dieu comme cri d’appel pour le salut des autres, de ceux qui souffrent injustement, des vaincus de notre histoire » (Memoria passionis p. 10). Le théologien affronte donc la question de Dieu à partir du cri de ceux qui souffrent. Plusieurs réponses ont été apportées à cette question par les théologiens. Pour Metz, elles ne sont pas satisfaisantes. À la suite de saint Augustin, on peut excuser Dieu en mettant la souffrance au compte de la liberté humaine. Dans son traité De libero arbitrio saint Augustin fait exclusivement reposer la cause du mal et de la souffrance dans le monde sur la responsabilité de l’homme et sur le non qu’il oppose à Dieu, celui qui s’enracine dans l’histoire du péché originel » (p. 18).
Avec les théologiens contemporains, faut-il parler alors de « souffrance de Dieu ? « Il est devenu courant de parler de Dieu qui souffre avec nous, de souffrance entre Dieu et Dieu, de souffrance de Dieu, de souffrance en Dieu » (p. 18). Pour Metz, n’y a-t-il pas là une réponse venant rassurer devant la souffrance que l’on éprouve ? « Ces propos sur le Dieu qui souffre ne sont-ils pas par trop spéculatifs, œuvrant presque à la façon d’une réconciliation gnostique avec Dieu dans le dos de l’histoire de la misère humaine ? » (p. 25). Metz entend mettre en question les propos aujourd’hui privilégiés sur le Dieu souffrant. Il s’agit plus que jamais de s’impliquer dans la vie sociale. Le christianisme est une « religion au visage tourné vers le monde »
(p. 9).
J’ai beaucoup apprécié les pages sur une mystique qu’il qualifie de « mystique du mal à Dieu » (p. 68) que l’on rencontre dans la prière traditionnelle d’Israël. Israël est un pays de cris. « C’est là dans ce cri et avant tout dans lui que Dieu est là. »
Le chapitre « Contre la fascination de l’amnésie culturelle » est une belle réflexion sur le temps et sur le christianisme apocalyptique : « Le message du christianisme repose sur la structuration élémentaire du temps qu’opère la mémoire, sur ce souvenir des souffrances au sein desquelles Dieu s’est fait connaître comme le Dieu sauveur » (p. 119).
• Metz a beaucoup réfléchi sur le concept de mémoire. Pour lui, c’est uniquement en étant le « souvenir dangereux de la liberté de Jésus Christ » que la foi chrétienne conserve une pertinence. C’est dans son livre paru en 1979 : La foi dans l’histoire et dans la société, qu’il précise l’objectif d’une théologie politique : « Elle voudrait reprendre la tâche ancienne et toujours semblable de la théologie chrétienne : parler du Dieu de Jésus, en s’efforçant de faire voir comment le message chrétien se rapporte au monde actuel, et de le transmettre à ce monde comme un souvenir dont la dette n’est pas acquittée et qui reste dangereux » (p.108).
Le chapitre V de ce livre explicite la thèse qui pourrait servir de base théologique au thème de la théologie politique : « Dans la foi, les chrétiens accomplissent la memoria passionis, mortis et resurrectionis Jesu Christi ; croyants ils se souviennent du testament de son amour : la domination de Dieu parmi les hommes y apparaît précisément du fait que la domination entre hommes y est d’entrée de jeu écartée, que Jésus s’est reconnu lui-même dans les gens obscurs, les exclus, les opprimés, et qu’il annonçait ainsi la domination de Dieu à venir comme force libératrice d’un amour sans réserve » (p. 109). Là s’enracine le véritable esprit de la réforme ecclésiale. L’Église, marchant à la suite de Jésus se doit d’être proche des minorités oubliées et opprimées de la société.
• En 2012, un ouvrage Espérer envers et contre tout, Salvator, réunissait deux voix, celle du théologien Metz et celle d’Élie Wiesel, rescapé de la Shoah. Ce livre n’est pas un livre de dialogue mais les deux hommes sont interrogés successivement sur leur parcours et sur la manière dont ils ont affronté les questions théologiques qui se posent à propos d’Auschwitz. Comment continuer de croire en l’homme en sachant ce dont il est capable ? La foi qu’elle soit juive ou chrétienne, est-elle encore possible ? Cet ouvrage est une bonne introduction à la pensée du théologien Metz. Metz a eu le souci de penser la théologie après la Shoah. Il considérait qu’Auschwitz signale une horreur pour laquelle la théologie n’a trouvé aucun langage, une horreur qui fait éclater toute l’assurance théologique du discours chrétien. C’est un théologien à ne pas oublier compte tenu de l’actualité de notre monde.
+ Hubert Herbreteau