Richard Malka, Après Dieu. – Ma nuit au musée – Stock, 2025
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 5 février 2025, n° 5 à propos de « Après Dieu. » de Richard Malka, collection Ma nuit au musée – Stock, 2025
L’excellente collection Ma nuit au musée publie, à l’heure de l’anniversaire des attentats contre Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher un nouvel opus. On connaît son auteur, l’avocat Richard Malka, défenseur résolu de la laïcité, de la liberté d’expression et avocat de Charlie Hebdo. Son livre est, selon l’adage, un « tombeau de Voltaire », au sens propre mais aussi figuré puisqu’il a passé une nuit au Panthéon, déambulant du tombeau du philosophe, dans les cryptes, à sa statue, dans la nef. De Voltaire, il retient avant tout le pourfendeur des religions, l’anticlérical, et c’est dans cette lignée qu’il se situe. Il voit en la France celle qui doit plus résolument se réclamer de Voltaire, ce maître et cet ami, avec lequel il dialogue tout au long des pages, tutoyant François-Marie. Pour que la France lui demeure fidèle, il va jusqu’à souhaiter que l’homme des Lumières en devienne le symbole, remplaçant Marianne sur les frontons et dans les mairies.
C’est en combattant de la liberté que se positionne Malka, pour ce faire, il ne s’encombre pas de nuances. Mais, je dois le reconnaître, il peut se faire que les religions, par les ultras qui s’en réclament, se rendent odieuses. Doit-on alors fermer les yeux devant les caricatures qui en sont faites – par Charlie hebdo en particulier ? Ne soulignent-elles pas les dérives à quoi elles peuvent conduire ? Ces carricatures deviennent alors salutaires, alertant sur ce que nous sommes capables de produire.
Le propos principal de Richard Malka est une interrogation, exprimée dans son titre : comment se fait-il, qu’après Voltaire, dans un monde rationnel et scientifique, tant et tant de personnes raisonnables aient encore besoin de religion ?
En quelque sorte le Panthéon représente une nouvelle religion, celle des grands hommes et des esprits libres, et pourtant, ceci ne semble pas satisfaire les attentes des hommes.
« Pour tous, l’évolution vers la liberté et l’égalité nécessite d’inventer un absolu, une nouvelle transcendance déchristianisée. Le Panthéon devait être la première église de ce nouveau monde débarrassé de la tyrannie des prêtres. Telle était la promesse » p. 21-22.
« Regarde, François-Marie, à quel point tu t’es trompé. La promesse de religion citoyenne que vous portiez, toi et cet édifice, a échoué. Partout la servitude aux dieux empoisonneurs revient dans nos vies, parfois sous la forme la plus barbare, moyenâgeuse. Le XXIe siècle est religieux » p. 30.
« Alors comment faire pour conserver une transcendance divine puisqu’elle n’est pas négociable pour une large part de l’humanité tout en évitant l’obscurantisme ? La foi laïque est en avance sur son temps et le ruissellement des Lumières prendra des siècles à produire ses effets alors même que les ténèbres religieuses ne nous auraient pas engloutis avant. Il faut autre chose pour concilier besoin de croire et aspiration à vivre libre » p. 83.
« Rien n’a changé. Une grande partie de l’humanité a toujours besoin de croire, ce qui permet à des princes, des rois, des ayatollahs hypocrites, des télévangélistes millionnaires et des califes psychopathes, d’instrumentaliser ce désir de religion du peuple. C’est l’outil qui leur permet d’assouvir leur soif de pouvoir, d’argent, de sexe et de domination » p. 56.
« Nos sociologues et philosophes pensent que le christianisme est la religion de la sortie de la religion. Il en a été ainsi, mais ce que tu n’as pas anticipé, François-Marie, c’est à quel point la nature a horreur du vide… Et ce n’est pas la philosophie qui comble ce vide. Les mouvements pentecôtistes et évangéliques explosent, les prédicateurs américains dictent, en partie, la politique du plus puissant pays au monde, le nationalisme hindou s’amplifie et le fondamentalisme musulman séduit » p. 147.
