Bioéthique, un enjeu d’humanité

Etude sur le projet de loi relatif à la bioéthique

Après le projet de loi du gouvernement français,en date du 20 octobre 2010, l’Eglise attire l’attention sur l’enjeu d’humanité qui se cache derrière la prochaine révision de la loi de bioéthique. Le livret « Bioethique. Un Enjeu d’humanité » publié par la conférence des évêques de France aide chacun à mieux percevoir cet enjeux d’humanité. Il permet de réfléchir sans se rallier au « moins-disant éthique » pour ouvrir des voies selon l’éthique du respect dans notre société d’aujourd’hui et de demain.

Introduction par Mgr Pierre d’Ornellas.
 


[1] L’Église catholique, pour sa part, y a contribué, non seulement par la participation de nombreux catholiques aux débats proposés pendant les États généraux, mais aussi par l’ouverture d’un blog bioethique.catholique.fr et la publication de trois ouvrages : Bioéthique. Propos pour un dialogue, Lethielleux-DDB, février 2009 ; puis en dialogue avec l’Étude du Conseil d’État (mai 2009) et le Rapport final des États généraux (juillet 2009) : Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux-DDB, novembre 2009 ; puis en dialogue avec le Rapport d’information parlementaire (janvier 2010) : « Au cœur du débat bioéthique, dignité et vulnérabilité », Documents Épiscopat, n° 6/2010.
[2] Rapport d’information, n° 2235, ALAIN CLAEYs et JEAN LÉONETTI, Favoriser le progrès médical. Respecter la dignité humaine, janvier 2010. Cité Rapport d’information.
[3] Rapport de l’OPECST n° 2718/652, ALAIN CLAEYS et JEAN-SÉBASTIEN VIALATTE, La recherche sur les cellules souches, 8 juillet 2010, p. 9 : « Concilier droits des chercheurs et respect des principes qui fondent notre droit bioéthique : dignité, gratuité, non marchandisation du vivant, notamment. » Voir aussi ibid., p. 129.
[4] Le principe de dignité est absent du Rapport de l’Agence de la biomédecine qui, conformément à la loi de 2004, s’est fixé l’objectif « d’identifier les progrès qui se dessinent », de « favoriser, en amont, les activités de recherche qui nourrissent ce progrès et assurer, le moment venu, leur mise en œuvre concrète au service de la qualité de la prise en charge des patients ». Voir le Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement, avril 2010.
[5] Voir ALAIN GRAF, Rapport final, États généraux de la bioéthique, 1er juillet 2009, p. 10. Voir aussi dans son Annexe la réflexion du CHU de Poitiers, p. 37, cité dans Bioéthique. Questions pour un discernement, Lethielleux-DDB, 2009, p. 19, note 2.
[6] Conseil d’État, La révision des lois de bioéthique, coll. Les études du Conseil d’État, La documentation française, 2009, p. 13.
[7] Voir les auditions de M. DIDIER SICARD, Mme CORINNE PELLUCHON, M. XAVIER LACROIX, le Grand rabbin Haïm Korsia devant la Mission d’information parlementaire, citées dans « Au cœur du débat bioéthique : dignité et vulnérabilité », Documents Épiscopat, n° 6/2010, p. 12-13.
[8] La société est appelée à changer de regard sur le handicap. Voir entre autres l’Étude du Conseil d’État (p. 30), le Rapport des États Généraux (pp. 40-41), l’Avis n° 107 du CCNE, le Rapport d’information (p. 223).
[9] Tous les débats ont abouti à reconnaître qu’il fallait interdire la gestation pour autrui. Rappelons ici l’OPECST (20 novembre 2008), l’Académie de médecine (10 mars 2009), l’Étude du Conseil d’État (mai 2009), le Rapport des États généraux (1er juillet 2009), le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine (18 septembre 2009), le Rapport d’information parlementaire (janvier 2010).
[10] Rapport des États généraux, p. 16.
[11] Selon la recommandation de l’Étude du Conseil d’État (p. 125) et le souhait exprimé dans le Rapport des États généraux (p. 16). Voir Bioéthique. Questions pour un discernement, p. 27.
[12] Rapport d’information, tome 1, p. 17.
[13] Proposition n° 4 du Rapport d’information (janvier 2010). C’est le sénateur CLAUDE HURIET qui constate que l’enfant est « le grand absent des lois de 1994 et de 2004 et des débats de ces lois », ibid., p. 44.
[14] « Nous sommes face à une interrogation fondamentale de la société – qu’est-ce que la filiation ? -, qui rejoint d’autres problèmes beau¬coup plus larges sur la place du parent, de la génétique, du biologique, etc. », s’interroge Mme CHANTAL LEBATARD, administratrice de l’UNAF, devant la Mission d’information parlementaire, in Rapport d’information, tome 2, p. 456.
[15] « Le consentement libre et éclairé constitue l’un des principes cardinaux des lois de bioéthique », peut-on lire dans le Rapport d’information (p. 37). À la page 491, ce Rapport renvoie au Rapport explicatif du protocole additionnel à la Convention d’Oviedo relatif à la recherche biomédicale, qui, effectivement, donne beaucoup d’éléments pour assurer une information adéquate, préalable indispensable à tout consentement.

