Arto Paasilinna, un talentueux conteur

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 16 janvier 2019 sur l’écrivain Arto Paasilinna, « un talentueux conteur ».

Le lundi 15 octobre 2018, l’écrivain finlandais Arto Paasilinna est décédé près d’Helsinki, à 76 ans. Sa mort est presque passée inaperçue dans les médias alors qu’il s’agit de l’un des plus talentueux écrivains de notre époque. Lorsque l’on veut passer un bon moment de lecture, on peut choisir au hasard l’un des 35 romans de cet auteur prolixe. Beaucoup ont été édités en livre de poche (Folio Gallimard). Qui est Arto Paasilinna ? Cet auteur, rendu célèbre dans le monde entier avec son roman Le lièvre de Vatanen, est né dans un camion, en plein exode face aux forces soviétiques, durant la guerre soviéticofinlandaise (1941-1944). Sa famille, fuyant les combats, est chassée vers la Norvège, puis la Suède et la Laponie finlandaise.

Dès l’âge de treize ans, il exerce divers métiers, dont ceux de bûcheron et d’ouvrier agricole, pratiquant les métiers du bois et de la terre nécessaires pour reconstruire la Laponie dévastée par la Seconde Guerre mondiale. Pas étonnant si plusieurs de ses romans évoquent le métier de bûcherons, par exemple Prisonniers du paradis ou Le cantique de l’Apocalypse heureuse. À vingt ans, il décide de reprendre ses études afin de devenir journaliste et va à l’école Supérieure d’éducation populaire de Laponie (1962-1963). Il entre ensuite, comme journaliste-stagiaire, dans un quotidien régional.

Au début des années 70, il se met à écrire des romans dont les titres à eux seuls sont des invitations à la rêverie : Prisonniers du paradis ; La Douce Empoisonneuse ; Le Potager des malfaiteurs ayant échappé à la pendaison ; Un éléphant, ça danse énormément… L’imagination ne peut que s’envoler à la suite de personnages ballotés entre farce et tragédie, humour désabusé et joyeux désespoir.

Les récits tragi-comiques d’Arto Paasilinna sur la vie dans le Grand Nord racontent d’improbables aventures vécues par des personnages attachants et drôles. Sous des scènes décalées, les thèmes du suicide, de la vieillesse, du désespoir ou du morne quotidien constituent un réjouissant tableau de la condition humaine.

Arto Paasilinna fait même parfois dans la dérision sur son propre pays : « En tant qu’écrivain, je veux exagérer les choses et il est plus facile de fouetter son propre peuple que d’aller fouetter chez les autres (…). Les humains en général sont un peu fous, d’une manière touchante, et les Finlandais plus encore, peut-être, que les autres », confiait-il dans un entretien à l’AFP en 2005. Sans chercher à délivrer de quelconques messages, Arto Paasilinna, ami du faible plutôt que du fort, prend volontiers des réalités terribles comme toile de fond de ses romans avec une écriture savoureuse et travaillée, débordant de détails. Avec un talent fou, ce moraliste non moralisateur explore les profondeurs de la nature : nature humaine, complexe, dérisoire et burlesque, mais aussi les grands espaces exaltants qui rendent les personnages tout petits… ou soudain, immenses.

Trois livres ont retenu mon attention :

• Le cantique de l’apocalypse heureuse (publié en 1992). Un petit groupe de finlandais sur les volontés d’un de leurs défunts va construire une église éloignée de tout dans la forêt. Un petit village se forme donc autour de l’édifice, défiant les institutions du pays et son mode de vie, luttant malgré le climat d’apocalypse qui touche le reste du monde. Ce sujet traité avec un humour grinçant, absurde, au-delà de l’histoire réinventée, soulève le problème de l’économie mondiale et des politiques européennes. Cet ouvrage même s’il a un côté délirant, présente de nombreux thèmes de réflexion, et offre un récit très agréable. La nature (les forêts où l’on chasse l’élan, les lacs où le poisson abonde) est elle-même, un personnage à part entière dans ce roman. De ce fait, celui-ci peut être qualifié de roman d’humour écologique.

• Prisonniers du paradis (publié en 1974) a lui aussi un aspect écologique. Comme la plupart des récits de Paasilinna, ce roman suit un protagoniste qui, d’une vie urbaine et relativement rangée, passe à une vie plus sauvage et proche de la nature. Un avion fait un amerrissage forcé à proximité d’une île du Pacifique avec à son bord vingt-six femmes et vingt-huit hommes qui échoueront sur la plage. Au début, quelques frictions éclatent parmi ces « Robinson Crusoé » dues à leurs diverses nationalités : des finlandais, des suédois, un anglais. Rapidement, un comité directeur de responsables instaure des règles pour que chacun puisse vivre harmonieusement. Au fil des semaines et des mois, la vie sur l’île devient agréable au point que quelques-uns ne désireront plus être sauvés.
C’est avec son humour coutumier que Arto Paasilinna raconte les mésaventures et la vie menée par les naufragés sans omettre son habituelle critique de la société. Avec un humour un peu « pince sans rire », deux thèmes sont abordés dans ce roman : la fuite et la nature (surtout la forêt, omniprésente et rassurante pour les Finlandais). D’une situation plutôt dramatique (un crash d’avion et des survivants qui se retrouvent sur une île déserte), il en fait une sorte de fable écologique et empreinte de quelques épisodes bien désopilants ! Comme toujours chez ce drolatique écrivain finlandais, tout se déroule pour le mieux et ce qui commence comme un film catastrophe se termine en un roman écologique et cocasse.

• Dans Le lièvre de Vatanen, Vatanen est un journaliste finlandais qui rentre de reportage avec un collègue.Quand soudain, leur voiture percute un petit animal. Il s’agit d’un lièvre. Vatanen descend de la voiture, se saisit du lièvre et lui met une attelle de fortune. Sa vie ne sera plus jamais la même. Ce roman se caractérise par un sens de l’humour et une aisance de la narration rares. Il est rempli d’une bonne humeur et d’une jovialité inhabituelle dans la littérature contemporaine, d’un humour doux-amer et burlesque. Il raconte comment un événement apparemment anodin change le cours de la vie d’un homme.

Trois livres à déguster le soir avant de s’endormir ou pendant une période de vacances. Bonne lecture !

Hubert Herbreteau