« Je suis le disciple de celui qui est sans papier », par Mgr Bernard Ginoux
Je pensais évidemment à tous ces millions d’êtres humains condamnés à mourir dès leur conception parce qu’ils ne sont pas « aux normes », parce qu’ils dérangent, parce que la société ne veut pas les accueillir. Je voyais l’immense cortège des enfants mourant faute de soins élémentaires, ceux que les criminels enrôlent comme soldats, tous ceux qui sont vendus à des adultes pour des divertissements odieux, ceux que l’injustice sociale condamne à survivre de méfaits.
Mais plus discrets encore étaient, en fond de passion du Christ, ces malades, ces vieillards, ces handicapés abandonnés parce qu’ils n’intéressent personne tandis que des législations veulent imposer leur disparition « douce » par l’euthanasie justifiée au nom de la compassion !
Et puis venaient encore toutes les victimes des guerres, des luttes pour le pouvoir, toutes ces personnes déplacées, qui n’existent pas devant les enjeux politiques et économiques.
C’est là, qu’au milieu de bien d’autres, une catégorie de ces « crucifiés » est apparue : on les désigne souvent comme des « sans ». Ils sont sans papiers, sans travail, sans revenus, sans prestations, sans logement, sans avenir…
Je peux les rencontrer, les croiser dans la rue entre deux centres d’hébergement, ou à la porte d’un organisme caritatif. Mais la loi est formelle : l’article L.622.1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers me dit que je ne dois pas m’en occuper… ne pas les aider.
Dans l’étranger, l’Eglise voit le Christ qui frappe à notre porte
Et puis je relisais les nombreuses prises de position de l’Eglise depuis des années : « L’Eglise se sent le devoir d’être proche, comme le bon samaritain, du clandestin et du réfugié, icône contemporaine du voyageur dépouillé, roué de coups et abandonné sur le bord de la route » Jean Paul II et au n°101 de l’instruction Erga Migrantes Caritas Christi : « Dans les étrangers » l’Eglise voit le Christ qui « plante sa tente parmi nous » (Jean 1,14) et qui « frappe à notre porte » (Apocalypse 3,20).
Ces hommes, ces femmes, ces enfants sont là à nos côtés, discrets, silencieux. Ici à Montauban en particulier, une dizaine de familles : des parents, des enfants (scolarisés chez nous !) qui sont à tout moment expulsables… Il ne s’agit pas de savoir si ce sont de « bons » ou « mauvais » étrangers, des « sans » ou « avec » papiers, il s’agit de leur dignité, de leur légitime demande d’exister en tant que famille et de pouvoir vivre sans être à nouveau séparés, abîmés, rejetés.
Tous sont nos frères et nos soeurs. Humainement, nous ne pouvons pas rejeter des familles constituées, semblables à toutes les familles.
Chrétiennement, nous avons à nous demander « que fais-tu de ton frère ? » (cf. Genèse). Nous avons à nous rappeler, selon ce qu’écrit Benoît XVI dans son encyclique « Dieu est Amour » : « La charité chrétienne est avant tout simplement la réponse à ce qui, dans une situation déterminée, constitue la nécessité immédiate. » (n°31).
« Jésus ressuscité n’avait pas d’existence légale puisqu’Il était mort ». Il ne pouvait donc avoir de papiers en règle.
Avec Saint Paul nous pouvons dire « L’amour du Christ ressuscité nous pousse » (2 Corinthiens 5,14) et nous pousse vers eux pour leur tendre la main. Dans la joie de Pâques nous sommes passés de la mort à la vie, avec le Christ nous sommes ressuscités. Il est vivant pour tous les hommes. Nous en témoignerons en aidant les autres à vivre et à vivre debout. C’est pourquoi l’Eglise se fait proche du réfugié, du migrant, du clandestin … Mais, d’ailleurs, je me suis dit « Jésus ressuscité n’avait pas d’existence légale puisqu’Il était mort ». Il ne pouvait donc avoir de papiers en règle. Si on l’avait trouvé, on l’aurait arrêté… et, pourtant, Il était Le Vivant !
Vivre Pâques dans nos vies c’est permettre à tout être humain de se relever, c’est le regarder comme celui que le Christ dans sa passion a rejoint pour le faire vivre en ressuscité.
C’est pourquoi, fidèle au Christ, fidèle à l’Eglise du Christ je suis et je serai toujours « aidant » envers toute personne humaine afin que sa dignité soit respectée. Tout chrétien, mais aussi tout citoyen, qui se réfère à la fraternité humaine ne peut que faire de même. Je suis le disciple de celui qui était « sans papiers ».
Bernard Ginoux, Evêque de Montauban
22 avril 2009