Une certaine inquiétude de François Begaudeau et Sean Rose

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 5 juin 2019 à propos « d’Une certaine inquiétude » de François Begaudeau et Sean Rose.

Une certaine inquiétudeDans Une certaine inquiétude François Bégaudeau et Sean Rose échangent sous forme épistolaire à propos du christianisme. L’un est athée et déclare : « S’il s’agit de transmettre des valeurs, qu’avons-nous besoin du christianisme ? La morale humaniste y suffit, qui n’a jamais fait que séculariser, en les amendant à peine, les axiomes de la morale chrétienne. (…) Ce que je viens chercher dans le christianisme, ce que j’ai la sensation de pouvoir y trouver n’est sûrement pas une morale… » (François Bégaudeau, p. 46 et 49).

L’autre est un croyant qui exprime sa joie de croire malgré le doute : « Le christianisme est une religion de l’incarnation, c’est ce qui m’y plaît tant. Mourir à soi et renaître à la lumière. Les cloches de Pâques ont sonné, les orgues muettes durant toute la période du carême ont retenti, l’église Saint-Georges s’est illuminée de la joie d’accueillir les nouveaux chrétiens » (Sean Rose p. 67).

Qui est François Bégaudeau ?
Né à Luçon en Vendée, François Bégaudeau passe toute son enfance à Nantes. Il est le fils d’enseignants dans un environnement classé à gauche, son père étant « plutôt parti communiste français ». Durant ses
années d’études supérieures, il fonde le groupe punk rock Zabriskie, dont il est le chanteur et le parolier. Agrégé de lettres modernes, il poursuit d’abord une carrière d’enseignant. Il écrit des articles pour les Cahiers du cinéma dont il devient le rédacteur à part entière à partir de 2003. Auteur de nombreux essais et romans, il est aussi, entre autres, réalisateur de Entre les murs, un essai qu’il adapte pour la télévision et dans lequel il relate le quotidien d’un enseignant dans le nord de Paris. Incisif, ce film eut un assez grand retentissement (palme d’or à Cannes en 2008).

Qui est Sean Rose ?
Sean Rose est né à Saïgon en novembre 1969. Il est de nationalité britannique. Après des études de Droit, de philosophie et de langues orientales, il a collaboré à Lire, aux Inrocks, à Libération etc. Il est actuellement chroniqueur à France24. Sean Rose est un croyant pratiquant… tellement désorienté par les réalités humaines, trop humaines, qu’on pourrait dire qu’il doute beaucoup.

Qu’est-ce qu’avoir la foi ? Que signifie qu’on l’abandonne ou que l’on s’en passe ? L’échange épistolaire de ces deux écrivains quarantenaires nous montre combien ce sujet demeure vif, brûlant, inquiet. Pour eux, la question de Dieu n’est pas réglée, et les interrogations sur le Christ, le mal, l’amour et la haine sont nombreuses.

François Bégaudeau est un athée déclaré tellement questionné par le geste du Christ qu’on pourrait dire qu’il croit un peu. Ainsi, il propose cette définition de l’amour du prochain : « Non celui qui habite à côté, mais celui qui passe à côté. Qui passe par là. Le premier venu. N’importe qui. Le Christ aime n’importe qui. L’aime indépendamment de ses mérites et démérites. Inconditionnellement. N’importe qui inclut mes ennemis, que le Christ m’engage à aimer, mais aussi les gens que je déteste » (p. 90). Et il s’interroge : « Qu’entend le christianisme par aimer, s’il s’agit d’aimer celui que je n’aime pas » (p. 91).

Sean Rose, quant à lui, livre ses hésitations, exprime la fragilité de sa foi. Il s’interroge sur le mal et le malheur : « Pour tout avouer, en ces temps difficiles, je ne me sens guère habilité à parler foi, il faudrait plus de mains que je n’en ai pour protéger la flamme. Plus que jamais, je suis croyant sceptique. Si notre conversation sur la zone grise de la foi et du doute s’est longtemps dégagée de la clameur du monde, de sa fureur et de son effroi, si nous avons laissé l’actualité au seuil, la question du mal me hante et avec elle celle des vertus chrétiennes pour le combattre revient sur le tapis… » (p. 105-106). La question du mal est abordée par les deux auteurs avec beaucoup de gravité. Des événements récents comme l’assassinat du père Hamel ou l’attentat de Nice, font l’objet d’échanges très profonds. Sean Rose fait référence à la vision de l’enfer par le starets Zosime dans Les Frères Karamazov. François Bégaudeau lui répond en citant Journal d’un curé de campagne de Bernanos.

Les réflexions sur la pauvreté et la richesse ont une dimension évangélique. « Dès lors, que ferons-nous de notre confort ? Nous contenterons-nous de penser aux pauvres ? Pour ma part j’ai coutume de dire qu’il faut penser avec les pauvres, depuis les pauvres… » (François Bégaudeau, p. 162). « Mais si le pauvre est la figure emblématique, c’est d’une part, je vais me répéter, à cause du mouvement d’humilité, d’abaissement – la kénose – qui fut au départ de l’incarnation du Verbe divin en l’humanité de Jésus et d’autre part, et précisément pour cette raison, parce que Dieu, étant Dieu du vivant, aime et prend soin de tout ce qui est la vie jusque dans sa plus faible expression : le pauvre, le malade, le moribond, l’enfant à naître… » (Sean Rose, p. 165-166).

L’échange entre ces deux écrivains est une dispute théologique rythmée par une belle amitié. Leurs confidences sur des vies parfois chaotiques font place au paradoxe : l’athée se déclare soudain « écrivain chrétien » quand le croyant lutte pour ne pas perdre une foi précaire. Il y a une sorte d’impatience et de souffrance dans les pages de ce livre magnifique. Les deux auteurs cherchent la vérité et nous invitent à faire de même.

Hubert Herbreteau