Chrétiens en quartiers populaires : Retrouver l’énergie évangélisatrice

Aux périphéries de nos villes, journée du 31 janvier 2015Le chantier ouvert par l’Église en France sur « La présence des chrétiens en monde populaire » a précédé l’actualité. Après les attentats et la marche républicaine du début de l’année, cette réflexion prend d’autant plus d’écho et de sens. Une première journée, le 31 janvier 2015, sur le thème, « Aux périphéries de nos villes. Journée pour les acteurs pastoraux en « quartier » » a permis de mutualiser analyses, états d’âme, bonnes pratiques, et surtout désir d’un nouvel dynamisme. Par Chantal Joly.

« Ô Dieu admire ceux qui osent encore espérer !». Cette phrase de la JOC du Mali,lue lors de la prière d’ouverture, en même temps qu’un célèbre texte de Madeleine Delbrêl sur La sainteté des gens ordinaires donnait l’état d’esprit de la rencontre : grande humilité mais ferme confiance. « L’Église est dans ces quartiers. Elle y vit de très belles choses mais avec très peu de moyens », dira en écho Sœur Lise Cruveilles, en communauté à Bobigny (Seine-Saint-Denis), lors des travaux en petits groupes.

Appréhender la complexité de la réalité

Pour moitié représentants de diocèses et moitié de Mouvements et Services, la centaine de prêtres,religieux et religieuses et laïcs présents pouvait se reconnaître dans la définition que donnera d’eux le Père Alain Thomasset, théologien, à l’issue de la journée : « Vous êtes aux avants-postes de la mission de l’Église ».

Mais quels sont ces avant-postes ? Essentiellement, résumera Mgr Brunin, président du Conseil Famille et Société, des lieux où « la relégation (sociale) est vécue de façon souvent humiliante « . Évoquant le texte « Aux périphéries de nos villes » résumé et commenté par Monique Baujard, directrice du Service national Famille et Société et Sœur Marie-Laure Dénès, chargée de Mission, l’évêque du Havre en a commenté les richesses et les limites : « Nous ne prétendons nullement à l’exhaustivité pas plus qu’à l’objectivité. Les regards croisés permettent de mieux appréhender la complexité de la réalité.[…] Son approche est essentiellement sociale. Vous n’y trouverez pas de dimension pastorale. Le but est de vous proposer ce document comme base d’analyse. À vous d’inventer la pastorale qui va avec ».

Faire remonter les cris des pauvres

Trois personnes étaient invitées à partager la réception de ce texte. Le Père Gérard Vandevyver, de la Mission ouvrière, tout d’abord, dit avoir entendu lors d’un forum sur la pauvreté à Roubaix « les mêmes appels à changer de regard, à décloisonner et à promouvoir l’éducation populaire ». Dans une ville où cohabitent près de 100 nationalités et où 45% de la population se situe en dessous du taux de pauvreté, il se dit engagé dans « une Église qui vit ni en dessus ni à côté des gens » et « qui prend sa part pour les relier ». Sophie Boivin, coordinatrice des équipes Scouts de France dans les quartiers populaires, a insisté sur « la demande des familles d’un espace pour apprendre le vivre ensemble ». Quant au Père Xavier Chavane, vicaire épiscopal de Versailles, il s’est réjoui d’une « Église qui sort d’elle-même pour écouter ce que les acteurs de terrain ont à dire » et d’un texte qui donne « un panorama quasi exhaustif des misères que nous pouvons rencontrer dans les cités ». Il empruntera même le terme de « litanies », dans le sens où, dit-il, « notre mission est de faire remonter ces cris ».

Partir des compétences des gens

Comment ne pas demander à un élu politique de donner son point de vue ? Véronique Fayet, présidente du Secours catholique et ancienne maire-adjointe de Bordeaux chargée de la solidarité, avait le profil idéal. Elle s’avéra encore plus critique que le document du Service national Famille et Société concernant le rôle des médias.« Ils salissent souvent les quartiers ». « Leur regard,dénonce-t-elle,est bien trop négatif». Alors qu’il faudrait,au contraire, considérer « les capabilités »de ceux qui habitent ces territoires, « partir des compétences des gens et leur donner le pouvoir d’agir ». Dans l’esprit et la continuité de la démarche « Diaconia 2013 Servons la Fraternité ».

