Discours du Pasteur Claude Baty
Les Églises protestantes, particulièrement en France, ont perçu Vatican II comme l’ouverture de l’Église catholique romaine aux autres Églises et communautés chrétiennes. Cette ouverture a été marquée symboliquement par l’invitation d’observateurs qui ne sont pas restés, me semble-t-il, longtemps de simples observateurs mais qui ont été de vrais témoins. Il y a donc eu dès le départ une ouverture confiante qui, à nos yeux, marque nos relations jusqu’à aujourd’hui.
C’était une façon de dire que nous avions un témoignage commun à rendre à Dieu qui ne cesse de parler à travers son Fils Jésus Christ et qui pour cela nous appelle à l’unité. Ce que je dis là n’est pas très original aujourd’hui, mais il y a cinquante ans, ce qui paraît banal aujourd’hui dans nos relations, était presque inimaginable : travail commun de responsables œcuméniques, collaboration entre chrétiens sur divers projets, rencontre régulière des responsables. Comme cela nous a été rappelé, c’est une relation de confiance qui s’est installée progressivement depuis le Concile Vatican II.
Quand, en 1959, le pape Jean XXIII annonce le Concile, il déclare que « l’unité de l’Église » en est une des motivations majeures. Cette annonce même du Concile Vatican II marque le début d’une nouvelle dimension dans la perspective œcuménique de l’Église catholique.
C’est pourquoi, une année avant le Concile, en 1961, des observateurs catholiques officiels avaient été envoyés pour la première fois à l’assemblée du Conseil œcuménique des Églises à New-Delhi. Et cela a créé les conditions de réciprocité permettant d’inviter le COE qui a pu alors à son tour envoyer des observateurs au Concile et ont été présents orthodoxes, anglicans et protestants. C’est ainsi que le pasteur Hébert Roux, de l’Église réformée de France, a assisté aux deux premières sessions du Concile, comme représentant de l’Alliance réformée mondiale et ensuite aux suivantes, comme représentant de la Fédération protestante de France. Il a été rejoint par un de mes prédécesseurs, le pasteur Marc Boegner président de la FPF, acteur œcuménique important au niveau national et international. Et il a siégé à la troisième et quatrième session. Le Concile Vatican II n’est donc vraiment pas inconnu à la Fédération protestante de France.
En quelques minutes je ne peux qu’évoquer trois aspects de Vatican II :
1) le décret sur l’œcuménisme (Unitatis redintegratio) car il a permis de changer profondément les relations entre nos Églises. Je suis persuadé quoi qu’il en soit de l’avenir, qu’il sera impossible de revenir à la situation d’avant le Concile. Ce décret nous a mis en route ensemble, et nous maintient en mouvement. L’entrée de l’Église catholique dans la dynamique œcuménique moderne, dynamique inaugurée à Édimbourg en 1910, a aussi permis la prise en compte des personnes qui, à l’intérieur de l’Église catholique, plaidaient et œuvraient pour un œcuménisme de relations et de spiritualité. L’abbé Paul Couturier en est le représentant le plus connu.
Le décret sur l’œcuménisme a également permis l’établissement du comité mixte entre l’Église catholique romaine et le Conseil œcuménique des Églises, et l’ouverture de dialogues officiels avec d’autres communions chrétiennes. Le plus connu de ces dialogues est certainement celui avec la Fédération luthérienne mondiale qui a débouché sur la Déclaration commune sur la doctrine de la justification en 1999.
Beaucoup a été accompli pendant ces cinquante ans, mais il reste encore à faire et nos communautés locales nous stimulent en particulier pour aller plus loin sur les questions qui les touchent de près : baptêmes, mariages, célébration du repas de notre Seigneur.
Ma prière est que l’esprit de Vatican II continue à souffler pour la réception du travail accompli par les comités mixtes, mais aussi pour qu’il permette la prise en compte des aspirations spirituelles et théologiques du peuple de Dieu.
2) Le deuxième sujet que j’aimerais aborder ne vous surprendra pas, et il serait étonnant qu’un protestant ne le fasse pas, c’est la revalorisation de la Parole de Dieu par Vatican II avec Dei verbum. La lecture de la Bible, et spécialement la lecture commune de la Bible, a permis finalement qu’une instance extérieure et supérieure nous réunisse. Je n’insiste pas tant ce point est de l’ordre de l’évidence aujourd’hui, je rappelle quand même le miracle de la TOB ; les initiateurs de cette traduction œcuménique ont commencé par la lettre aux Romains, comme un test, et si cela passait, tout serait possible. Mais aujourd’hui on ne s’étonne pas du succès de ZeBible, une Bible pour les jeunes. Beaucoup de choses ont été faites, il faut garder en mémoire ce qui en est miraculeux. De la même manière, la coopération académique dans la recherche biblique ne pose plus de problème. Profitons donc encore et sans cesse de la Parole de Dieu, parole de vie.
