Un coquillage au creux de l’oreille d’Yves Queré

Fiche de l’Observatoire Foi et culture du mercredi 13 février 2019 (n°6) sur le livre d’Yves Quéré  » Un coquillage au creux de l’oreille ».

QueréLe livre d’Yves Quéré, Un coquillage au creux de l’oreille, est réconfortant et stimulant. L’auteur est un scientifique, physicien des matériaux, ayant travaillé au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) puis à l’école polytechnique, membre de l’Académie des sciences. Il appartient aussi à l’Académie pontificale des sciences.

Faisant preuve d’une rare ouverture d’esprit, pourvu d’une grande culture, Yves Quéré s’intéresse à tout : la recherche, l’enseignement, la transmission de la connaissance, la politique, la musique et l’éthique. Il reconnaît avoir beaucoup reçu d’un père très mélomane et d’une mère excellente violoniste. Il est aussi très marqué par son épouse France Quéré, théologienne protestante, décédée en 1995.

Au milieu de son livre (pages 108-110), Yves Quéré fait l’éloge de la curiosité, qualité de tout chercheur et que l’on devrait développer chez les enfants dès l’école primaire. « Dans “curiosité” nous entendons le latin
cura, le soin ou la prévenance que l’on porte. (…) C’est la sollicitude que nous portons aux choses, aux êtres, voire à nous-mêmes, dont nous sommes curieux. (…) Être curieux, par exemple de la nature, c’est vouloir la connaître mais en prenant soin d’elle comme on prend soin de qui l’on affectionne. »

La curiosité est vraiment le mot qui convient pour décrire l’art de vivre d’Yves Quéré. En 1992, il fonde une association La Main à la pâte avec Georges Charpak (décédé en 2010) et Pierre Léna. Cette association intervient dans les écoles pour offrir aux enfants la possibilité de mener des investigations et des expérimentations scientifiques venant étayer leurs cours théoriques. Une belle association qui encourage aussi l’observation du monde.

Dans Un coquillage au creux de l’oreille, Yves Quéré aborde toutes sortes de sujets depuis le manque de sobriété de la société actuelle jusqu’à l’infinitude de la science, source de réponses mais aussi d’innombrables questions. Il nous livre ses sensations, son ressenti. Il critique au passage un usage trop grand du Powerpoint « participant à une sorte de mondialisation triste de l’art oratoire » (p. 118).

Dans ce livre, Yves Quéré parle de Bach, Chopin, Beethoven et Mozart avec déférence et joie. Pour lui, il y a de la découverte dans toute création et de la création dans toute découverte. On peut aussi bien admirer
Becquerel découvrant la radioactivité et Mozart composant Don Giovanni. Dans un très bel hommage, il consacre quatre pages à Andreï Sakharov, scientifique et grand défenseur de la paix, de la liberté et des droits de l’homme (p. 141-145). Il aborde aussi des questions graves comme le bien et le mal (p. 139), l’obscurantisme et le terrorisme (p. 148).

Un coquillage au creux de l’oreille propose au lecteur une promenade vagabonde. La toute première phrase du livre donne le ton de l’ensemble de l’ouvrage : « Elles sont profuses nos vies. Profuses en joies et en détresses, en conquêtes et en retraites, en échecs et en accomplissements, façonnées par nos idées, nos actions, nos projets, nos faits et nos méfaits, nos envols, nos chutes aussi, nos trahisons parfois » (p. 13).

Pour évoquer ces vies profuses, les métaphores sont nombreuses : le chemin, le fleuve, un roman. Yves Quéré a choisi celle du coquillage au creux de l’oreille : « Alors, plutôt que de transcrire le linéament de nos
existences en de méthodiques mémoires, nous l’écouterions un coquillage au creux de l’oreille, avec ses mélodies, ses silences, ses chants et ses contre-chants, sa richesse harmonique, ses dissonances et ses
consonances, ses points d’orgue, ses variations… » (p. 14).

Yves Quéré, âgé de 87 ans, nous offre une superbe autobiographie. Il nous fait part de son expérience de chercheur et de pédagogue. Tout au long de son livre, il souligne l’importance de la science. Il invite les éducateurs (parents et enseignants) à « tout faire pour que les enfants ouvrent leurs yeux et leur intelligence sur le monde, qu’ils fixent en eux un savoir bien défini, qu’ils acquièrent une imagination libre en même temps qu’une pensée aussi rigoureuse que possible, qu’ils s’approprient les règles du raisonnement et que celui-ci s’exprime, chez eux, par un langage de logique, de clarté et de probité » (p. 115).

Dans une partie du livre intitulée Le salut par l’émotion, Yves Quéré déplore qu’une place limitée soit dévolue, dans nos écoles, à la confrontation avec le beau. À côté des œuvres d’art, une place privilégiée doit être donnée à la beauté de la nature. Que serait la beauté de la nature en dehors des émotions qu’elle suscite, en dehors des lois physiques qu’on y découvre, des symétries qui la sous-tendent et des formes que nous déclarons belles ? La science est comme un grand récit sur la nature. « Le scientifique ici, comme l’artiste, visant bien au-delà d’une description naïve de ce qu’il voit, réinvente littéralement la texture du monde » (p. 175).

Yves Quéré nous fait part de ses premiers chocs musicaux au sortir de l’enfance, en particulier, « c’est l’ondulation beethovénienne qui, épousant dans l’instant la flexibilité d’une pensée alors en frêle gestation,
s’installe en premier dans ma conscience et dans mon espace de rêverie… » (p. 177). Un coquillage au creux de l’oreille rejoint sans aucun doute nos propres expériences de vie. À ce titre, c’est un livre qui peut devenir un bon compagnon de route. Il nous apprend à écouter nos ressentis, « les chants variés de cette symphonie qui, pour tout un chacun, se révèle la métaphore de sa propre vie » (4e de couverture). Il sera utile aussi aux éducateurs qui souhaitent valoriser l’importance de la science à partir de l’observation et de l’expérimentation. Apprendre en faisant, telle est la façon idéale pour l’enfant, à l’école, d’entrer en science. Cela vaut sans doute aussi pour les adultes.

 Hubert Herbreteau