La symphonie du vivant de Joël de Rosnay

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) n°34 du mercredi 24 octobre 2018 sur l’ouvrage  » La symphonie du vivant » de Joël de Rosnay.

Joel de RosnayEntendre parler de « symphonie » évoque une idée de perfection, d’harmonie ; on parle de symphonie de couleurs, des saveurs ; les passionnés de musique se retrouveront immédiatement à un concert, écoutant religieusement une symphonie de Beethoven par exemple. Mais, la « symphonie du vivant » … de quoi s’agit-il ? Serions-nous appelés à créer la symphonie de notre propre corps, à vivre en symphonie avec le monde ? Cela est-il possible ? Comment faut-il le comprendre ?

Joël de Rosnay, scientifique de haut niveau et auteur de nombreux ouvrages dont Je cherche à comprendre… les secrets de la nature (cf fiche n° 18 du 3 mai 2017) nous entraîne sur un chemin passionnant, partant de l’ADN de nos cellules jusqu’au management des structures mondiales dans l’évolution desquelles chacun d’entre nous peut se trouver impliqué. Il nous montre, à l’aide d’exemples très simples comment chacun d’entre nous peut devenir le chef d’orchestre de son propre corps, mais aussi prendre sa part, à sa façon, dans l’évolution du monde.

L’histoire commence en 1962 : deux jeunes chercheurs, Watson et Crick (respectivement 35 et 26 ans) reçoivent le prix Nobel pour une découverte publiée dans un court article de « Nature » et resté quelque temps inaperçue…. Il s’agissait pourtant d’un événement de portée considérable mais dont il était impossible alors de prévoir tous les développements qui se sont succédé depuis cette date ; ils n’ont pourtant pas fini de nous étonner, de nous émerveiller… : il s’agit de la mise en évidence de la structure en double hélice de l’ADN ; on va pouvoir « programmer » l’ADN ; on va être capable, dit l’auteur, de « décrypter l’ADN du vivant », sa structure en double hélice et aussi de mieux comprendre le rôle essentiel des protéines qui sont les exécutants de l’ADN pour la vie.

Il s’agissait là des débuts de la génétique mais les recherches n’ont cessé d’évoluer, aboutissant, en 2003 à la cartographie du génome humain… La plupart d’entre nous et même beaucoup de biologistes pensions alors que ce que nous étions, nos comportements, nos aptitudes… etc, étaient dépendants de notre patrimoine génétique ; tout au plus admettait-on que des mutations apparaissant sur certains gènes pouvaient apporter des modifications à ce patrimoine. Et pourtant… il était déjà possible d’observer des faits venant en contradiction avec ces « certitudes » :

– Ainsi, des jumeaux homozygotes peuvent se révéler quelque peu différents en fonction de leur environnement, leur mode de vie, leurs habitudes alimentaires.
– On trouve aussi des exemples dans le monde animal et même dans le monde végétal : ainsi, chez les abeilles, les butineuses peuvent se transformer en nourrices, et vice versa, en fonction des besoins de la ruche, la méthylation permettant d’activer ou d’inhiber l’expression des gènes.
– Les fourmis peuvent aussi modifier leur comportement de façon à apporter à la collectivité un maximum de rentabilité : ainsi, elles choisissent toujours le chemin le plus court pour aller d’un point à un autre, l’énergie ainsi économisée étant réinvestie dans d’autres tâches, le nettoyage par exemple.
– L’intelligence des plantes expliquée dans l’ouvrage récent de Peter Wohlleben ouvre aussi de nouveaux horizons sur les phénomènes adaptatifs.

Or, tous ces phénomènes sont dus à l’épigénétique, c’est-à-dire un code au-dessus du code qui va entraîner des modifications de l’expression des gènes, ceci sans altérer le code génétique ; à l’inverse de ce décrit le darwinisme, ces modifications peuvent se produire dans un temps très court… grâce à l’épigénétique. En quoi consiste donc cette symphonie du vivant ? Pour bien nous faire comprendre ce dont il s’agit, Joël de Rosnay nous parle de la différence entre le texte d’une partition et son interprétation ou encore entre l’écriture d’un livre de recettes et l’usage que l’on en fait… De la même façon que le talent d’un chef d’orchestre peut transformer l’interprétation d’une œuvre musicale, nous pouvons, nous aussi, devenir les chefs d’orchestre de notre propre corps, chaque organe jouant sa partie au mieux pour que l’ensemble constitue une symphonie.

Les observations de relations entre épigénétique et cancer sont particulièrement intéressantes ; par exemple, méthylation de l’ADN et possibilité de désactivation de gènes suppresseurs de tumeurs. On peut appliquer les connaissances acquises en matière de connaissance des mécanismes moléculaires de l’épigénétique pour nous maintenir en bonne santé, voire ralentir les phénomènes de vieillissement. Nous savons tous, intuitivement, que notre alimentation, nos activités diverses (sport, musique, lecture… ) ont une influence directe sur notre comportement.

Joël de Rosnay a le grand mérite de nous expliquer avec des mots simples les bases scientifiques qui régissent les vivants et nous permettent d’en faire une symphonie – et un chef d’orchestre – ce que nous sommes pour notre corps – peut faire en sorte d’améliorer ou non l’interprétation d’une œuvre.

Cécile Lahellec