Le théologien Karl Barth s’intéressait en particulier à cet aspect du travail de Vatican II, y voyait un vrai processus de renouveau de l’Église catholique et se demandait s’il ne constituait pas aussi un défi pour les autres Églises qui devaient s’engager, à l’écoute la Parole de Dieu, dans ce processus. La Parole de Dieu reste une source d’interpellation, de vérité et d’encouragement pour des chrétiens de toutes les confessions.
3) Le dernier sujet que j’aborderai est la déclaration sur la liberté de conscience ou la liberté religieuse (Dignitatis humanae) : une déclaration fondamentale, à mes yeux, dont on mesure sans doute, aujourd’hui encore plus qu’alors, l’importance. C’est une prise en considération de la diversité du monde et c’est un questionnement sur le pouvoir et la religion. Nous en sommes bien convaincus, aucun pouvoir temporel ou spirituel ne doit ni ne peut contraindre la conscience d’un être humain. Nous sommes dans un temps où les chrétiens souffrent beaucoup de persécutions. Et aujourd’hui, nous nous préoccupons à juste titre du sort de ces chrétiens qui, à travers le monde, n’ont pas le droit de pratiquer leur religion. J’espère que nous nous préoccupons tout autant de la liberté de conscience et de culte de ceux qui ne sont pas chrétiens. Les rencontres interreligieuses qui existent aujourd’hui sont une nécessité, notamment quand la religion est sans cesse instrumentalisée.
L’esprit de l’Évangile est clair, je le vois en particulier dans les Béatitudes, puisque notre Seigneur déclare heureux les ouvriers de paix et ceux qui souffrent pour son nom. Il ne promet nul bonheur aux violents.
Conclusion
En guise de conclusion, permettez-moi, dans la tradition des observateurs des autres Églises il y a cinquante ans, de partager joie et espérance. Je veux vous encourager à rendre l’esprit de Vatican II plus vivant et vivifiant encore. Pour ceux qui connaissent mal l’Église, il est évidemment difficile de comprendre qu’on parle encore d’un Concile qui a 50 ans. Mais ce Concile est jeune. L’esprit de Vatican II a soufflé fort à l’époque mais cet esprit doit aussi entraîner de nouvelles générations. Pour les hommes et femmes de nos différentes Églises aujourd’hui, il faut savoir interpréter, dans la continuité et dans le renouveau, la pertinence pour notre temps des chantiers ouverts par ce grand Concile.
Hébert Roux, notre observateur protestant français au Concile, terminait son analyse de Vatican II avec trois mots : mouvement, ouverture, interrogation.
Par le concile Vatican II, l’Église catholique est entrée en mouvement avec des chrétiens de différentes confessions. Il ne faut pas rester sur ces « acquis » ; en effet, il ne s’agissait pas d’atteindre un certain niveau et de s’arrêter – d’ailleurs certains estiment qu’il est atteint depuis longtemps – mais de se mettre en route ensemble et de poursuivre le chemin jusqu’à la fin. Le mouvement œcuménique d’aujourd’hui a besoin de nous pour trouver un nouvel élan.
L’ouverture reste un mot d’ordre pour notre témoignage commun à Jésus Christ dans notre société ; l’ouverture à la Parole de Dieu, aux autres dans le respect de ce qu’ils sont, permet à l’espérance que Dieu place au cœur de notre vie chrétienne de produire de beaux fruits. Il faut laisser l’initiative à Dieu, c’est là notre espérance.
L’interrogation est là pour que nous gardions les pieds sur terre. Nous sommes questionnés, parfois vigoureusement ; cela nous oblige au moins à ne pas faire de la religion une préoccupation qui serait limitée à l’ordre du privé. Notre spiritualité est aux prises avec les questions et interpellations de notre époque. Nous avons besoin d’écouter et de poser des questions à nos contemporains, à la société et aussi à nos Églises. Il se trouve que c’est un chantier magnifique. Dans toutes ces tâches, qui sont aussi les tâches du Royaume, les déclarations de Vatican II et la continuité de leur réception gardent leur pertinence et leur actualité. Que Dieu vous soit en aide. Que Dieu nous soit en aide. Pour Sa seule gloire.
Pasteur Claude Baty
Président de la Fédération protestante de France