« Merci, très chère sœur… », par Mgr André Dupleix

Soeur Emmanuelle

Vous étiez à quelques jours à peine de vos cent ans…. Mais peut-être fut-ce un dernier trait de votre pétillante malice que de nous avoir faussé compagnie à ce moment précis, interrompant ainsi les préparatifs de célébrations qui n’auraient pas manqué en cette occasion.

Sœur Emmanuelle, votre nom était devenu si familier, tellement proche… et pas seulement au sein de notre Église mais chez bien des gens ignorant souvent nos complexités institutionnelles mais qui touchaient, en vous entendant ou vous approchant, quelque chose du mystère de Dieu… Pas le Dieu des puissants ou des hiérarques mais Celui des simples, des petits et des pauvres, vos amis, vos inséparables…

Votre intelligence, votre humour, votre langage direct et sans complaisance, tout en étant infiniment respectueux des personnes, vous valaient dans nos médias une place privilégiée, et c’est tant mieux, car nous savions au moins que vos paroles conduisaient directement à ce qu’il y a de plus vrai dans le message du Christ.

Atypique mais cohérente, vous aimiez la vie, vous étiez humaine, profondément humaine, vous étiez vraie… Vous aviez une foi à déplacer les montagnes et le courage de vos convictions, ne craignant pas d’interpeller, au nom de ce feu mystérieux qui vous brûlait sans vous consumer, les responsables de tout bord, ministres, présidents ou papes.

Les innombrables réactions qui accompagnent ces jours-ci votre « grand passage » vers l’éternité en disent plus sur la foi chrétienne que des milliers d’ouvrages. Vous étiez « habitée », vous « incarniez la joie, l’amour, le bonheur » tout en continuant de tenir la main des plus déshérités et exclus de nos sociétés. Vous parliez de Dieu avec une telle passion qu’il prenait visage… : votre visage. Et puis, d’un coup, on se sentait projeté au-delà, vers Celui qui, par vous, devenait crédible…

Sœur Emmanuelle, vous attendiez ce face à face, en ce début du nouveau siècle qui comptait moins pour vous que l’ultime seuil vers la rencontre. Je pense au livre de Job : « Et quand mes yeux le fixeront, il ne détournera pas son regard… » (Job 19,27). Vous pourrez dire en vérité : « Voilà ce que j’ai fait en ton nom… Voilà ma seule richesse… »

Vous nous laissez un héritage. Qu’en ferons- nous ? Puissent ces mots qui étaient devenus votre devise, « En avant… », nous accompagner jusqu’à notre dernier souffle !

Merci, très chère sœur… L’émotion nous étreint mais la tristesse ne nous accablera pas. Nous ressentons une étrange paix intérieure. C’est votre ultime don. Il fructifiera…

Mgr André Dupleix, secrétaire général adjoint de la Conférence des évêques de France
Editorial paru dans le Courrier français, octobre 2008