Les silences du dimanche soir
Comme cela m’arrive quelquefois, je me trouve, ce dimanche soir, sur l’un des quais de la gare du Nord à Paris.
J’attends patiemment que s’affiche sur le panneau électronique le numéro du quai où stationne le train qui doit me ramener à Arras. La S.N.C.F. semble prendre un malin plaisir à faire longuement patienter les usagers. Pour tuer le temps, j’observe !
Arrive un train venant de Lille. Il déverse son flot de voyageurs plus ou moins pressés. Je remarque un monsieur qui tient par la main deux enfants, un garçon d’un côté, une fille de l’autre. Le trio s’arrête à ma hauteur.
L’homme de grande taille scrute la foule, l’air inquiet. Il se penche alors vers le garçon et lui doit à mi-voix : « Elle n’est pas venue vous chercher ! » Je sens arriver la panique. Manifestement, ce monsieur a l’intention de reprendre immédiatement le train en direction inverse.
L’attente dure une dizaine de minutes. Soudain une dame fend la foule, tend ses mains vers les enfants. Sans un mot, sans un regard, le frère et la sœur changent de parent. Déjà le père tourne le dos.
A cet instant précis, je saisis le regard désespéré que lance la fillette vers son père qui s’éloigne. Ce regard m’a fait mal tant il exprimait une douleur, dont j’étais, sans doute, à cet instant, l’unique témoin.
Que de fois, n’ai-je pas croisé, le dimanche soir, dans le métro parisien, l’étonnant cortège de papas qui ramenaient, je ne sais où, des enfants qu’ils ne reverraient pas avant un certain temps.
Je n’ai pas le droit de porter de porter jugement définitif et global sur la rupture des couples et la séparation des personnes. Je ne sais que peu de choses des souffrances qui se cachent dans l’intimité familiale. Elles peuvent être insurmontables ! Pas plus qu’en d’autres domaines, il n’est possible en celui-ci de prendre la place de qui que ce soit ou de déposer sur les épaules d’autrui un fardeau que nous serions bien incapables de soulever.
Il serait certainement injuste de nier la qualité et la richesse de certaines familles recomposées. Elles peuvent parfois offrir une planche de salut à des personnes, à des enfants.
En revanche, je suis étonné de la légèreté avec laquelle, l’opinion minimise la douleur d’enfants qui se trouvent privés d’un bien précieux et irremplaçable : la présence d’un papa et d’une maman qui s’aiment pour la vie. Quel que soit leur âge, une rupture entraîne pour eux des conséquences dont on n’apprécie pas toujours les effets à leur juste hauteur.
Je suis évêque depuis bientôt 17 ans. J’ai reçu et lu plusieurs milliers de lettres de confirmands. Au moment de leur confirmation, les jeunes ont entre 14 et 18 ans, voire plus. Je reste étonné par le nombre de lettres qui me font part de la souffrance qu’éprouvent, à l’entrée de l’âge adulte, des garçons et des filles frustrés d’une dimension essentielle de leur vie, de leur croissance et de leur affectivité.
Non. Nous ne devons condamner personne. Nous devons simplement nous demander ensemble comment nous pouvons et devons aider les couples, les familles à se constituer, à grandir, à durer sous le soleil comme dans la tempête. La société, l’Eglise elle-même ont pris du retard sur un terrain pourtant primordial pour leur avenir et leur mission.
+ Jean-Paul Jaeger, évêque d’Arras
12 mai 2008