Un évêque centenaire à Arras

Evêque émérite d’Amiens, Mgr Géry Leuliet fêtera son 100ème anniversaire le 12 janvier 2010 à Arras. Il livre ici un témoignage d’espérance. Mgr Jacques Noyer, qui lui a succédé en 1987, donnera une conférence intitulée « Un évêque au feu de Vatican II ». Interview.
 
Quand survient un anniversaire, surtout un centenaire, on interroge volontiers le « survivant » sur ce qu’il retient de cette longue vie. Exercice de mémoire qu’il faut laisser aux historiens, qui peinent d’ailleurs à trouver un accord. Plus modestement, mais plus profondément c’est une question posée au croyant qui a été initié à la connaissance du dessein de Dieu.

C’est dans cette perspective, selon cette inspiration que je serai tenté de répondre en évoquant une période qui fut décisive pour moi. Au milieu de ce siècle ce fut la parole d’un pape – dit de transition – (Jean XXIII, ndlr) qui déclarait à un monde risquant un conflit atomique qu’il y avait malgré tout des aspirations à la paix qu’il discernait et même vécues par des hommes de bonne volonté et qu’il fallait rejoindre et encourager, dans le même temps il convoquait un concile de renouveau.

En recevant la charge épiscopale dans un tel contexte je me suis senti appelé à l’exercer dans le même esprit. Il m’est apparu alors que malgré difficultés, misères, angoisses et peurs, la présence du Seigneur était rassurante et dynamique mais toujours comme une « petite Espérance » dont parlait celui qui se disait « un chrétien de paroisse » au début de ce siècle, Charles Péguy. Et après cent ans cette Espérance nourrit en moi des fruits de louange.

Mgr Géry Leuliet, évêque émérite d’Amiens
Le 7 janvier 2010
 

3 questions à Mgr Jacques Noyer, évêque émérite d’Amiens qui lui a succédé en 1987
 
Ordonné prêtre à Arras en 1933, Mgr Leuliet a été consacré évêque en 1963 par Mgr Gérard Huyghe, évêque d’Arras. Il a participé aux trois dernières sessions du Concile (1962-1965).
En quoi le Concile Vatican II a-t-il été un événement marquant pour Mgr Leuliet ?

D’abord parce qu’il a été nommé évêque juste au début du Concile. Et aussi parce qu’il imaginait déjà l’Eglise autrement, comme beaucoup de prêtres mais surtout ceux qui appartenaient à ce courant né autour du chanoine Boulard et qui prônait le concept de « pastorale d’ensemble ». Le Concile a été l’un des lieux inattendus où pouvait se mettre en place ce grand rêve.

Comment s’en est-il fait l’écho dans le diocèse d’Amiens ?

Un développement considérable s’est opéré : au lieu de se penser comme responsable de ses fidèles, l’Eglise s’est pensée comme responsable d’une parole adressée à tous les hommes. Les paroisses elles-mêmes, qui étaient souvent très centrées sur leurs petites habitudes et leurs petites hiérarchies, ont été assumées dans des secteurs apostoliques, animés par un comité d’évangélisation où les mouvements d’Eglise tenaient une place tout à fait moteur. Ca a mis en route beaucoup de gens. Bien sûr, il y avait des inerties, des incompréhensions ou des réticences. Les mécontents les plus nombreux, qui étaient simplement des gens qu’on dérangeait dans leurs habitudes ou qui réclamaient davantage de temps pour comprendre où on voulait les emmener, ont été convaincus par le temps. Par contre, un certain nombre de mécontents se sont regroupés autour de Mgr Lefevbre et de la Fraternité Saint Pie-X. A son retour du Concile, le Père Leuliet a non seulement multiplié les initiatives pastorales mais, il a eu conscience qu’il fallait que l’Eglise devienne « servante et pauvre », selon la formule du Père Yves Congar (1904-1995). Il a revendu les propriétés du diocèse qui, en centre ville d’Amiens, donnaient l’impression d’un pouvoir, d’une Eglise triomphante. Il a logé ses prêtres et lui-même dans un programme d’urbanisme commun à celui des hommes et des femmes de son temps. Il avait la volonté de changer totalement le style de l’Eglise. Quitter la maison bourgeoise qui lui servait d’évêché pour s’installer dans une tour d’immeuble lui a valu d’être un peu malmené par la bonne bourgeoisie d’Amiens !

Aujourd’hui quels sont les enjeux de Vatican II pour l’Eglise ?

Je pense qu’ils sont extrêmement importants. Aux yeux de ceux qui ont été partie prenante à différents niveaux de cette aventure conciliaire, nous ne pouvons pas retourner en arrière ! Il y a une sorte de mutation qui s’est faite dans l’Eglise un peu analogue à celle que les premiers chrétiens avaient connue lorsqu’on a « ouvert » aux païens. Bien sûr certains rêvent de revenir en arrière et comme quelque fois l’élan de l’Eglise s’essouffle un peu ou se fatigue. La nostalgie d’une Eglise puissante, enfermée dans ses rites, risque toujours de revenir. Ce ne sont pas des définitions dogmatiques qui font la richesse de Vatican II, c’est vraiment l’élan spirituel et missionnaire qui a fait d’une Eglise centrée sur elle-même une Eglise soucieuse de tous les hommes. C’est une conversion forte !

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