Chemin de Croix en communion avec les personnes victimes de violences sexuelles dans l’Eglise : une prière exigeante

Enseignante à l’Institut catholique de Paris (ICP) et membre de la commission de théologie de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), la théologienne Katherine Shirk Lucas a élaboré en 2021 un chemin de Croix pour les personnes victimes de violences sexuelles dans l’Église. Il met en regard leurs témoignages et la Passion du Christ.

Qu’est-ce qui a déclenché chez vous cette envie de réaliser ce chemin de Croix ?

En tant que catholique d’origine américaine, je suis attentivement la question des violences sexuelles dans l’Eglise catholique depuis longtemps (les premiers articles sur le sujet dans le National Catholic Reporter aux Etats-Unis datent de 1985).  Je suis au courant de ces violences, de ces abus de pouvoir, depuis que je suis chrétienne adulte.

Quand la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église a commencé ses travaux en France, j’ai suivi ces évolutions grâce au site Internet. J’ai suivi en direct la remise du rapport final de la CIASE le 5 octobre 2021, j’ai entendu le besoin urgent des personnes victimes d’être entendues et écoutées. J’ai tout de suite lu le recueil de témoignages publié par la CIASE, De victimes à témoins. J’ai été frappée, émue, par les expressions de souffrances profondes, j’ai ressenti le besoin d’exprimer mon soutien de ces témoins.

Je suis membre du conseil pastoral de ma paroisse, Saint Jean-Baptiste de Belleville à Paris 19è. Ce conseil a exprimé le désir de « faire quelque chose » pour les personnes victimes, sans savoir quoi proposer…Je craignais des demandes de pardon précipitées et/ou des prières mal ajustées aux réalités des personnes victimes…J’ai décidé de composer ce chemin de croix pour répondre à la demande du conseil pastoral, sans savoir comment le curé et les membres du conseil allaient réagir à cette prière exigeante…

Pouvez-vous nous expliquer de quelle façon s’est élaboré ce chemin de Croix ? Était-ce un travail de groupe ou alors un travail personnel et individuel ?

Je l’ai composé seule. Finalement, après un temps de discernement et de discussion, le conseil est arrivé à un consensus pour prier ce chemin de Croix en communauté le samedi 16 octobre 2021. Je n’aurai pas proposé ce chemin de Croix sans cette étape de discernement ecclésial : je fais confiance à l’intelligence collective. De mon côté, avant la célébration publique du chemin de croix, par prudence et par respect, j’ai sollicité l’avis d’une personne victime et d’un membre de la CIASE que je connais personnellement, pour savoir comment ils réagissaient à une telle initiative. Leurs réponses m’ont également rassuré quant à la légitimité de cette démarche. Je suis aussi rassurée car la commission qui a préparé cette journée mémorielle a travaillé avec des personnes victimes-survivantes qui ont, elles aussi, été favorables à la proposition de ce chemin de cCroix.

Ce chemin de Croix a été repris pour la journée nationale de prière pour les personnes victimes d’abus et d’agressions sexuelles dans l’Eglise, du 20 mars 2022, 3ème dimanche de Carême. Pouvez-vous nous expliquer ce lien entre le dimanche des scrutins, pour les catéchumènes et cette proposition liturgique ?

Grâce à leur rencontre avec le Christ et son don de la grâce, avec l’accompagnement donné par ces disciples, les catéchumènes demandent d’être baptisés dans la mort et la Résurrection du Christ (Rm 6,3-4). Par ce baptême, ils deviennent membres du Corps du Christ et s’engagent sur un chemin de conversion.

Dans la première lettre aux Corinthiens 12, 26-27, nous lisons « Si un membre souffre, tous les membres partagent sa souffrance ; si un membre est glorifié, tous les membres partagent sa joie. Or vous êtes le corps du Christ et vous êtes ses membres, chacun pour sa part. »

En ce dimanche des scrutins, nous prions pour les catéchumènes : « qu’ils se laissent convertir par la parole du Christ. » J’espère que les futurs baptisés seront éveillés à leur responsabilité comme chrétiens de partager les souffrances des personnes victimes-survivantes des agressions sexuelles dans l’Église. J’espère que les futurs baptisés trouveront aussi des frères et sœurs en Christ prêts à partager leurs propres souffrances et joies.

Comment envisagez-vous cette journée du 20 mars 2022 ?

Porter à la conscience de tous les fidèles la mémoire des personnes victimes-survivantes afin d’engager un chemin de conversion ecclésiale, par des actes de réparation, est un processus très long, à inscrire dans le temps et dans l’espace. La vigilance qui se traduit en mesures de protection doit aussi être sans cesse renouvelée.   C’est une excellente initiative d’instaurer une journée mémorielle nationale au sein de l’Église catholique en France. Il serait important de réfléchir à la manière de relier cet effort avec d’autres initiatives à travers le monde, par exemple, la Journée internationale de tous les surivant(e)s, All Survivor’s Day, commémorée le 3 novembre, à la suite de la fête de la Toussaint du 1er novembre et de la mémoire de tous les défunts le 2 novembre.