Véronique Fayet plaide « pour que tous (Église,élus,professionnels) réinvestissent ensemble ces quartiers, le rôle de l’École Catholique est, à cet égard, fondamental ». Quant aux citoyens, la présidente du Secours catholique rappelle qu’ils ont eux aussi le « pouvoir d’agir » ,et pour certains… le devoir d’agir. S’agissant du logement social, elle confia en effet son rêve à la Martin Luther King : l’organisation d’une énorme manifestation de tous les chrétiens pour réclamer :« Faites des logements sociaux monsieur le maire »…

Faire ensemble pour un vivre ensemble

L’alliance de toutes les bonnes volontés pour œuvrer au service de ces quartiers figurait au programme de l’après-midi. Une petite sœur de Jésus, Sœur Martine Fillon, a ainsi témoigné du temps stratégique qu’est l’échange de nouvelles après la messe du dimanche à la Courneuve, en banlieue parisienne. Le Père Bernard Devert, d’Habitat et Humanisme,a développé le maillage de partenariats qui va permettre à Lyon, dans le projet de reconversion des anciennes prisons, la construction d’une résidence intergénérationnelle ouverte à des personnes fragilisées et seules.

Nathalie Baschet, du Réseau « Chrétiens Immigrés », a raconté les dîners entre Français et migrants organisés à la mairie du IVe arrondissement de Paris où « se partage un même désir d’être ensemble,dans des relations horizontales ».

Quant au Père Benoît Lecomte et à Jean-Pierre Bidet, directeur de MJC, ils ont relaté en tandem depuis Angoulême, via une liaison Skype, leur expérience réussie d’une fête de la solidarité co-organisée. Le Père Lecomte, membre du conseil d’administration de la MJC, en « vraie cohérence » avec ses convictions, a insisté sur le fait que « tout tourne d’abord autour du bien des habitants ».

Quatre exemples comme autant de bonnes pratiques à échanger, diffuser, multiplier.

Incarner le Christ dans la chair de l’Histoire

Parmi les autres temps forts de la journée, l’apport d’un théologien, pour re-situer et « ré-enchanter » cette action sociale sous le regard de Dieu et dans une perspective d’évangélisation. Le Père Alain Thomasset,qui habite en communauté de jésuites à la Plaine-Saint-Denis,dans le si dénigré « 93 », y voit « les nouveaux lépreux, les nouveaux publicains de notre temps », une humanité pleine de « dévouements anonymes »,« de sacrifices quotidiens » et néanmoins « de joie » et « de fêtes… pour célébrer la fraternité et l’amitié ».

C’est bien au cœur de cette pâte humaine, dans ce « peuple multicolore » que l’Église est appelée à être sel de la terre et les chrétiens « passeurs de frontières et briseurs de barrières ». Ils y témoignent bien sûr, déjà, « de l’incarnation du Christ dans la chair de l’Histoire », mais le temps est peut-être venu de retrouver « de l’énergie évangélisatrice ».

« Il y a un lien, conclut le Père Thomasset en reprenant les mots même de sœur Martine, entre le corps physique, le corps social, le corps ecclésial et le corps eucharistique. Tout cela est relié en Dieu.[…] Ces lieux nous régénèrent pour notre foi ».

En conclusion, Mgr Brunin a tenu à préciser que cette journée n’est que « le premier étage de la fusée », cette démarche au long cours ambitionnant d’être « un tremplin pour (ré)inventer les modes de présence de l’Église ».

Restent, bien sûr, des questions, comme celle posée par le Père Jean-François Berjonneau, de « Carrefour des Cités » à Évreux : « Comment faire partager cette conviction que l’Église devient elle-même quand elle sort d’elle-même » ?

Mais un nouveau dynamisme est en route. « Donnez à d’autres le goût de cette mission » fut l’appel lancé par Mgr Brunin en guise d’envoi aux participants.

Véronique Fayet, présidente du Secours CatholiqueDes pistes d’action

La journée du 31 janvier repose sur une conviction : « les chrétiens sont capables d’innover des pratiques sociales qui peuvent devenir des exemples ». Véronique Fayet a esquissé quelques propositions concrètes.
1. Agir, ensemble, pour améliorer la vie quotidienne. Le support de toutes les innovations sociales liées à « l’économie du partage » peut être un bon moyen : jardins partagés, garages solidaires, recyclerie, accorderie, etc…. Ensemble, y compris avec les associations musulmanes favorisant le vivre ensemble et la laïcité.
2. Partir des compétences des gens ou « capabilités » selon Amartya Sen et leur donner le pouvoir d’agir, les mettre en situation de responsabilité et de décision (empowerment).
3. Apprendre d’eux par des co-formations comment se vivent les différences et les tensions sociales, culturelles, religieuses ; apprendre par eux et non par des experts.
4. Susciter le débat, la parole, le dialogue inter-religieux, inter-générations (…) pour construire une pensée individuelle et collective comme le faisait l’éducation populaire qui est à refonder, en particulier autour des centres Sociaux qui restent des points d’ancrage forts dans les quartiers.
5. Interpeller « le politique » national et local, régulièrement, grâce à cette parole et à cette expertise construite avec les habitants, pour dénoncer ET proposer.
6. Être veilleurs c’est-à-dire toujours attentifs aux pauvretés cachées, aux nouvelles pauvretés ; soucieux de la place de chacun au cœur de la communauté chrétienne, au cœur des villes et non plus aux périphéries !

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