Le cas Richard Jewell de Clint Eastwood

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 19 février 2020 sur le film : « Le cas Richard Jewell » de Clint Eastwood.

richardjewell« Inspirée de faits réels », l’histoire de Richard Jewell est simple comme bonjour. Elle est d’ailleurs connue de tous et, en un sens, n’a aucun intérêt. Lors des Jeux olympiques d’Atlanta en 1996, un agent de sécurité à l’allure très médiocre mais à la vigilance un peu maniaque repéra un sac à dos qui contenait des bombes. L’attentat, qui aurait pu provoquer des centaines de victimes, ne fit ainsi que deux morts. Mais la presse et le FBI soupçonnèrent rapidement Jewell d’avoir lui-même posé la bombe pour se donner un rôle. Sa vie en fut gâchée, même s’il n’y eut jamais d’inculpation et si le vrai coupable fut arrêté peu après. Nul suspense, donc, nulle révélation, nul destin exceptionnel. Seulement un homme très ordinaire en butte à la machinerie administrative et médiatique.

Clint Eastwood poursuit sa réflexion sur l’héroïsme du quotidien (1) et sur la façon dont il est méconnu ou contesté par la société actuelle. Comme dans Sully, le héros va être mis en accusation et sa vie livrée à toutes les médisances pour rassurer un public qui ne peut concevoir que la mort menace à tout instant et que les procédures de sécurité les plus sophistiquées ne remplaceront jamais la prise de risque et le dévouement d’un individu jusque-là indétectable par les réseaux sociaux.

Mais contrairement aux films précédents, nous n’avons pas ici de reconstitution à gros budget. Eastwood a choisi la simplicité, avec un cadre presque intimiste. Pas de scènes spectaculaires, pas de décors insolites. Juste la sobriété d’un jeu de miroirs d’autant plus profond qu’il est plus simple et la perfection d’une mise en scène tellement organique qu’elle parvient à se faire oublier.

D’une part, le choc entre l’individu et les pouvoirs publics est redoublé par le fait que les garants de la loi et de l’ordre se mettent à détruire celui qui a évité la violence et le chaos. Plus encore, en l’espèce, l’accusé est tellement respectueux de ceux qui l’accusent et de l’idéal qu’ils représentent qu’il ne peut s’empêcher de leur témoigner de la déférence lors des procédures les plus arbitraires ou de se mettre lui-même en péril pour les aider. La dernière confrontation, où il réduit à néant leurs prétentions en arrivant à s’affirmer contre le système, représente à cet égard un aboutissement qui a la violence d’un accouchement.

D’autre part, en effet, ce qui intéresse le réalisateur n’est pas tant la critique des institutions (il ne met en doute ni leur légitimité ni leurs défaillances…) que la beauté pure d’une vie apparemment quelconque. Richard Jewell, mâle blanc célibataire obèse et frustré, aux capacités limitées, couvé par sa vieille mère et rêvant d’idéaux inaccessibles, se révèle un homme fragile et bon, utile et désintéressé, à la mémoire reconnaissante et au pragmatisme non dénué d’ironie (2). Il nous dévoile la grandeur de l’humanité la plus banale, celle d’un petit Blanc offrant une cible facile aux experts pétris de certitudes, incapable de se défendre tant il est occupé à défendre les autres (y compris contre lui-même !), bouc émissaire idéal de ceux qui cherchent à prouver leur supériorité.

Dès le premier entretien avec l’avocat qui, quelques années plus tard, lui permettra de s’en sortir, la caméra le scrute avec amour, s’élevant et s’abaissant, effectuant de micro-zooms de façon apparemment gratuite et en réalité parfaitement accordée à chacune des émotions et des étapes de la conversation. La mise en scène banale au premier abord se révèle d’une infinie subtilité, de face-à-face en côte-à-côte, d’écoutes en affrontements, d’escaliers en portes vitrées, avec des mouvements aussi discrets qu’incessants. Eastwood touche ici à l’épure, sans rien vouloir démontrer mais en mettant sa joie à contempler, aux accents d’une musique country qui est celle de l’Amérique des simples. Ayant atteint un stade où il n’a plus rien à prouver, le vieux réalisateur livre peut-être son film le plus pudique et le plus attachant. Le cinéma peut montrer les plus grands spectacles (3) et chercher les plus grands succès (4). Mais il n’est jamais autant lui-même que quand il nous entraîne, comme ici, à rendre grâce pour notre prochain.

Denis Dupont-Fauville