Malka le concède, pourquoi pas des religions, mais alors, qu’elles ne tuent pas, qu’elles n’oppriment pas les libertés. « Toutes les religions, sans exception, produisent leur version fanatique, c’est inévitable » p. 137. « Il y a un continuum entre une religion et sa version fanatique, entre islam et islamisme. Le nier par peur d’un procès en islamophobie, c’est ne pas se donner les moyens de réagir » p. 138.
Il faudrait alors – ce qui s’avère parfois effectif – que les religions elles-mêmes soient leurs propres instances critiques, qu’elles dénoncent toutes les formes de leurs propres dévoiements. « Je me passerai bien de parler d’islam. Je sais que l’analyse critique d’une religion est plus efficace si elle émane d’une personne qui on partage le culte. Ce sont des chrétiens qui ont combattu le fanatisme chrétien » p. 77.
« Je n’étais pas aussi radical que mes amis de Charlie dans leur rejet des religions. J’avais éprouvé la profondeur de réflexion, l’éthique, la bienveillance, la compassion des croyants qui ne cherchent qu’à vivre une spiritualité sans la porter en étendard ni vouloir l’imposer à quiconque. Je l’ai vécu autour de moi, dans ma famille, mes amitiés et mes rencontres professionnelles, chez des croyants de toute obédience. Je la vis chaque jour, protégé par des policiers croyants, musulmans parfois, qui risqueraient sans hésiter leur vie pour protéger un blasphémateur réclamant le droit d’emmerder Dieu » p. 81-82.
Le plaidoyer de l’avocat de Charly prend cependant un tour fataliste, désabusé. Il constate que la défense des libertés n’est plus si partagée que cela par les jeunes générations, pour lesquelles, en particulier, la défense de son identité prend le pas sur le sens du collectif, du bien commun. « Un tiers des 15-17 ans interrogés en 2020 par un institut de sondage refusaient de condamner les attentats de 2015 » p. 204. « Aujourd’hui c’est l’Etat qui protège et le peuple qui demande des restrictions de la liberté d’expression. Qui aurait pu imaginer qu’une fois la bataille de la libre parole gagnée, nous n’en voudrions plus… Ce serait inimaginable pour toi » p. 183.
Des leaders politiques, plus attentifs à des clientèles en viennent alors à baisser la garde. « Par peur d’être qualifiée d’islamophobe ou pour se donner l’illusion de la générosité, une partie de la gauche s’est soumise au fascisme religieux. Pas peur de l’islamisme, une partie de la droite a rejoint l’extrême droite. Tenir une ligne de raison est devenu un chemin de croix » p. 74.
Enfin, il faut mesurer ce que les menaces et les attentats islamistes ont produit pour les personnes qui y furent exposées et ont survécu. Toute leur vie est bouleversée ; jusqu’à leur liberté qui est entravée.
« Mes officiers de sécurité vont me maudire. Jusqu’ici, j’avais bonne réputation dans leur service. Je fais partie des vétérans. Les ministres passent, moi je suis un client fidèle et, j’atteins la décennie de protection » p. 14. « Jour après jour, année après année, cette protection crée une bulle, nous isole, nous fragilise psychologiquement. C’est inévitable. Être protégé, c’est être sous tutelle » p. 185.
On ne cherchera pas dans ce livre une défense des religions, on l’aura compris, on n’est pas impunément disciple de Voltaire. Je suis loin de partager bien des affirmations de Richard Malka… et de Voltaire. Cependant, on ne peut rester insensible et inactif, d’attitudes et de paroles, devant les violences que des religions engendrent, quelles qu’en soient les formes. Les caricatures permettent de voir ce que les croyants ne veulent pas être, ne doivent pas être, mais à quoi ils peuvent laisser place s’ils ne sont pas vigilants.
Pascal Wintzer, OFC