Quelques miettes d’actualités culturelles*

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) n°37 sur « Quelques miettes d’actualités ».

OFCDe nouveau en 2018, le Prix Nobel d’économie n’est pas sans intérêt pour les non-spécialistes. L’an dernier, le lauréat était Richard Thaler, pour avoir montré pourquoi les prévisions sont si peu fiables : des éléments émotionnels non mathématisables rendent les choix illogiques et donc les évolutions en grande partie erratiques (1). Cette année, deux autres Américains sont distingués, pour des travaux sensiblement différents.

– William Nordhaus (né en 1941) a montré « comment l’activité économique interagit avec la chimie et la physique basiques qui conduisent au changement climatique ». C’est une confirmation importante de la thèse, soutenue par la grande majorité des scientifiques et contestée par les « climatosceptiques », que le réchauffement de la planète est dû au moins pour une bonne part à l’homme. Ceci dit, Nordhaus n’étudie pas seulement l’économie comme cause du changement climatique ; il examine aussi les conséquences de ce changement sur l’économie, en développant plusieurs scénarios. Il y a là du grain à moudre pour la prochaine COP 24 (début décembre en Pologne).
– Paul Romer (né en 1955) retourne pour sa part une idée reçue : l’innovation technologique est le principal moteur de l’épanouissement économique. Or la réciproque serait également vraie : les marchés suscitent de nouvelles idées. La nécessité de la croissance pousse en effet grandes entreprises et États à subventionner la recherche, qui ne peut rester totalement tributaire de découvertes isolées et imprévisibles, voire accidentelles. Néanmoins, la concurrence et l’appât du gain n’encouragent pas le partage des connaissances, et c’est ce qui peut expliquer que les disparités se creusent entre pays « riches » et « pauvres ». MM. Nordhaus et Romer (ce dernier surtout, qui a dû démissionner de la Banque mondiale) ne font ni l’un ni l’autre l’unanimité chez leurs pairs. Ils ont cependant en commun le mérite d’interroger sur la « durabilité » du modèle désormais universel de la croissance.

2. Le politologue américain Robert Kagan (né en 1958) a été considéré comme un des chefs de file du « néo-conservatisme ». Il rejette aujourd’hui cette étiquette, et plus précisément l’illusion que les libertés démocratiques répondent aux aspirations naturelles de tous les peuples et qu’il suffit de renverser les tyrans (par exemple Saddam Hussein) pour que s’établissent la paix et la prospérité. Dans son dernier livre, The Jungle Grows Back (La jungle regagne du terrain, pas encore traduit en français), il regrette que la politique de « l’Amérique d’abord », menée par l’actuel président des États-Unis (qu’il ne nomme toutefois jamais) et largement motivée par les échecs en Irak et en Afghanistan, se fonde quasi uniquement sur des intérêts économiques à court terme. En réalité, dit-il, le libéralisme américain (dans les trois acceptions du terme : politique, économique et moral) n’est pas en sécurité si d’une part il tolère et même soutient des dictatures (Arabie saoudite, Égypte…), et si d’autre part s’il trouve que la protection et les avantages offerts à ses alliés démocratiques (principalement en Europe) lui coûtent trop cher. Autrement dit, affirme M. Kagan, les arbres qui portent des fruits de liberté exigent d’être cultivés et soignés dans le monde entier, car sinon les mauvaises herbes et les plantes parasitaires les étouffent et l’anarchique forêt vierge de la jungle darwinienne regagne du terrain, menaçant les jardins et vergers les mieux clos.

3. Le livre de Stephen Smith (né en 1956), La Ruée vers l’Europe est paru en février dernier chez Grasset. M. Macron l’a cité dans une interview en avril. On n’en parlerait peut-être plus (ou moins) si le site Mediapart ne l’avait relancé en publiant début octobre une démolition par deux chercheurs en sciences sociales. Le sous-titre de l’ouvrage est La jeune Afrique en route pour le Vieux Continent et la thèse est que « 20% à 25% de la population européenne » sera « d’origine africaine » vers 2050. Cette prédiction se fonde sur la démographie : elle explose en Afrique ; elle stagne et même baisse en Europe. Mediapart voit là une incitation à la peur, à la xénophobie et au racisme, et fait valoir que les chiffres de M. Smith (bientôt 150 millions d’Africains en Europe) sont très exagérés par rapport à ce que prévoient le Fonds monétaire international et l’ONU (32 millions). Mais une thèse secondaire et sans doute plus dérangeante de M. Smith (qui est américain mais a été responsable du service « Afrique » à Libération, puis au Monde avant de retourner enseigner aux États-Unis) n’est pas remise en cause : c’est que les Africains qui émigrent ne sont pas les plus pauvres, mais ceux qui ont assez d’argent pour avoir des portables et payer les passeurs, et des compétences qui leur permettent d’espérer se faire une place en Europe. Une conséquence est qu’une aide accrue au développement en Afrique risque de faciliter les départs au lieu de les démotiver et d’affaiblir ainsi les classes moyennes et instruites dont le continent a besoin pour sa croissance. Le défi devient dès lors de créer les conditions sociopolitiques qui encourageront les jeunes Africains les plus dynamiques et qualifiés à rester.

Kler4. Les dénonciations de scandales impliquant des prêtres ne se limitent pas à l’Europe de l’Ouest et aux Amériques. En Pologne, où l’Église a bénéficié du prestige de sa résistance au nazisme puis au communisme, le film Kler (Clergé) du cinéaste Wojcieh Smarzowski (né en 1963) bat les records depuis sa sortie fin septembre (plus 3 millions de spectateurs, diton) et divise : les uns voudraient l’interdire comme blasphématoire et antipatriotique, les autres y voient illustré ce que savent ou pensent la plupart des Polonais, catholiques compris. De fait, le réalisateur et coscénariste (qui s’en était précédemment pris aux mœurs dans la police) décrit l’itinéraire de trois prêtres et un évêque censés prototypiques : l’un fait carrière dans les bureaux, un autre est à la tête d’une grosse paroisse et un troisième peine dans un trou perdu, tout cela sous un prélat cynique qui se promène dans une voiture de luxe. Et tout y passe ; affairisme et cupidité, marchandage pour les sacrements, alcoolisme, abus sexuels en tous genres (du curé qui conseille à sa maîtresse d’avorter à des accusations de pédophilie), défense de privilèges qui assurent à la caste sacerdotale l’impunité… L’astuce est de suggérer que ces prêtres indignes ne sont pas de « purs salauds », mais les produits d’un système fondé sur l’hypocrisie, dont eux-mêmes ont été victimes dans leur jeunesse et le restent. La faiblesse de ce réquisitoire n’est pas seulement d’insinuer que ce quatuor est représentatif de tout le clergé. Elle est probablement plus encore (d’après ceux qui ont vu le film) de ne reconnaître aucune consistance à tout ce qui est ainsi trahi et qui est bien plus crûment affligé, sans être pour autant invalidé, par ces reniements dissimulés que l’anticléricalisme ne peut complaisamment s’en indigner.

Jean Duchesne

(1) Voir la Fiche OFC 2017 n°41

* Ce titre s’inspire (cavalièrement, certes) des Miettes théologiques où Kierkegaard en 1844 comparait les conceptions grecque et chrétienne de la vérité.