« Les chemins de l’humanité en voie d’unification » par Mgr Defois

Eclairage de Mgr Gérard Defois, archevêque émérite de Lille, sur le thème de la 97ème Journée mondiale du Migrant et du Réfugié, le 16 janvier 2011. Texte paru dans « Migrations et Pastorale » N° 349 Novembre-Décembre 2010, dans la rubrique « Jalons pour croire ».
 

Le thème de la Journée mondiale du migrant et du réfugié 2011 ouvre une immense perspective de recherche et de débats, car il relève à la fois d’une démarche anthropologique au sens matériel de la biologie par exemple, mais aussi d’une étude des représentations culturelles et idéologiques, et en particulier religieuses auxquelles nous consacrons ces quelques lignes.

Ne serait-ce que pour illustrer cette dernière observation, nous pouvons constater que pour Jonas le petit prophète, les Ninivites ne font pas partie de sa famille du « peuple élu» et que selon ses protestations, son Dieu ne peut être leur Dieu, un père qui les aime et leur veut du bien. Son petit livre est traversé par ce débat sur l’unité impossible de l’humanité, en tant que genre humain et communauté de conscience spirituelle. La solidarité avec Ninive lui est impensable!
 

La foi au Dieu unique ne peut être qu’universelle

Dans une remarquable étude sur « nature et culture », Jacques Maritain écrivait en 1930 : « La piété de l’antiquité païenne percevait admirablement le besoin vital où la cité est de la religion; sa misère était d’absorber la religion dans la civilisation, dans telle civilisation locale, en confondant la cité et la religion, en divinisant la cité, où, ce qui revient au même, en nationalisant les dieux devenus les premiers citoyens de la cité ». Et citant le Père de Clérissac, il nous découvre les perspectives universalistes de la Bible : « Les Prophètes ne parlent et ne luttent que pour faire passer en première place le Règne de Dieu qui d’abord est dans les cœurs et embrasse tous les peuples ». (1)

Ceci, qui fut écrit alors que montait la vague des nationalismes et les diverses formes de sacralisation de la race ou des empires, nous fait comprendre combien la religion monothéiste et en elle la tradition chrétienne prennent le contre-pied d’une réduction de l’humanité à un groupe local, politique, géographique, idéologique ou religieux.

L’altérité du Dieu unique est une contestation permanente de la sectorisation de la foi en légitimation d’appartenance, que celle-ci soit de race, de classe ou d’origine géographique.
 

Mais l’humanité se divise et se déchire

Cette vision unitaire dans la foi, ce n’est pas ce que l’histoire, qu’elle soit religieuse, militaire ou politique, nous montre. Car les conflits de race, de frontières, de provinces, de cultures et de familles ont provoqué des constructions de murs et de multiples entreprises guerrières, voire terroristes. Depuis l’origine du temps, l’esclavage organisé en relations « naturelles» de maître et d’esclave manifeste cette partition sociale en sujets estimés plus ou moins dignes d’être libres et maîtres de leur vie. Le mépris, les sentiments d’injustice et d’insécurité, la volonté de puissance et de domination ont développé des stratégies d’opposition, voire de luttes d’intérêts ou même des conflits de générations.

Que l’on pense au système des castes, aux activités élitistes de telle ou telle ethnie dans l’histoire du monde, des discriminations de peuples estimées légitimes au nom de la nature de leur origine sociale ou culturelle. Mais il y a plus: de Machiavel à Marx l’opposition entre les catégories sociales, la tension entre les pouvoirs, les relations agressives, la lutte des classes, furent érigées en moteur de l’évolution de l’histoire, les rapports de force préconisés en moyen d’avancée et de changement social, la diplomatie du mal et de la violence devait être utilisée à des fins politiques.

Par ailleurs la démocratie dans le monde a mis longtemps à être égalitaire dans la représentation des femmes et des hommes pour les responsabilités citoyennes, et en maints continents elle est contournée par diverses corruptions ou manipulations où les différences liées au pouvoir de l’argent l’emportent sur la responsabilité des personnes et le respect de leur liberté.
 

