« Le témoignage de Mgr Romero » par Gustavo Gutiérrez
Réflexion du Père Gustavo Gutiérrez (photo), dominicain péruvien souvent présenté comme le fondateur de la théologie de la libération, sur le témoignage de Mgr Oscar Romero, archevêque de San Salvador (El Salvador), assassiné le 24 mars 1980. Le 3 février 2015, le pape François a signé le décret reconnaissant le martyre de Mgr Romero : il sera béatifié à Salvador le 23 mai.
Le 23 mai prochain, aura lieu la reconnaissance de Mgr Oscar Romero comme fidèle témoin (c’est le sens de la parole « martyr ») de la vie et du message de Jésus de Nazareth. Une telle reconnaissance a deux moments principaux : la béatification qui le déclare bienheureux, c’est-à-dire, heureux, un bonheur qui vient de la volonté de vivre selon les Évangiles, et la canonisation, la pleine acceptation de sa sainteté, et sa présentation définitive comme un modèle à suivre pour les chrétiens de notre époque.
Le processus de béatification et de canonisation de l’archevêque de San Salvador n’a pas été facile. Le peuple salvadorien et latino-américain, en général, a vu rapidement sa sainteté et son engagement. L’évêque et poète Pedro Casaldáliga l’a tout de suite proclamé Saint Romero d’Amérique Latine. Mais il y a eu des résistances et des retards provoqués par ceux qui alléguaient qu’il n’était pas encore prudent de le faire. Ils le considéraient comme une personne gênante et ils ne communiaient pas avec le sens de sa prédication. Ces difficultés sont aujourd’hui dépassées par le Pape François qui ouvre à nouveau le cas Romero. Un cas qui s’insère dans une longue et douloureuse histoire, au caractère de martyre, vécue par des multitudes dans le continent depuis 50 ans. Notre propre pays, le Pérou, n’a pas non plus été étranger à cette histoire. L’immense majorité des victimes ont été des personnes solidaires avec les pauvres.
Mgr Romero n’a pas cherché le martyre. Il l’a rencontré sur le chemin de sa fidélité à l’engagement de Jésus-Christ. En toute simplicité, il a dit craindre qu’on ne le tue – ce que tous nous craignions – mais il refusait d’abandonner son peuple en quittant le pays. Les jours suivants son assassinat (24 mars 1980), il était impressionnant de voir les interminables files de gens venant le voir et prier à côté de son corps dans la cathédrale.
Les gens le faisaient en silence devant quelqu’un qui a mis sa vie à leur service. Il les avait respectés comme des personnes et il avait compris leurs souffrances. Le dimanche 30 mars a eu lieu l’enterrement. Mais une violente interruption –des tirs sur la foule- provoquée intentionnellement, a donné lieu à une grande confusion et à une grande panique parmi les milliers de personnes présentes sur la place, ce qui a laissé un bilan de plusieurs dizaines de morts, la majorité par asphyxie et d’autres victimes des tirs. Dans ces circonstances, plusieurs heures après, et presque en cachette, Mgr Romero a été enterré dans la cathédrale par les quelques personnes qui y restaient encore.
Une insistance importante envers les droits des pauvres et des opprimés
Mgr Romero a été avant tout un prédicateur. Il préparait – et écrivait – ses homélies avec beaucoup de soin. Aujourd’hui, nous les avons, rassemblées en plusieurs volumes. C’était une voix écoutée dans tout le pays. Sa prédication réclamait une société juste, respectueuse de tous ses citoyens, vu que seulement ainsi, selon la Bible, il peut y avoir la paix. Mais en plus, sa prédication contenait une insistance importante envers les droits des pauvres et des opprimés, comme l’a fait Jésus. Et cela, dans la ligne « d’une Église pauvre et en faveur des pauvres » comme cela a été rappelé par le Pape François.
Cette perspective a la fraîcheur de l’évangile, mais elle peut se révéler très coûteuse. La mort de l’archevêque a été le résultat d’un assassinat, crime provoqué par son attitude ferme de pasteur qui ne s’est pas tu devant le mauvais traitement imposé à un peuple victime d’injustices et de brimades quotidiennes. C’était un pasteur qui la veille, avait supplié – et ordonné – aux soldats de ne pas tirer sur le peuple.
Mgr Romero n’a pas cherché à se mettre au-dessus de tout et de tous, en proclamant une prétendue universalité de l’amour de Dieu, se positionnant dans une commode abstraction, dans un angle mort de l’histoire pour la voir passer sans s’y engager. Il se référait à cette évasion de la réalité – et de l’Évangile – quand il disait : « C’est très facile d’être les serviteurs de la parole sans gêner personne, une parole très spiritualiste, une parole sans engagement avec l’histoire, une parole qui peut résonner dans n’importe quelle partie du monde, mais qui n’est d’aucune partie du monde ».
Pasteur proche de son peuple, Mgr Romero n’a pas pris ce chemin ; sa parole a voulu incarner l’Évangile dans la vie de son peuple, dans la vie de nous tous. Il voyait l’Église comme une communauté « qui fasse sentir comme sien tout l’humain et qui veuille vivre dans sa chair la souffrance, l’espérance, l’angoisse de tous ceux qui souffrent et de tous ceux qui se réjouissent, cette Église sera le Christ aimé et espéré, le Christ présent ». Cela a été la raison de son insistance concernant la justice. Il la comprenait comme une partie capitale du message chrétien. Ne pas la prendre en compte, ne pas la pratiquer, c’est refuser une affirmation biblique fondamentale. Du fait même, la reconnaissance du témoignage de martyr d’Oscar Romero augmente et enrichit la notion classique du martyre.
Traduit par Bertrand Jégouzo, Service National de la Mission Universelle de l’Eglise (SNMUE)