La révision de la loi de bioéthique est l’occasion d’exprimer une certaine idée de l’homme. Elle a été préparée dans des conditions à la hauteur d’un enjeu qui va bien au-delà d’un simple bricolage juridique entrepris pour tenir compte des avancées des techniques biomédicales : un enjeu d’humanité.

En vue de cette révision, une réflexion ample et approfondie fut conduite partout en France [1], toujours articulée autour du principe de dignité humaine, qui a valeur constitutionnelle. Le respect de la dignité humaine est mis en exergue du Rapport d’information parlementaire [2] et réaffirmé dans le dernier Rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques [3], tous deux rédigés en vue de cette révision. Si le projet de loi, présenté en Conseil des ministres le 20 octobre 2010, ne mentionne pas ce principe, le communiqué de presse du même jour rappelle très explicitement « l’adhésion des Français aux principes qui fondent les lois de bioéthique : respect de la dignité humaine, refus de toute forme de marchandisation et d’exploitation biologique du corps humain ». Pour discerner les voies éthiques du respect de la dignité humaine dans l’avancée des progrès scientifiques, les besoins des chercheurs ne peuvent suffire [4] : le débat démocratique est essentiel.
Dans l’opinion publique, la « bioéthique » inquiète. Les communications incessantes sur les nouvelles mises en œuvre possibles de techniques biomédicales dans divers pays du monde éveillent des craintes, qui ne sont pas toujours infondées, ou des désirs, qui engendrent parfois d’amères frustrations. Devant les perspectives plus ou moins extravagantes que véhiculent certains scientifiques ou certaines sociétés avides de gains financiers, et qui sont relayées par les médias ou par Internet, beaucoup de nos concitoyens attendent qu’une idée de l’homme soit exprimée de façon claire et rassurante.

Les citoyens des États généraux ont en effet attiré l’attention sur la « portée anthropologique » du débat et sur la nécessité de « réfléchir à la conception de l’humain dont la loi se veut l’expression », car « il y a des enjeux anthropologiques majeurs qui nécessiteraient enfin une réflexion projective sur le projet que l’Homme a sur son Humanité » [5]. De son côté, le Conseil d’État écrit : « Les choix engagent doublement notre conception de l’homme : en tant que personne, dans sa dignité et sa liberté, et en tant qu’espèce humaine, dans son identité et sa diversité » [6].
Un enjeu d’humanité, tel est donc le défi posé au droit par les prouesses biotechnologiques et par leurs limites. Protéger l’humanité, tel est l’enjeu et la mission du droit quand il doit intégrer à sa tradition et à ses valeurs les nouvelles possibilités médicales et thérapeutiques qu’offre la science. Dire clairement la valeur d’humanité qui porte notre droit et la traduire en termes juridiques sont des tâches d’autant plus importantes que sera ainsi établie la base du futur encadrement législatif, à plus ou moins long terme, des sciences dites émergentes ou NBIC.
 

