« A la lumière de la Parole de Dieu, rechercher de nouveaux modes de vie », par Mgr Brunin

Chrétiens, nous entrons en Carême avec le Christ et comme le Christ qui a vécu quarante jours au désert. L’Évangile que nous entendrons le jour du mercredi des Cendres (Mt 6,1-6.16-18), nous invite à trois pratiques structurantes de notre itinéraire spirituel de Carême et, au-delà, de notre devenir chrétien : l’aumône, la prière et le jeûne. L’Evangile nous provoque à discerner ce qui peut se cacher d’hypocrisie dans notre manière de jeûner, de prier et de partager. Le propos de Jésus est limpide : ce qui compte, ce n’est pas le regard de ceux qui nous entourent, mais c’est le regard de Dieu qui « voit dans le secret ». La pratique de l’aumône, de la prière et du jeûne a donc bien pour finalité d’ouvrir notre cœur et de le réorienter vers Dieu et vers les autres. Ce ne peut être une simple apparence, mais une décision prise dans le secret de notre cœur.

La démarche de conversion personnelle s’inscrit dans un temps et un contexte social particulier que nous ne pouvons ignorer. Vivre pleinement le Carême comme temps de grâce pour nous-mêmes et nos communautés, est une responsabilité qui revêt un caractère missionnaire. Nos vies renouvelées dans de nouveaux comportements et des relations renouvelées, deviennent signes de ce que la puissance de l’Evangile opère dans une existence humaine. Suivant la dynamique du projet diocésain, par notre conversion personnelle, nous contribuons à faire vivre des communautés missionnaires ! Le témoignage de notre foi ravivée peut redonner souffle. Libérés, par la grâce de Dieu, de l’illusion narcissique et de la violence qui lui est liée, nous pouvons contribuer à renouveler la vitalité spirituelle de nos communautés et contribuer à rendre une âme à la société que nous habitons.
 

Toi, quand tu fais l’aumône …

La pratique de l’aumône et du partage prend un relief particulier en ce temps de crise socio-économique dont les conséquences sont lourdes pour les personnes et les familles les plus fragiles. Elles sont les premières et les plus gravement atteintes. Les situations de précarité et de misère sociale engendrent souffrances, peur de l’avenir, repli sur soi, solitude, tentation de colère et parfois de désespoir… L’Eglise nous propose de vivre le temps du Carême comme un moment où nous reprenons conscience de l’urgence de la solidarité et du partage avec les autres. Ce sont les formes concrètes données à la charité du Christ qui traverse notre vie croyante.
 

Toi, quand tu pries …

La prière est essentiellement un décentrement de soi-même. Elle nous libère de l’illusion de la toute-puissance et nous fait prendre conscience de nos propres fragilités et indigences. La vraie prière n’est pas monologue avec soi, ni introspection narcissique. Pour être une authentique rencontre avec le Seigneur, la prière se nourrit du contact avec la Parole de Dieu accueillie par la médiation des Ecritures, seul ou en communauté de croyants.

La prière devient lieu de notre conversion personnelle. Sans elle, les chrétiens ne peuvent annoncer le salut aux hommes. Notre monde promeut des valeurs et imposent des rythmes qui ne laissent guère de place à l’ouverture à une transcendance. Parfois, notre société semble s’affaisser sur elle-même et l’horizon se bouche pour beaucoup. Les impératifs de la croissance économique enferment les individus dans un consumérisme narcissique et un matérialisme étroit qui créent un vide existentiel. Combien de jeunes, par exemple, vivent dans une profonde incertitude du lendemain et un nihilisme pratique. Quand surviennent les difficultés, ils ne peuvent plus trouver en eux les ressources qui les feront traverser l’épreuve car leur intériorité est vide. Ils en perdent alors leur dynamisme et le goût de vivre, se laissant aller à toutes sortes de dérives. Par le témoignage de l’accueil de la Parole et de la prière, les chrétiens proposent aux autres une culture de l’intériorité façonnée et nourrie du contact avec le Christ et son message de vie et de bonheur.

 

Toi, quand tu jeûnes …

L’invitation au jeûne nous rend vigilants sur les appétits qui nous tenaillent. Souvent, ils sont entretenus par le souci trop exclusif de l’argent et du profit. Dans son enseignement social, l’Eglise n’a cessé de dénoncer ce qui s’apparente à l’idolâtrie. « Le monde contemporain ne s’est-il pas créé ses propres idoles ? … Saint Paul explique aux Colossiens que la cupidité insatiable est une idolâtrie (Col. 3,5)… L’argent, la soif de l’avoir, du pouvoir et même du savoir n’ont-ils pas détourné l’homme de sa fin véritable, de sa propre vérité ? » En revanche, quand le souci de l’homme, de tout l’homme et de tous les hommes redevient prioritaire, la confiance renaît » (Benoît XVI, homélie sur l’Esplanade des Invalides – septembre 2008).

Notre société est encore travaillée par l’affairisme et la violence. Le respect de la vie est tragiquement bafoué, que ce soit dans les scandaleux homicides ou les trop nombreux suicides, souvent liés à la culture des armes, les violences routières, les violences conjugales ou encore le triste record du nombre des avortements en Corse. Autant de signes d’une société qui perd confiance en elle-même et qui conduit les individus à se laisser aller à leurs pulsions de mort et à se laisser dicter leurs comportements par l’appétit des richesses et la défense de leurs intérêts particuliers, au mépris des autres et du bien commun. Dans un tel environnement social qui déroute et désespère bon nombre de nos contemporains, les chrétiens doivent pouvoir donner le témoignage d’une vie d’hommes et de femmes transformée par l’Evangile. Par le jeûne, nous prenons nos distances à l’égard de nos appétits immédiats et de nos pulsions de mort. Peut s’engager alors un chemin de réelle conversion. C’est dans la mesure où nous laisserons l’amour de Dieu réorienter notre existence vers Lui, dans le souci bienveillant des autres, que nous pourrons inviter nos contemporains à d’autres modes de vie, à d’autres façons d’habiter ensemble notre espace commun dans le respect de la vie et de la dignité de chacun.

« Quel est donc le jeûne qui me plait ? dit le Seigneur. N’est-ce pas faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs ? N’est-ce pas partager ton pain avec celui qui a faim, recueillir chez toi le malheureux sans abri, couvrir celui que tu verras sans vêtement, ne pas te dérober à ton semblable ? » (Isaïe 58, 6-7)
 

A toutes les communautés du diocèse, je souhaite une bonne entrée en Carême. Portons dans l’amitié et la prière la cinquantaine de nos frères et sœurs catéchumènes qui recevront l’appel décisif au début du Carême et entameront leur ultime étape vers le baptême dans la nuit de Pâques. Je confie au Seigneur ce temps fort de notre vie spirituelle. Qu’Il le rende fécond pour notre foi et pour la vie de notre Eglise diocésaine. A travers nos passages au désert et l’œuvre de conversion, le Seigneur nous fait cheminer, le cœur rempli d’espérance et les yeux tournés vers l’avenir.

+ Jean-Luc BRUNIN
Evêque d’Ajaccio

Pour réfléchir personnellement ou en groupe à ces différentes propositions, Mgr Brunin propose plusieurs encadrés pratiques. Retrouvez-les sur le site du diocèse d’Ajaccio.
 

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