Pierre Gibert « Quand les peintres pratiquaient les exercices spirituels »

Fiche de l’Observatoire Foi et culture du mercredi 4 septembre 2019 sur le livre Pierre Gibert :  » Quand les peintres pratiquaient les exercices spirituels, de Lotto à Vermeer ».

Quand-les-peintres-pratiquaient-les-Exercices-spirituelsVoici un bel ouvrage. Les éditeurs ont soigné la présentation (beaucoup de représentations de peintures, un texte aéré !) Ce livre établit une jonction entre spiritualité et culture. L’auteur, jésuite, bien connu pour ses livres sur la Bible, a l’art de nous donner envie de tourner les pages et de contempler telle ou telle représentation. C’est un livre qui peut évidemment soutenir la prière quotidienne.

C’est dans le cadre des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola qu’il faut situer le propos de l’ouvrage : « Qui s’engage dans l’aventure des Exercices spirituels ne peut passer à côté d’un certain nombre de termes et d’expressions du fait de leur insistance. Appel aux yeux, convocation du regard à fin d’observation ou de contemplation, autant d’expressions et de termes qui fixent l’attitude et le mouvement de celui qui “fait les Exercices”, suit les invitations et toutes les propositions et suggestions qui sollicitent également ses autres sens : l’entendre, le toucher… aussi mentalement que ce soit » (p. 10).

Des peintres du XVIe et XVIIe siècle — et pas des moindres — ont non seulement pratiqué les Exercices spirituels mais s’en sont emparés pour renouveler leur propre art. Mais comment les artistes sont-ils passés d’une image mentale, spirituelle, à son expression sur la toile ? Qu’ont-ils gagné de ce nouvel espace de l’imaginaire que leur offrait saint Ignace ?

  • Pierre Gibert nous fait tout d’abord découvrir celui qui fut l’un des plus grands peintres vénitiens de sa génération Lorenzo Lotto (1480-1556). Le cas de Lotto mérite attention. Une lettre d’Ignace datée du 24 février 1554 rapporte que le peintre, alors âgé de 70 ans, se portait candidat pour entrer dans la Compagnie. Cette demande n’eut pas de suite mais Lotto a manifesté une influence ignatienne, à travers l’une ou l’autre de ses œuvres. Le Christ portant sa croix, aujourd’hui au Louvre en est une belle illustration.

En 1526, Lotto se trouvait à Venise, où il avait rencontré Ignace de Loyola pour la première fois. Il est bien dommage que tous les ouvrages qui traitent de cette oeuvre de Lotto ignorent le lien manifeste avec la
spiritualité ignatienne.

De format plutôt modeste (66 cm de haut sur 60 cm de large), le tableau destiné sans doute à une dévotion privée, correspond bien aux suggestions des préambules des contemplations dans les Exercices spirituels : « Me rappeler l’histoire de ce que j’ai à contempler… Voir le lieu… Voir les personnages les uns après mes autres… Entendre ce que disent les personnages… Ensuite, regarder ce qu’ils font, etc. » Le mode d’emploi de la contemplation exclut les complexités de décors et la multiplicité des personnages figés dans leurs attributs d’identification. La tête du Christ, qui domine le tableau, suscite directement l’émotion du spectateur. Il faut ici prendre en compte l’expérience personnelle, spirituelle de Lotto, celle d’une contemplation selon les Exercices spirituels. Ce visage du Christ offert au regard de l’exercitant est aussi bien image du crucifié qu’image du ressuscité.

Dans L’adoration des bergers de Lorenzo Lotto, l’enfant Jésus tend ses bras à un agneau intrigué mais prudent. La représentation de L’Annonciation, montre un bien sympathique chat qui détale devant l’Ange Gabriel. Les bêtes occupent l’espace avec innocence. Dans les peintures, elles ne sont pas là simplement pour « faire joli ». Comme au théâtre, elles jouent les seconds rôles et nous invitent à être attentifs à l’importance de la scène.

  • Pierre Gibert nous fait admirer aussi le baroque typique du XVIIe siècle. Ainsi, Rubens, pratiquant régulier des Exercices spirituels est un peintre redevable de la Renaissance mais aussi l’un des plus grands représentants du baroque. Son oeuvre La famille Gonzague adorant la Trinité (1604-1605) mérite attention. « Aussi privilégiée soit-elle, cette famille n’en est pas moins dans cette attitude de vénération comme n’importe quel retraitant des Exercices, composant la scène et s’y introduisant selon l’invitation qui lui est faite » (p. 66).

De même avec L’adoration des bergers (1608), le spectateur est invité à entrer dans la scène selon les indications des Exercices : « Voir les personnages. Voir Notre Dame, Joseph, la servante, et l’Enfant Jésus après qu’il est né. Et moi, me faire un petit pauvre et un petit esclave, indigne qui le regarde, les contemple et les sert dans leurs besoins, comme si je me trouvais présent, avec toute la révérence et tout le respect
possible. Et réfléchir ensuite en moi-même, afin de tirer quelque profit » (Ex. spi. n° 112-113).

  • Pierre Gibert présente ensuite Poussin (chapitre IX) qui fut lui aussi en relation avec la Compagnie de Jésus. Plus développée est la cinquième partie du livre consacrée à Vermeer et la spiritualité ignatienne. Avec les peintres dont il est question dans ce livre, Vermeer apparaît comme l’un de ceux dont l’œuvre a été le plus profondément marquée par la proximité avec les Exercices spirituels. Faisant sa carrière à Delft, tout près de la résidence des jésuites, Vermeer jeune peintre d’origine protestante marié à une catholique, avait tout loisir d’entretenir des échanges d’ordre spirituel et théologique avec ses voisins. Un trait spécifique de l’art de Vermeer est de saisir le spectateur dans l’instantané d’une action en cours. Le regard attend ce qui va suivre. La scène est prise sur le vif. La spiritualité ignatienne, qui propose d’entrer dans la scène évangélique est particulièrement manifeste par deux tableaux : Le Christ chez Marthe et Marie et L’allégorie de la foi.

Dans les Exercices spirituels d’Ignace de Loyola, le regard et l’imaginaire sont souvent sollicités. Il est proposé au retraitant de se projeter dans une scène évangélique, comme s’il y participait lui-même, au moyen de ses cinq sens.

Le livre de Pierre Gibert peut faire partie des bagages lorsque l’on fait une retraite.

Monseigneur Hubert Herbreteau