René-Guy Cadou, La fraternité au cœur
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) à propos de l’ouvrage de Jean Lavoué, René-Guy Cadou, La fraternité au cœur du mercredi 5 février 2020.
Plus fort qu’un essai, cet ouvrage de Jean Lavoué, lui-même poète, s’apparente à un profond dialogue d’amitié entre l’auteur et le poète1. Jean Lavoué réussit cette chose rare : nous faire entrer dans la relation intense et intime qu’il vit avec le poète. Ce travail s’accomplit dans une parole au ras des poèmes. Mais c’est l’existence même, telle que vécue par Cadou, qui éclaire le poème, et celui-ci en retour illumine la vie : « Poésie la vie entière » est le titre du livre des œuvres complètes de René-Guy Cadou. Jean Lavoué avance une autre formule très juste : « La fraternité au cœur ». Il évoque la mémoire d’un frère mort et explore les sources du poème, « l’incroyable origine où la mort est à jamais compagne de la vie 2 ». La fraternité est au cœur du réseau étonnant de poètes amis qui entourent Réné Guy Cadou : Michel Manoll et le groupe de Rochefort ; Pierre Reverdy ; Max Jacob3, mais aussi des poètes morts : Apollinaire sur lequel Cadou fit un livre. Dans ces compagnonnages la poésie est au cœur. Et dans ces fraternités poétiques, il ne faut évidemment pas oublier Hélène, l’amour sublime, l’extraordinaire couple de deux poètes.
Jean Lavoué explore de manière convaincante la présence du frère aîné de Cadou, mort tout petit. Il y discerne une source essentielle de la poésie de René Guy Cadou, source qui ouvre à la quête de l’autre et qui inscrit la fragilité devant la mort au cœur du poème. C’est aussi l’insistance d’une voix « qui lui demande de ne pas l’abandonner ». Quelle est cette voix demande Jean Lavoué ? Voix d’un homme ? Voix divine ? « La question reste ouverte comme une flamme tremblante qui ne cesse de soulever d’émotion et de tendre fraternité chacun de ses poèmes » (p. 27).
En lisant Jean Lavoué, on a l’impression que chez René Guy Cadou il ne faut pas chercher une facile harmonie entre la poésie et la quête spirituelle ; elles s’éclairent mutuellement : « L’enfance est dépouillement et dans le même temps abondance de biens : “Poésie la vie entière” ». « Magnificence de la nature, de la joie d’être. Il y aura sans arrêt chez Cadou cette ambivalence profonde et ce doute qui nourriront son combat avec Dieu, et celui-ci sans merci, jusqu’à ce qu’il parvienne à concilier dans son chant, mais si douloureusement dans son existence, cette figure de tendresse d’un pauvre supplicié auquel il se sent irrémédiablement lié et cette splendeur de la vie terrestre à laquelle il se sent éperdument voué » (p. 103). En ces quelques lignes, Jean Lavoué dit l’essentiel, l’immense originalité du poète avec lequel il dialogue. Ailleurs, il montre en lisant les textes, en évoquant la vie de Cadou combien il est « un poète profondément et authentiquement christique ». Mais rien ne serait plus faux que d’assimiler purement et simplement Cadou à l’idée d’un poète chrétien. Cependant note Jean Lavoué « le mystère de l’incarnaton de Dieu hante la poésie de René Guy Cadou » (p. 105).
Certes, l’œuvre est parsemée d’appels, d’interrogations, de paroles profondément évangéliques dans leur élan poétique : « O mon Dieu, j’ai tellement faim de vous » ou encore « Je crois en Vous Hôtelier sublime ! Préparateur des idées justes et des plantes » (p. 199) ; « O mon Dieu que la nuit est belle où brille l’anneau de Votre Main ! » (p. 203) ; « J’appareille tout seul vers la Face rayonnante de Dieu » (p. 159). Et il faudrait ici montrer le lien très fort de Cadou avec les poètes, Pierre Reverdy mais surtout Max Jacob avec lequel se poursuit une longue correspondance jusqu’à la mort de Max Jacob en 1943, long dialogue essentiel pour l’évolution de sa poésie et de sa vie intérieure. Mais Cadou résiste aux efforts de Max Jacob pour le convertir. Par rapport à l’Église, Cadou reste un « adorateur du dehors ». Et pourtant, Jean Lavoué montre l’attrait puissant de Cadou pour la vie monastique, avec la présence d’un moine, le Père Agaësse, moine bénédictin de l’abbaye de Solesmes, qui reconnaît une dette au poète.
Jean Lavoué a l’immense mérite de montrer l’originalité de la poésie de Cadou, de son aventure poétique. Il souligne tout au long de son livre l’immense actualité de ce poète et de sa quête : « Il est pour moi un témoin privilégié de ce qu’être habité par le mystère de l’Autre signifie et signifiera de plus en plus en ces temps de croyances vacillantes. » Ou encore : « Cadou est une sorte de croyant en cette terre, prenant au sérieux l’amour qu’il éprouve pour ce mystère qui l’étreint. » Il faut en somme évoquer une perception du divin comme source de l’émerveillement d’être au monde, et une redécouverte du Poème pour revitaliser la foi. Aucun doute pour Jean Lavoué. Cadou ressemble aux hommes d’aujourd’hui dont la foi ne parvient plus à s’exprimer sur le plan religieux : « René Guy Cadou est une belle figure qui anticipe un certain exode du christianisme religeux pour mieux redonner sa sève dans l’intensité d’une intériorité vécue et d’une donation dans le choix du monde…. Ce n’est pas pour rien qu’il reste tant aimé du monde laïque : il a donné son nom à tellement d’écoles primaires ou de médiathèques dans le grand ouest, alors qu’il ne cesse de parler du Christ dans ses poèmes (p. 140).
Quand on lit Jean Lavoué, on découvre en René Guy Cadou un poète dont le poème est en avance dans l’expression d’une forme de quête spirituelle, contemporaine « où davantage que des certitudes descendues d’en-haut, l’incognito de Dieu se révèle avant tout dans le secret des consciences, indépendamment de toute appartenance culturelle ou collective à un univers de foi » (p. 151).
Jean Lavoué a invité un ami, un grand lecteur de René Guy Cadou, Gilles Baudry, poète et aussi moine à l’abbaye de Landévennec à tenter de dire l’originalité de René Guy Cadou : « Sur la trame du quotidien, il a su filer la poésie du monde. Par quelle alchimie avec le matériau des jours sans gloire, les mots arrachés à l’inessentiel ont-ils pu accéder à la parole première et nous rendre familier le mystère ? La poésie, loin des systèmes, tropisme d’intériorité est le langage privilégié pour rendre le monde translucide au mystère, en effet ».
1 Tous les renvois de pages sont exclusivement au livre de Jean Lavoué
2 Car Cadou meurt à 31 ans !
3 Qui écrit à René Guy Cadou du camp de Drancy où il meurt peu après : « Le coeur c’est Dieu. Ceci n’est pas un mot littéraire mauvais, c’est une vérité. Dieu n’est pas à l’extérieur mais à l’intérieur de nous. »
4 Jean Lavoué m’informe de la parution en 2020 d’un numéro spécial des Cahiers de l’École de Rochefort consacré à René Guy Cadou. De plus, le volume des oeuvres complètes de René Guy Cadou est toujours disponible, Poésie la vie entière Seghers 1983.