« Qui peut accepter un geste de mort ? » par Mgr Pierre d’Ornellas
Mgr Pierre d’Ornellas revient sur l’avis favorable qu’a rendu le 10 avril 2018 le CESE (Conseil économique, social et environnemental) à l’euthanasie à 107 voix pour, 18 contre et 44 abstentions.
Quel monde voulons-nous pour demain ? Voilà la question sérieuse qui nous est posée. Elle exige information, réflexion et compétence honnêtes, et non des opinions les unes à côté des autres. Elle fait appel à une vision partagée de notre avenir commun et de l’être humain dans son existence personnelle et sociale.
Voilà que le CESE donne un avis où les contraires semblent identiques. Pour lui, développer le soin de telle sorte que chacun vive sa fin de vie de la manière la plus apaisée possible et provoquer délibérément la mort quand le désir en est exprimé, sont à égalité. Donner la mort serait même une attitude « respectueuse ». Comment l’éthique, c’est-à-dire la raison en recherche du juste bien, pourrait-elle faire coexister les contraires ?
D’ailleurs, si on peut provoquer la mort, la peur des dérives est telle que le CESE répète que ce sera « strictement encadré », alors même qu’il souligne les méfaits de la judiciarisation. Le CESE sait-il que la sédation en soins palliatifs est, elle aussi, encadrée, non par peur mais en raison de la haute noblesse de l’acte de soin ? De fait, l’éthique du soin est cruellement absente de son avis ! On y nomme l’impératif séculaire « tu ne tueras pas » sans en relever la signification qu’y trouve notre raison philosophique pour le bien de tous et de notre vie sociale. Et bien non, accompagner jusqu’à la mort naturelle et provoquer la mort ne sont absolument pas identiques.
Pour un sursaut de conscience
La valeur du prendre soin de chaque personne jusqu’à sa mort naturelle, en soulageant ses souffrances, et la valeur de la solidarité pour que les moyens soient donnés aux soignants afin qu’ils accomplissent au mieux leur mission, sont éminentes. Choisir ces valeurs, c’est construire une société de confiance et de paix, où l’accompagnement fait d’écoute, de respect, de discernement est honoré en raison de ses compétences et de son humanité riche en compassion. Chaque jour des milliers de soignants le montrent. Souvent aux obsèques, les familles les remercient.
Par contre, l’euthanasie est un geste de mort. Elle est une défaite. Elle ne peut instrumentaliser la valeur éthique de la compassion. Elle ouvre le cercle vicieux du désespoir et de la culpabilité. Elle n’est pas un soin et ne pourra jamais l’être. La raison reste muette devant elle et cherche à en effacer les traces : elle blesse tellement les consciences qu’elle impose le mensonge. Le CESE a donc eu l’idée de préconiser qu’en cas d’injection létale, il serait écrit sur l’acte de décès que c’est une « mort naturelle », comme cela se fait à l’étranger, est-il pudiquement justifié. Quel crédit accorder à une institution de la République qui voudrait légaliser un tel mensonge ?
Le suicide assisté est une contradiction. Comment est-il possible de le promouvoir dans notre pays qui se bat contre le suicide et qui punit sévèrement ceux qui y incitent ?
Notre société a besoin d’un sursaut de conscience pour choisir son futur en le basant sur des valeurs qui nous rassemblent grâce à une nouvelle intelligence collective du soin. Soyons fiers de promouvoir l’accompagnement et la considération pour nos aînés qui vivent de grandes vulnérabilités. Soyons audacieux en demandant à l’État de financer davantage le soin. À l’heure où plus d’un milliard est donné pour l’intelligence artificielle, nous sommes tous en droit d’exiger un même effort pour les soins palliatifs. »
Tribune parue dans Ouest France le 11 avril 2018