Les technologies au service des personnes porteuses de handicap

Les nouvelles technologies (exosquelettes, prothèses, logiciels, implants oculaires ou auditifs…) viennent de plus en plus palier une « déficience » innée ou acquise. Plusieurs questions d’ordre éthique se posent face à une approche très technocentrée de la démarche de soutien aux personnes porteuses de handicap. Le Service National Famille et Société de la CEF a dédié un atelier de réflexion à ce sujet.

Les participants ont tout d’abord porté un regard historique sur la reconnaissance des personnes porteuses de handicap : de la dénomination de « monstres » au moyen âge on est passé au protocole de Madrid en 2002 qui leur octroie un égal accès au respect et à la dignité. La multiplicité des handicaps et de leurs origines nous amène à considérer que nous serons tous, un jour, personnellement concernés. Il a ensuite été évoquée la prise en compte du handicap dans le domaine du sport avec sa diversité, voir ses conflictualités : tous les porteurs de handicap ne participent pas aux jeux paralympiques, qui proposent pourtant plus de disciplines que les jeux olympiques pour tenir compte de la diversité des situations. Les réflexions portées sur les assistances à ces « handisportifs » qui peuvent donner lieu à des performances excédant celles des valides amènent à la question du « dopage technologique ».

Les questions éthiques relevées furent :

  1. La référence à la norme. La tendance est souvent de vouloir gommer le handicap pour revenir à une norme projetée ou imaginaire. Quid de la définition de cette norme ? Par qui ? Or on constate parfois que certaines personnes ne souhaitent pas perdre l’une de leurs caractéristiques, même si celle-ci est « handicapante ». Peut-on d’une part vanter le respect de la diversité et d’autre part tenter d’établir une norme dont il faudrait se rapprocher ?

 

  1. L’écoute et la prise en compte des vrais souhaits des personnes porteuses de handicap. Que ce soit pour se déplacer, utiliser ses sens, ou pouvoir communiquer, on pense souvent « à la place » de la personne concernée, et l’on croit savoir qu’elle souhaite recouvrer une faculté absente ou perdue. Ne devrait on pas davantage questionner et écouter, vraiment, ces personnes et leurs besoins, et agir en conséquence ?
  1. Qui doit faire le chemin d’inclusion ? La société doit-elle d’abord porter ses efforts sur les apports à la personne en difficulté d’inclusion par l’ajout de dispositifs technologiques qui viennent « modifier » ou « réparer » la personne, ou ne doit-elle pas aussi faire le chemin pour inclure ces personnes telles qu’elles sont ? Les deux sont bien sûr nécessaires. On a pourtant dans certains cas des personnes qui refusent une possible « réparation ». Par exemple certaines personnes sourdes peuvent refuser pour elles ou pour leurs enfants la pose d’un implant qui leur permettrait d’entendre. Comment néanmoins travailler à leur inclusion ? Doit-on étendre la pratique de la langue des signes ?
  1. Le lien ténu entre réparation et augmentation. Au nom de la réparation toutes les innovations semblent souhaitables pour diminuer l’impact du handicap. Mais les techniques mises en œuvre pourraient aussi servir à augmenter les personnes valides. On ne saurait priver de réparation une personne porteuse de handicap au nom du risque d’un mésusage par des personnes valides, et pourtant si la personne « réparée » finissait par « surpasser » la personne « valide », qui empêcherait celle-ci de demander la même intervention ? Peut-on augmenter l’homme indéfiniment ? Faut-il fixer des limites à la « réparation » ?

Les questions qui se posent dans l’utilisation de la technologie pour aider les personnes porteuses de handicap ne sont, en fait, pas fondamentalement différentes de celles posées par l’irruption de la technologie pour les personnes valides. La principale différence est que ce qui est fait pour les personnes porteuses de handicap l’est d’abord au titre de l’assistance et de la « réparation ». Cela incite sans doute à occulter pour partie les questions éthiques que l’utilisation plus large de ces technologies pourraient provoquer, principalement en ouvrant la voie à « l’humain augmenté ». La reconnaissance vocale qui permet de dicter au lieu d’écrire s’applique à tous, et si elle parait évidente pour un handicapé moteur, pratique pour une personne valide, qu’en dire si elle amène les enfants à ne plus savoir écrire…puis lire ?

Thierry Sergent