Frère Alois de Taizé : « Cette vie de famille est le plus important »
La Communauté de Taizé fête en 2015 le 75e anniversaire de sa fondation et le 100e anniversaire de la naissance de frère Roger, son fondateur. Son prieur, Frère Alois, était à Paris pour la promotion de l’album « Chants de paix et d’unité », édité par Deutsche Grammophon. Il publie également un livre d’entretiens au Seuil. Propos recueillis par ClR.
Comment est né ce nouvel album ?
L’enregistrement s’est déroulé en deux temps : avec les frères, en communauté, puis avec des jeunes. Maintenant, c’est le temps de la promotion! Nous avons bien discuté sur comment une journée comme celle-ci se passe, pour être en accord avec notre identité de communauté religieuse. Et en même temps, c’est beau d’aller dans différents milieux.
Comment la musique participe-t-elle de la Nouvelle Evangélisation ?
Nous voyons que les chants de Taizé évangélisent vraiment. Les jeunes se rappellent une parole de l’Evangile, qu’ils intériorisent, qu’ils prennent avec eux. Il existe une véritable quête spirituelle chez eux aujourd’hui. Pas plus tard que ce matin, un jeune me confiait qu’il était recherche mais ce n’était pas « la religion ». C’est le langage de pas mal de jeunes. Je pense que nous devons prendre cela au sérieux, échanger, être en dialogue avec eux, sans trop vite vouloir les orienter dans une direction. Il nous faut d’abord comprendre ce qui se passe aujourd’hui. Peut-être que certains chants, certains textes de Taizé, parlent à tel ou tel jeune qui est un peu loin de l’Eglise. Je crois que c’est une réalité et une des dimensions de notre vocation, de notre mission.
A Taizé, il y a la beauté du chant et celle du silence…
Frère Roger disait : « Rendre la vie belle pour ceux qui nous sont confiés ». Le chant est une expression de la beauté. Quand je suis arrivé à Taizé, le chant m’a impressionné. On sentait une communauté. Souvent des renouveaux dans l’Eglise sont accompagnés par le chant. La Réforme était un mouvement largement soutenu par les cantiques. Luther disait : « Chanter l’Evangile dans les cœurs ». Le chant et le silence se renforcent l’un et l’autre. D’ailleurs dans la musique, les pauses jouent un rôle important. Dans notre vie aussi, il faut ces silences. Pour certains jeunes, c’est très difficile au début. On fuit le silence aujourd’hui. Et pourtant, à la fin d’une semaine, ils disent que le silence est important, ensemble et seul.
Vous êtes arrivé en 1974. Comment relisez-vous ce chemin à Taizé ?
C’est une aventure extraordinaire. Je ne l’aurais jamais imaginée. J’avais 19 ans quand je suis arrivé à Taizé, 20 ans quand je suis entré dans la Communauté. Forcément, il y a une part de naïveté et d’enthousiasme qui doit après se décanter et se vérifier dans une persévérance dans la vocation. Et c’est peut-être ça le plus beau : qu’il y ait encore par moment ces instants d’enthousiasme et de fraîcheur, et toujours des temps de persévérance dans la vocation. Nous sommes tellement reconnaissants qu’après la mort de frère Roger notre communauté ait pu continuer de la même manière, dans une grande simplicité, à travers des relations fraternelles entre nous. Nous vivons ensemble sous un même toit. Frère Roger voulait que cette vie soit belle. Il trouvait toujours des moyens pour embellir la vie quotidienne, par de petites fêtes. Cette vie de famille, c’est le plus important. La pastorale des jeunes est portée par une communauté fraternelle, non pas par une institution qui veut mettre en œuvre une théorie pastorale. C’est une différence !
Notre pays vit de multiples tensions. Quel message souhaitez-vous transmettre ?
Cette situation très grave force chacun à choisir ce qui est essentiel dans sa vie. Ce choix doit se vivre aussi au niveau de la société. Si nous continuons dans un sens dans lequel l’argent joue tel un rôle, retrouver la liberté de choisir vraiment ses valeurs et vivre selon elles implique des renoncements et une plus grande sobriété matérielle. Mais je vois des signes d’espérance pour cela. Il y a beaucoup d’initiatives. Pour les chrétiens, il s’agit d’aller en profondeur, être conséquent pour notre foi. Et là le Pape François est providentiel ! Qu’il nous dise si fortement l’exigence de notre foi en Christ : vivre comme Jésus a vécu. Il nous encourage et il est exigeant. L’autre réponse à ce que nous vivons aujourd’hui, c’est le dialogue : aller vers les autres. La fin du Conseil de notre Communauté, en janvier dernier, nous avons décidé de rendre visite à la mosquée de Châlons-sur-Saône. Tous les frères ont été si bien accueillis. L’imam était heureux que nous soyons venus. Nous avons assisté à la prière musulmane. Nous ne savons pas ce qu’il en ressortira. Faisons un pas vers les autres !
On retient souvent que le Pape François encourage à aller aux périphéries, pas à aller en profondeur…
Il dit les deux et cela va ensemble. Pour préparer 2015, nous avons organisé des rencontres sur tous les continents. Nous sommes allés en février en Australie. Parler avec les Aborigènes était poignant… Qu’est-ce qu’ils ont souffert dans l’histoire ! Une femme très croyante nous a dit : « Dieu était chez nous avant les missionnaires ». Quand on va à la mosquée de Châlons ou en Australie, on écoute autrement l’Evangile, on comprend mieux Jésus. Le Christ a dépassé les frontières en allant vers les intouchables. Quand on vit la fraternité humaine, on comprend mieux l’Evangile. Et inversement.
Que diriez-vous pour inviter les jeunes cet été ?
Je voudrais beaucoup que les jeunes qui viennent cette année à Taizé trouvent la confiance. Durant ses dernières années, frère Roger répétait ce mot-là. C’est un peu comme l’évangéliste Jean qui, à la fin de sa vie, répétait « Dieu est Amour ». Pour frère Roger, c’était la confiance dans les autres, en soi et en Dieu. « Dieu nous fait confiance. Dieu te fait confiance. Et alors, tu peux créer avec ta vie » : Voilà ce que je voudrais que les jeunes entendent cet été. Après, la référence n’est pas Taizé mais l’Eglise locale. A Taizé, on trouve un ressourcement, un élan.
Frère Alois… superstar !
Le prieur de Taizé publie un livre d’entretiens accordés à Marco Roncalli (dont le grand-père était le frère du Pape Jean XXIII) au Seuil : « Fils de catholiques des Sudètes exilés en 1945, frère Alois montre que l’œcuménisme n’est pas objet d’étude, mais prière et pratique quotidiennes, et que l’amour et la solidarité ne peuvent être qu’en actes. En termes simples et profonds, il affirme que la vision de Taizé n’est pas une utopie mais un engagement constant ».