Si nous parlions du Carême ! par le père Gildas Kerhuel
En même temps, nous tous, évêques, prêtres, équipes pastorales, liturgiques ou autres, feront notre cure de réunions du soir, d’homélies à thème, d’efforts multiples pour sortir nos communautés des ornières du quotidien, en accélérant le pas sur la route qui mène au Christ… Il y a, enfin, last but not least, tous ceux pour qui cela ne dit plus rien… au-delà de la faible nostalgie des engouements d’antan !
Le Carême se vit « la tête parfumée »
L’élan du Carême se nourrit de l’attractivité de Pâques. Si celle-ci, à l’aune du monde moderne, décline, celui-là sombre. Il n’en devient dans le contexte actuel, par contraste, que plus étonnant que, préparant si rapidement ou bien peu nos messes de chaque dimanche, nous ne prenions pas moins de quarante jours pour préparer celle de Pâques ! Consentir à un tel effort et l’organiser souligne, dans les faits au-delà des mots, l’exceptionnalité et la centralité de cette grande fête dans notre vie de croyants. Cela rappelle en même temps à tous ceux qui s’y consacrent et la promeuvent que nos efforts de Carême dans les trois grandes directions du partage, de la prière et de l’ascèse l’ordre n’est pas indifférent , traditionnels en Église depuis que Matthieu eut écrit le chapitre six de son évangile, ne sont pas des préalables à cette fête, mais des conséquences de notre foi. C’est bien elle qu’il convient de nourrir en premier, en contexte d’évangélisation, si l’on veut dépasser nos simples habitudes pour atteindre un point de vérité dans le va-et-vient œuf et poule… entre la foi et les œuvres dont parle si bien saint Jacques…
L’une des conséquences en est que le Carême, au-delà de la nécessaire reprise en main de nos travers récurrents, se vit « la tête parfumée » (Mt 6) dans la lumière et la joie pascale qui nous baignent depuis deux mille ans. Évidemment, pour la visibilité médiatique, c’est moins payant ! Il y a manière et manière d’en rendre compte. L’arbre, dit-on, se juge à ses fruits…
À ce niveau, il est évident que la joie profonde dont nous devons rayonner est bien différente des paillettes d’une société souvent artificielle. La grâce du Carême est à inscrire dans les attentes de nos contemporains sur de vrais sujets qui tracassent les personnes et interrogent les systèmes socio-économiques comme les régimes politiques. De quelle qualité humaine, de quel équilibre de vie, de quel respect de la nature entre pénurie de pétrole, taux d’oxyde de carbone en ville et de nitrate en rural, de quel souci de l’autre, à notre porte ou au loin, sommes-nous artisans à notre niveau et selon nos responsabilités, avant de devenir témoins ? L’opinion publique de Jean-Baptiste déjà, dans le sillage de tous les saints ensuite, et jusqu’à aujourd’hui, ne s’y trompera pas. Le Carême, de par nos actes, nous appelle à « rendre compte de l’espérance qui est en nous ».
L’action se nourrit de la prière et de l’Eucharistie
L’étonnant raccourci de Benoit XVI qui, dans les numéros 12 à 14 de sa première encyclique Deus caritas est, passant en vingt lignes de l’incarnation par la rédemption à l’Eucharistie, recentre bien nos démarches sur Celui qui en est la source. Il nous redit que l’action, après l’analyse, se nourrit de la prière et de l’Eucharistie, et nous constitue vraiment disciple du Christ. C’est par Lui et en Lui que nous avançons pour Lui, en puisant sans cesse dans son corps la force de vivre de son Esprit : « L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. […] L’union avec le Christ est en même temps l’union avec tous ceux auxquels Il se donne. […] La communion me tire hors de moi-même […] » (Deus caritas est 13-14).
Devant un tel programme à mettre en œuvre comme à vivre, comment s’étonner qu’il nous faille nous préparer quarante jours, avant de renouveler au cœur de la nuit notre engagement à sa suite à l’occasion de ce grand anniversaire ?…