L’humain, un regard métaphysique sur la vie

Les religions chrétiennes elles-mêmes n’ont pas été épargnées de tendances sectaires et de guerres fratricides qui ont détruit l’esprit et les mœurs de la famille humaine. Il va sans dire que cette violence symbolique ou physique est toujours d’actualité. Dans son encyclique sur « l’amour dans la vérité » le Pape Benoît XVI ne craint pas de dire « de fait, aujourd’hui on tue souvent en invoquant le saint nom de Dieu ». (2) Mais en soulignant l’apport spécifique du christianisme à ce sujet, il dira : « La révélation chrétienne de l’unité du genre humain présuppose une interprétation métaphysique de l’humanum où la relation est un élément essentiel ». Il notera encore : « Le monde d’aujourd’hui est pénétré par certaines cultures, dont le fond est religieux, qui n’engagent pas l’homme à la communion, mais l’isolent dans la recherche du bien-être individuel, se limitant à satisfaire ses attentes psychologiques. » (3) En effet la qualité relationnelle de la société contemporaine peut parfois conduire à des attitudes sectaires d’un groupe spirituel, chaleureux et méfiant à l’égard de tout autre, de sa différence et de ses racines.
 

La dignité de l’homme et sa fraternité sont le fondement indispensable de l’unité de l’humanité

C’est bien pourquoi la raison et la foi ont besoin de se purifier réciproquement pour que l’interprétation métaphysique de la dignité de la personne et de sa solidarité avec tout autre, l’emporte sur les intérêts de groupe ou de classe. Cet universalisme puisé par les prophètes, en particulier Isaïe, Jésus, bien sûr (4), et l’apôtre Paul, est devenu l’une des caractéristiques de la mission chrétienne comme ouverture à tout homme, c’est-à-dire à l’être humain comme personne fondée comme enfant de Dieu dans sa dignité. Cela était une question centrale dès le début du christianisme ; le fait que tout être humain créé à l’image de Dieu soit reconnu comme frère en humanité et en Jésus Christ était à la racine de l’annonce de l’Évangile. Et il n’est pas sans intérêt de remarquer alors que le langage familial de Père et de fils, d’enfant et de frère, donne de la société un imaginaire familial; ce qui veut dire des relations fondées sur les différence de sexe, d’âge, de personnalité et de génération, voire de santé et de culture. Il s’agit donc de relation avant de définir un statut ou un ordre juridique.
 

Construire l’unité sur le modèle familial, un défi chrétien pour l’humanité

Mais le bon sens et sans doute la tradition chrétienne, fût-elle laïcisée en sagesse populaire, n’ont pu constamment mépriser l’humanité des hommes et ont voulu servir ce bien commun de la liberté et de la dignité de la personne humaine. Lors de l’émergence d’une vision séculière de la société, après l’imaginaire patriarcal de la royauté, la culture moderne a cherché à rationaliser la vision tant de la société que de l’humanité. Il en est ressorti un organigramme abstrait tout entier axé sur l’égalité, au risque de négliger des indispensables médiations des corporations ou des institutions de subsidiarité. Ce fut la même tendance que l’on a remarquée dans l’internationale ouvrière communiste.

L’Église, en particulier dès le départ de la Constitution conciliaire (5) la concernant, se définit comme « le signe et l’instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ». Il s’agit bien de toute l’humanité et non seulement la communauté des croyants chrétiens. C’est une tâche essentielle pour une « nouvelle évangélisation ». Elle est fondée, non seulement sur l’annonce du message évangélique, mais sur la constitution de relations de type familial, d’alliance entre Dieu et les hommes qui, traversant les frontières des puissances économiques et les coalitions d’intérêt dans une mondialisation sans but, affirmerait que la société est faite pour l’homme et pour tous les hommes, membres de la famille humaine enfantée par Dieu.

Mgr Gérard Defois
Archevêque émérite de Lille

« Migrations et Pastorale » N° 349  Novembre- Décembre 2010

1/ Jacques Maritain : Œuvres complètes, volume IV, Editions universitaires, Fribourg 1983, p.203-204.
2/ Benoît XVI : L’amour dans la vérité, n°29.
3/ Benoît XVI : L’amour dans la vérité, n°55.
4/ Matthieu 12,39-41 ; 28,16-20; Luc 11,29-32 ; 24,47-48.
5/ Concile Vatican II, Lumen Gentium.

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