Une certaine idée de l’homme : dignité et respect du plus vulnérable

La mondialisation accélère la diffusion des technologies. Elle provoque la concurrence des recherches, liée à la concurrence financière, et peut, aussi, favoriser la transmission d’une certaine idée de l’homme. Or, l’idée d’humanité que la France promeut est tout entière contenue dans la dignité inviolable de tout être humain dès le commencement de sa vie. À partir du principe de dignité, elle développe une éthique qui est tout à la fois une « éthique du respect » et une « éthique de la vulnérabilité » [7].
Le débat préparant la révision de la loi de bioéthique a mis davantage en lumière la place de la personne vulnérable et la nécessité de mieux la protéger. C’est pourquoi il est heureux que le projet de loi, d’une part, ne stigmatise pas les personnes atteintes de trisomie 21 en ne mentionnant pas la trisomie 21 parmi les maladies dépistables par le diagnostic préimplantatoire [8], et, d’autre part, ne propose pas de remettre en cause la

prohibition actuelle de la gestation pour autrui [9]. À ce sujet, le Conseil d’orientation de l’Agence de la biomédecine, favorable au maintien de cette prohibition, a écrit que la France « loin d’être en retard, est en avance sur la protection par la loi de la dignité des personnes ». Il fut rejoint par les citoyens des États généraux qui ont souligné que « la France est un pays souverain qui ne doit pas se soumettre à la pression internationale en matière éthique » [10].
En refusant de se rallier au « moins disant éthique » [11] international et de rentrer dans le simple jeu de la concurrence, notre manière de légiférer en bioéthique peut faire école auprès d’autres pays dans la recherche du juste respect de la dignité humaine. La réflexion écologique atteste avec évidence que le critère financier et l’exploit scientifique ne sont pas les mesures appropriées du véritable progrès. « Le législateur peut dès lors revendiquer dans ses décisions une spécificité influencée par nos valeurs ainsi que par notre culture juridique et médicale » [12].
C’est en étant fidèle à une idée cohérente de l’homme et de sa dignité, qui invite à protéger en particulier les plus vulnérables, que la France sera « en avance » dans l’utilisation réfléchie et audacieuse des techniques biomédicales.
 

L’intérêt de l’enfant : AMP et embryon humain

Le débat préparatoire a donné l’occasion de rappeler que l’enfant était « le grand absent des lois de 1994 et 2004 et des débats sur ces lois ». Ce constat partagé a conduit à prendre en considération « l’intérêt de l’enfant à naître dans les décisions relatives à l’assistance médicale à la procréation [AMP] » [13]. C’est pourquoi il est juste que le projet de loi n’ouvre pas la possibilité de l’insémination et du transfert d’embryons post mortem, ni la possibilité du recours à l’AMP pour les célibataires et les couples de femmes. L’AMP ne demeure donc accessible qu’aux couples composés d’un homme et d’une femme en raison d’une infertilité médicalement constatée (en dehors du cas spécifique du diagnostic préimplantatoire). C’est pourquoi aussi, le projet de loi ouvre la possibilité de lever l’anonymat pour les enfants issus d’une AMP avec donneur(s), ce qui n’est pas sans poser de difficiles questions [14]. Nous nous y attardons plus loin au chapitre V.
Ranger la « conservation des embryons » humains dans la liste des procédés biologiques renouvelle de façon forte les questions éthiques sur la congélation des embryons humains. Nous y réfléchissons au chapitre VI.
Certes, en maintenant l’interdiction de recherche sur l’embryon humain, le projet de loi confirme la tradition juridique française de protection de la dignité humaine de l’être humain « dès le commencement de sa vie » (Code civil, art.16) ; mais l’interdiction est assortie de dérogations permanentes. Cela soulève de graves questions éthiques. C’est l’objet de notre chapitre VII.
Dans ces trois chapitres V, VI, VII sont traités des sujets aux enjeux particulièrement importants. Pour chacun, il s’agit certainement d’un enjeu d’humanité que la science ne peut évaluer à elle seule. Cet enjeu fait appel à un effort de la raison pour discerner la voie éthique cohérente dans le respect de la dignité humaine.

Avant de traiter ces trois sujets, dans les quatre premiers chapitres qui suivent l’ordre des articles du projet de loi, nous abordons quatre dispositions :

I. l’information concernant des anomalies génétiques graves (page 10) ;
II. le don croisé d’organes (page 14) ;
III. la prise en compte des cellules de sang de cordon (page 16) ;
VI. l’information donnée à la femme enceinte sur les examens de DPN (page 19).

Les observations que nous formulons à propos de chacune d’elles sont dictées par le souci d’améliorer la prise en compte de la dignité humaine dans les diverses situations évoquées, notamment en affinant les possibilités d’assurer un consentement libre et éclairé, « principe cardinal » de la législation bioéthique française [15].

Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes
 

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