Métavers, où allons-nous ?

Dans la série des séminaires ouverts « Innovation et Société » organisés par le pôle Société du Service National Famille et Société de la CEF, une rencontre-débat sur l’actualité et les enjeux du ou des métavers s’est tenue le 2 Décembre 2022.

Question fondamentale pour l’avenir du numérique pour certains, dont Meta (Facebook), chimère et objet de critiques pour d’autres, connaissant déjà des premières réalisations, qu’en est-il de cette nouvelle étape technologique qui a fait l’objet en octobre dernier d’un rapport approfondi au gouvernement français ?

Les deux intervenants, Serge Soudoplatoff et Dominique Boullier, ont présenté leurs analyses sur les questions et enjeux techniques, anthropologiques et sociétaux concernant ces « nouveaux univers virtuels ».

Serge Soudoplatoff, diplômé de l’école polytechnique, a commencé sa carrière dans les domaines de l’analyse des images et la reconnaissance automatique de la parole. Il a dirigé le centre de recherche de Capgemini, avant de devenir directeur de l’innovation chez France Télécom. Puis il a participé à la création de plusieurs start-up et a été expert auprès d’Hadopi Labs jusqu’en 2012.

Il est un intervenant reconnu pour sa capacité à analyser et expliquer les tendances technologiques, et à les contextualiser.

Dominique Boullier, docteur en sociologie, est Professeur des Universités émérite 19eme section CNU (Sociologie), Professeur de sociologie à Sciences Po Paris, Chercheur au CEE (Centre d’Etudes Européennes et de Politique Comparée) et ancien coordonnateur scientifique du médialab de Sciences Po avec Bruno Latour (2009-2013).

Il a publié de nombreux livres, dont « Sociologie du numérique » , Armand Colin, 2019, et « Comment sortir de l’emprise des réseaux sociaux », Le Passeur, 2020. Il a récemment co-écrit un article sur AOC : « Metavers, Vers l’exploitation virtuelle ».

 

Serge Soudoplatoff a principalement présenté les deux éléments qui, selon lui, pourraient permettre l’émergence réelle d’un ou de metavers, contrairement à l’échec relatif de Second life qui en était le précurseur il y plus de quinze ans.

Ces deux nouveautés sont :

  • Le casque de réalité virtuelle qui permet une réelle et totale immersion, mais qui est, à ce jour, peu ou pas compatible avec une utilisation prolongée
  • La blockchain qui permet de mettre en place, au travers des « NFT » (Non Fongible Token), une existence unique et fiable des objets virtuels, permettant ainsi d’élaborer des business models.

On peut ainsi classer les tentatives existantes :

 

Dominique Boullier suggère de bien distinguer quatre débats :

1°) La réalité virtuelle en tant qu’outil immersif, esthétique, ludique. Ceci s’inclut dans la droite ligne ouverte depuis longtemps par les jeux vidéo. Ils gagneront encore en esthétique et en fonctionnalités, mais ils resteront des programmes écrits par des concepteurs et joués par des utilisateurs.

2°) La simulation comme outil de formation ou d’expériences. L’aide aux chirurgiens ou aux pilots existe déjà. Ce sont des outils ultra-professionnels, et le chemin à parcourir par le Metavers semble bien long à parcourir, d’autant que ces outils professionnels continueront à évoluer en parallèle.

3°) Le metavers comme monde virtuel permanent. C’est ce sujet qui est le plus souvent mentionné comme étant l’avenir du metavers. Comme Serge Soudoplatoff, Dominique Bouiller ne croit pas à l’utilisation pérenne de casques virtuels que notre cerveau ne saura supporter sur une grande durée. En revanche au-delà de l’ouverture à la publicité des espaces virtuels, la construction économique issue des NFT, même si elle est avant tout spéculative, va permettre à nombre d’acteurs de se développer, sans pouvoir prédire leur pérennité. Un exemple parlant est Roblox, qui a sa propre monnaie, le Robux, plus de 150 millions d’utilisateurs, dont la moitié a moins de 13 ans, et qui laisse des dizaines de milliers de contributeurs créer des « expériences » ou des objets virtuels, qu’ils monétisent…en reversant une commission à Roblox. Meta, dont le metavers « Horizon World » est balbutiant ambitionne davantage de fédérer les métavers, que de développer son propre univers.

4°) Le métavers comme système d’exploitation de l’internet mobile et des objets connectés. C’est là le but de l’entreprise Meta qui cherche à s’affranchir de ses dépendances à Google avec Android, et à Apple avec IOS. Cette tentative de devenir le protocole et le « navigateur » de référence rendrait Meta incontournable. Cette démarche qui l’amènerait peut-être à être le fournisseur principal de l’infrastructure du Web3 pourrait aussi peut-être lui permettre de s’affranchir des nouvelles réglementations européennes, que ce soit le DSA (Digital Service Act) ou le DMA (Digital Marketing Act). Cette avancée vers le Web3 comprend l’arrivée de la 5G et de la myriade d’objets connectés qui vont y être associés. On se focalise beaucoup sur le point du précédent paragraphe, les metavers type Horizon World ou Sandbox, avec force critiques sur l’offre proposée par Meta, alors que ses investissements portent principalement sur cette ambition de « meta-meta-vers ». Y arrivera-t-il ?