« Lancer de filet sur la Toile » : témoignage du P. Pic

J’ai 51 ans, je suis le curé d’une paroisse de province : normalement je ne devrais pas être là. Si Olivier, journaliste, mon cadet de vingt ans, ne m’avait pas un jour sérieusement botté les fesses en me disant « vas-y !!! », je n’aurais pas participé à la colonisation (à l’évangélisation ?) de ce septième continent que l’on nomme poétiquement la Toile. Aujourd’hui, amusez-vous à taper « blog » et « curé » sur Google, vous verrez : c’est moi qui m’invite sur votre écran.

Un blog, c’est d’abord un truc super-narcissique. Bienvenue chez moi, regardez mes photos, écoutez ce que j’ai envie de vous dire, pensez comme moi et si vous n’êtes pas d’accord, exprimez-vous, mais toujours à partir de ce que je pense (de toute façon c’est moi qui censure…). Le Blog du Curé ne fait pas exception à la règle : c’est le journal intime que tout le monde peut lire et sur lequel j’étale mes états d’âme.

Seulement, voilà : un curé, ça reste un curé. Quand il ouvre la bouche, il parle sous l’abat-son de la chaire ; quand il prend la plume, c’est forcément pour le bulletin paroissial. Comme dans la prière eucharistique, il est censé toujours dire « nous ». C’est ainsi que mon petit diaire est devenu prise de parole publique, moyen d’évangélisation, lieu de confrontation, carrefour sur lequel se retrouvent des croyants et des incroyants, des benoitseizistes et des gens-qui-ont-mal-à-leur-Eglise. Car un curé qui tient un blog, c’est forcément un curé pas comme les autres, plus ouvert, plus jeune, mieux quoi. Quand je regarde d’où viennent mes lecteurs, je m’étonne : le monde entier, oui madame, oui monsieur, vient me lire (sauf la Chine qui s’obstine à me censurer). Et quand je découvre leurs horizons idéologiques, c’est encore plus intéressant. Car sur le Net, on peut être lu, compris, interpellé par n’importe qui. On cause avec des gens qui étaient à mille lieues de penser qu’un jour ils parleraient à un prêtre. On répond à des questions, on découvre qu’elles sont très très loin de celles à quoi on s’attendait. On drague, au sens du dictionnaire (« traîner au fond de l’eau un filet de pêche » : la drague, c’est évangélique). Ceux qui sont là attendent quelque chose, et ils sont nombreux. Des brebis sans berger.

On drague, oui. Mais surtout, on est là. Et c’est là l’essentiel. Commencez une nouvelle recherche, tapez « Dieu », et vous verrez : les cathos, sur la Toile, sont cruellement absents. Ce ne sont pas des théologiens qui rédigent les articles de Wikipédia, dont s’inspirent pour leurs exposés tous les lycéens du monde. Ce ne sont pas des catholiques qui s’expriment le plus sur les débats qui agitent leur Eglise. Pourtant, c’est simple, gratuit, pas cher ; pas besoin d’avoir des relations pour être publié. Pourtant, il y en a des questions qui traînent, des âneries qui sont proférées, des mensonges qui sont assénés. Mais qui parle pour dire le vrai ? Le pape a raison, il faut y aller. J’en connais, des confrères qui passent du temps à surfer. Allez les copains, encore un effort, écrivez, vous aurez moins l’impression de perdre votre temps.

Le Père Emmanuel Pic est prêtre de la paroisse Saint-Pierre à Dijon (21). A 51 ans, il ne se contente pas de surfer sur internet : il écrit. Son « blog du curé » est visité par des lecteurs du monde entier. Ce qu’il dit de son engagement sur la Toile.

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