« Exorciser la peur et son exploitation » par le cardinal Ricard

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Cet été, les déclarations du Président de la République et de plusieurs ministres concernant les Roms ont provoqué une grande émotion. On ne peut reprocher à ces responsables de l’Etat de veiller à la sécurité de leurs concitoyens et de faire respecter les lois. Si des délinquants commettent des méfaits, ils doivent être sanctionnés. Ce qu’il faut refuser, c’est de jeter l’opprobre sur l’ensemble d’un groupe social, sur une partie de la population. Or, c’est ce qui s’est passé avec les gens du voyage et avec les Roms. Les gens du voyage (appelés aussi tsiganes) ont très mal vécu d’être assimilés aux Roms, population originaire d’Europe centrale (Hongrie, Slovaquie, mais surtout Roumanie et Bulgarie) et ceux-ci, à leur tour, ont été blessés d’être globalement considérés comme des délinquants réels ou potentiels. Propos belliqueux, évacuations musclées et images médiatiques fortes ont contribué à renforcer cette impression de stigmatisation. Lors de leur pèlerinage à Lourdes en août dernier, les gens du voyage ont dit leur souffrance.

Dans des périodes de crise, la tentation peut être forte de détourner l’attention et de désigner à l’opinion publique un groupe social comme bouc émissaire, responsable de tous les maux. Une société qui agit ainsi ne respecte pas la dignité de chaque être humain et devient vite inhumaine.

Concernant les gens du voyage, la loi Besson avait demandé que des aires d’accueil soient aménagées dans les communes de plus de 5000 habitants. Or, à ce jour, la moitié seulement de celles qui auraient dû être aménagées ont vu le jour. Certes, il a fallu affronter des problèmes techniques pas toujours faciles à résoudre. Mais les vraies raisons sont autres. Très souvent les municipalités sont confrontées à une opinion publique hostile à de telles aires. On ne veut pas les gens du voyage à côté de chez soi, dans son village ou dans son environnement immédiat. Les gens du voyage inquiètent. La différence fait peur : différence de mode de vie, de culture et de mentalité. Les problèmes de cohabitation sont amplifiés. Le rejet de l’autre n’est pas loin. Pourtant l’œil qui sait voir et le cœur qui aime sait discerner de vraies valeurs qui sont comme autant de richesses. Combien de fois, lors de pèlerinages gitans, j’en ai été le témoin. Récemment, le Père Tenailleau, aumônier diocésain des gens du voyage, déclarait au journal La Croix : « Plus encore qu’un mode de déplacement, le monde des gens du voyage, c’est une culture : la famille, le respect des anciens, l’accueil, la proximité avec la nature, la foi chevillée au corps. Nous qui traversons une crise de la famille sans précédent, nous aurions beaucoup à apprendre d’eux. » (Lundi 23 août).

La situation des Roms est, elle, beaucoup plus complexe. Il ne sert à rien de nier les problèmes rencontrés. Mais peut-on se contenter simplement de parler à leur propos de « délinquance », d’« occupation illégale », de « situation irrégulière », d’« expulsion »… ? Nous sommes devant une situation de véritables parias présents dans plusieurs pays européens. Souvent, ce qu’il faut appeler leur misère n’est pas sans rappeler celle du prolétariat au 19° siècle. N’oublions pas qu’ils sont européens. N’est-ce pas de la responsabilité de l’Europe de prendre ce problème à bras le corps ? On trouve des financements européens pour des monuments en péril. Pourquoi n’y en auraient-ils pas pour des populations en péril ? Les difficultés doivent être affrontées avec lucidité et ténacité. Là, il n’est plus question de stigmatiser et de généraliser mais de s’attaquer aux vrais problèmes et d’étudier au cas par cas.

La peur fait perdre tout sens critique. L’homme qui a peur ne parle plus. Il aboie. J’ai été choqué de la violence avec laquelle ces problèmes humains ont souvent été abordés ces dernières semaines. Or le Christ Ressuscité vient nous libérer de la peur. Il nous donne la force de risquer la rencontre avec l’autre. En rappelant cela, l’Eglise ne « fait pas de politique », elle témoigne simplement de la puissance et de l’exigence de l’Evangile.

Cardinal Jean-Pierre Ricard
Archevêque de Bordeaux
Septembre 2010

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