4. Un contrat social à repenser
Les conditions de vie en société ne correspondent plus à ce que les individus espéraient. Dans une société où l’individu et non le collectif est devenu la référence, il y a un sentiment de déception vis-à-vis de l’Etat providence qui n’arrive pas à satisfaire les attentes.
Par exemple, le sentiment de sécurité et de progrès social que notre société a très largement connu depuis la fin de la Seconde guerre mondiale – les générations qui se sont succédé étaient quasi assurées de mieux vivre que leurs parents – est aujourd’hui moins fort. On peut dire qu’il y a une insécurité sociétale chez les Français qui redoutent, plus que tous les autres européens, de subir un déclassement dans leur niveau de vie. C’est une insécurité réelle dans certains cas, parfois seulement un ressenti et une crainte. Ainsi, le travail n’est plus autant protecteur que par le passé, et il n’est plus rare de trouver des familles qui connaissent le chômage depuis deux ou trois générations, avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer. Les systèmes d’assurance, de sécurité sociale, d’indemnisation montrent leurs limites. Même les repères simples de la vie en société sont chahutés. C’est, par exemple, la disparition dans les villages des services de proximité, épicerie, bureau de poste, médecin, curé…
Sentiment d’insécurité mais aussi sentiment d’injustice. A cet égard, les résultats d’un sondage récent sont éloquents[1]. Il en ressort qu’une majorité de Français a le sentiment de vivre dans une société de plus en plus injuste. Une France inquiète des injustices, et qui comprend mal par exemple le salaire indécent de certains grands patrons pendant que l’immense majorité des petits entrepreneurs se battent pour que leur entreprise vive et se développe. Mais la grande injustice – qui devrait être davantage la priorité absolue de notre vie en société – est le chômage.
Le dernier rapport annuel du Secours Catholique, paru en novembre 2015, est alarmant sur ce point avec le constat d’une pauvreté qui ne cesse d’augmenter dans notre pays, et les conséquences que cela entraîne en termes d’exclusion et de déstructuration de vie, en termes aussi de stigmatisation des pauvres.
Dans cette insécurité sociétale, l’avenir semble indéchiffrable. Peu de choses semblent sûres et certaines. Nous pensons au sentiment d’insécurité liée à la violence, violence urbaine le plus souvent mais pas seulement, et dont les faits divers, de l’incivilité à l’agression, relativement peu nombreux si on les rapporte à la population totale, entretiennent ce sentiment d’insécurité.
Enfin, évidemment, la situation mondiale n’est pas là pour rassurer. L’horizon est plein d’incertitudes : les questions que pose l’Islam, sa présence dans notre pays, la crainte du terrorisme, les flux migratoires…, mais également les interrogations radicales dues aux transformations climatiques et écologiques, contribuent à déstabiliser et inquiéter beaucoup.
La situation est encore plus grave pour tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, ne se sentent plus partie au contrat. Ce sont tous ceux qui sont exclus du système, les chômeurs en fin de droit, les sans domicile fixe, personnes vivant dans la précarité, qui se retrouvent – pour reprendre le titre d’un documentaire paru en 2013 – « au bord du monde ». Réintégrer dans la communauté nationale et citoyenne ceux qui, silencieusement et loin des regards, en sont peu à peu écartés, est le combat quotidien de beaucoup d’associations, chrétiennes ou non. Certaines, comme le Secours Catholique, s’emploient à sortir d’une logique de simple assistance, passant du « faire pour » au « faire avec », en associant les personnes aux décisions. Initiative précieuse pour permettre de retrouver sa dignité, et de signifier que chacun a quelque chose à apporter au tissu social.
A un niveau moindre évidemment, mais pourtant très inquiétant pour l’avenir, il y a également la grande difficulté pour les jeunes d’accéder au marché du travail. Beaucoup ont le sentiment que cette société n’a pas besoin d’eux, ne leur fait pas de place sauf pour financer la retraite de leurs aînés. Le système actuel entretient une énorme frustration chez beaucoup d’entre eux. L’idée de service civique contribue à lutter contre ce sentiment, et trouve un écho chez beaucoup de jeunes de 16 à 25 ans qui s’y engagent de plus en plus nombreux. Il permet à des jeunes de contribuer à renforcer la cohésion nationale par des actions à caractère éducatif, humanitaire, environnemental… Si la mission de service civique est une bonne idée pour favoriser le goût de la vie en société, elle ne donne pas d’emploi ni de diplôme, et ne doit donc pas exempter les acteurs sociaux de leur responsabilité à l’égard des jeunes générations.
Enfin, parmi les catégories de ceux qui ont du mal à se sentir partie prenante au contrat social, il y a évidemment les personnes d’origine étrangère, en France depuis peu ou depuis plusieurs années, qui n’arrivent pas à trouver leur place.
Ainsi, dans toutes ces situations, les valeurs républicaines de « liberté, égalité, fraternité », souvent brandies de manière incantatoire, semblent sonner creux pour beaucoup de nos contemporains sur le sol national.
[1] Sondage CSA-La Croix, février 2016.
Pistes pour échanger
- Qu’est-ce qui met le plus en danger le contrat social de notre pays ?
- Ressentez-vous personnellement ce sentiment d’insécurité et d’injustice sociétale ?
- Quel sens les valeurs de « Liberté, Egalité, Fraternité » ont-elles aujourd’hui ?
Table des matières
« Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique »
Le Conseil permanent de la Conférence des évêques de France aux habitants de notre pays
- Retrouver le politique
- Une société en tension
- Ambivalences et paradoxes
- Un contrat social à repenser
- Différence culturelle et intégration
- L’éducation face à des identités fragiles et revendiquées
- La question du sens
- Une crise de la parole
- Pour une juste compréhension de la laïcité
- Un pays en attente, riche de tant de possibles