De quoi avons-nous peur ? Sous la direction de Jean Birnbaum

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 13 mars 2019  » De quoi avons-nous peur? » Sous la direction de Jean Birnbaum.

OFC - De quoi avons-nous peurL’ouvrage De quoi avons-nous peur ? reprend les textes de la plupart des conférences prononcées lors du 29ème Forum Philo Le Monde qui s’est tenu au Mans du 10 au 12 novembre 2017. Chaque année, depuis sa fondation en 1989, les sujets choisis pour le forum Philo, doivent répondre à certaines exigences de débat et de réflexion citoyenne et se situer en résonance aussi bien avec l’actualité qu’avec nos préoccupations quotidiennes.

Le thème de l’année 2017 « De quoi avons-nous peur ? », proposé par une étudiante, avait fait immédiatement la quasi-unanimité. La question s’était alors posée de savoir pourquoi existe la peur. Est-ce en raison des catastrophes naturelles, du djihadisme ? D’où les interrogations : ce sentiment de peur est-il vraiment partagé ? L’appréhension des phénomènes à l’origine de la peur varie-t-elle en fonction de notre sensibilité, de nos connaissances, de notre formation, du milieu dans lequel nous vivons ?

Autant de questions qui méritent notre attention. Personnellement, je sais que si l’on me demandait, à brûle-pourpoint quelle image me vient à l’esprit si l’on me parle de « peur », j’évoquerais probablement une scène représentant une gazelle poursuivie par un lion ou, peut-être dans un autre registre « Irène » dans la pièce intitulée La peur de Stephan Zweig.

Ce sentiment de peur que nous connaissons tous peut avoir de multiples objets et une réflexion sur le sujet n’est pas obligatoirement très aisé. C’est la raison pour laquelle des personnalités provenant d’horizons différents (historiens, sociologues, philosophes, écrivains, artistes) avaient été sollicités pour exposer leurs points de vue, ceci dans un esprit de « transmission et de pédagogie ».

Le premier chapitre de l’ouvrage qui reprend les propos de Patrick Boucheron, historien, professeur au Collège de France, dans son exposé inaugural, nous rappelle que la survenue d’événements inattendus ne date pas d’aujourd’hui. Erostrate, par exemple, qui, pour devenir illustre et pour être certain que son nom perdure au-delà des générations, n’avait rien trouvé de mieux que de brûler le temple d’Ephèse ! Patrick Boucheron nous incite ensuite à jeter un regard sur une histoire plus récente. Il rappelle des événements qui ont émaillé l’histoire contemporaine à l’origine de peurs, par exemple celle de Richard Durn qui, le 27 mars 2002 tue à Nanterre 8 élus du Conseil municipal.

Les chapitres qui suivent, tous émaillés de nombreux exemples, montrent différents visages de la peur : peur individuelle ou collective, justifiée ou pas car, comme nous dit Jean-Pierre Dupuy, philosophe : « Nous
n’avons pas toujours peur de ce qui devrait nous terrifier. »

Il n’est pas question, ici, de reprendre la totalité des présentations, mais seulement de mettre l’accent sur certains des points évoqués qui peuvent paraître particulièrement importants.

• La peur ressentie par l’homme se différencie-t-elle de celle de l’animal ? Pour un écrivain, la peur de ne pas parvenir à réaliser un travail, une commande à temps, va engendrer une peur dont il est difficile de se passer, une peur « qui ne me pétrifie pas » écrit Christophe Honoré, écrivain-réalisateur. Pour un artiste de cirque qui risque sa vie lors de chaque représentation, la peur va être différente. Mais lors du spectacle, qui aura le plus peur ? L’artiste préparé qui exécute parfaitement les différentes scènes de façon à éviter les dangers ou le spectateur qui ignore tout des conditions dans lesquelles l’artiste s’est préparé à la représentation du spectacle ? Ces exemples peuvent difficilement être attribués à l’animal chez lequel la peur correspond uniquement à une réaction biologique ; il s’agit dans ce cas d’une recherche de protection,
d’une lutte pour sa survie contre la mort.

• L’évocation des peurs collectives prend tout naturellement, comme on pouvait s’y attendre, une part particulièrement importante. Déjà dans la Bible sont décrits de nombreux événements terrifiants tels que le Déluge, le châtiment de Sodome et de Gomorrhe, l’engloutissement des armées du Pharaon, les événements prémonitoires du Jugement dernier. Tout au long du Moyen-Âge, les peurs se multiplient en raison de phénomènes naturels. Elles sont aussi très fréquemment consécutives à des ignorances concernant les agents responsables de maladies. Puis, plus tard, en 1755, citons le tremblement de terre de Lisbonne accompagné d’un raz de marée dont les dégâts se sont étendus bien au-delà du Portugal. Dans tous les cas, l’ignorance avive la peur (les coloris des cieux dans certains tableaux de Turner ont été évocateurs de certaines peurs jusqu’à ce que l’on découvre que l’atmosphère ferrugineuse était due au volcan Tambora, 1815-1818).

• Mais il n’y a pas que les catastrophes naturelles. Il est fait référence à plusieurs reprises à la peur du pouvoir politique, la peur prise comme principe de despotisme.

• D’autres peurs se développent dans notre monde moderne, dues au développement du numérique. Chacun sait que les « fake news » se diffusent très rapidement par les réseaux sociaux, engendrant des peurs collectives ! La quantité de données fournies rend difficile l’interprétation des événements dans un monde où la place des relations humaines est loin d’être toujours prioritaire. À ce titre, Gérard Bronner, jeune enseignant écrivain, rappelle que la peur a été utile à nos ancêtres car elle a permis d’anticiper le risque et le danger. Actuellement, vu l’importance du développement du numérique, la peur tend à se muer en système idéologique.

Alors, que dire de la peur, comment la conjurer ? Pour évoquer cette question, il semble tout d’abord que la dimension existentielle de ce sentiment ne doit pas être négligée car ce dernier correspond toujours à une
agression externe. Ce qui implique que l’objet de la peur doit être connu. Mais nous n’avons pas toujours conscience de ce qui devrait nous terrifier ; d’un autre côté, les sociétés humaines se fédèrent autour de croyances communes. Il peut en résulter donc une forme de courage qui permettra de conjurer la peur. Mais la meilleure attitude n’est-elle pas de nous projeter « au-delà », comme le dit la philosophe Émilie Tardivel, tout en continuant à combattre les menaces ?

Pour ce Forum Philo, il était normal, bien entendu, d’entendre la voix des philosophes. Pour Marc Crépon, directeur de recherches au CNRS, la peur est souvent légitime mais la première forme de courage qu’il
convient de lui opposer est le courage de la vérité. Pour Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien, ingénieur des mines et philosophe décédé en 2018 : « Nous n’avons pas peur de ce qui devrait nous terrifier et il serait prudent de traiter toutes les menaces et alertes comme si elles étaient vraies. » Il rejoint les propos des historiens. Céline Spector, philosophe, professeur à la Sorbonne à Paris, insiste sur les aspects positifs par le fait que la peur conduit à rechercher les moyens de se conserver.

Le dernier chapitre de l’ouvrage, écrit par Jean Birnbaum, reprend les termes de l’entretien qu’il a eu avec Elisabeth Roudinesco, psychanalyste sur le sujet. Il faut avoir, dit-il, l’intelligence de ses peurs. Il faut certainement en avoir conscience et si possible les dominer. Pour cette psychanalyste, d’autres formes de peur existent, telle que celle de parler en public qui peut être soignée par la psychanalyse, car celle-ci est par nature, une véritable cure par la parole. Et le recours à cette discipline peut certainement avoir beaucoup d’effets positifs. Elle peut, en effet, permettre de mieux situer sa pensée à une époque où, en France et à travers le monde, les événements dont nous avons rapidement connaissance par les médias provoquent aisément des peurs. En conclusion, « la peur, il faut en parler ».

Cécile Lahellec