Lucetta Scaraffia, La fin de la mère

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 2 mai 2018 sur l’ouvrage Lucetta Scaraffia, La fin de la mère, Salvator, 2018.

fin de la mèreLucetta Scaraffia est un personnage haut en couleur, bien connu du monde romain. Ardente féministe dans les années 70, professeur à l’université de La Sapienza, elle s’est convertie au catholicisme en 1980, et défend depuis avec vigueur les valeurs chrétiennes. Son dernier livre reprend un des axes majeurs de son œuvre prolixe : la place de la femme dans la société. Elle y interroge la progressive banalisation de la gestation pour autrui, qui révèle selon elle que la situation des femmes s’est dégradée et que notre vision de la maternité a changé. Il s’en suit que notre conception de la nature humaine est altérée. En voulant se mettre à la place de Dieu, l’homme qui manipule la vie humaine comme un objet perd le fondement de sa propre humanité.

Les évolutions du langage instaurent déjà ce changement (IVG à la place d’avortement, parentalité à la place de famille, etc.). La disparition des mots « père » et « mère » révèle la volonté d’effacer la différence des sexes. Les manipulations des communicants pour masquer les fondements anthropologiques de ces changements se révèlent dans l’usage des photos de famille des stars homosexuels, étudiées à plusieurs reprises par l’auteur. La culture peut-elle être décorrélée de la vie ?

La filiation sociale a remplacé la filiation naturelle. Le lien de type paternel devient privilégié par rapport au lien de type maternel, engendré par la maternité. La figure maternelle se scinde désormais en trois rôles : la donneuse d’ovules, celle qui porte l’enfant pendant une grossesse, la mère légale. Ces trois rôles dépendent désormais de l’industrie médicale et du droit, ils entrent dans la logique mercantile de notre société de consommation. La science et le droit ont vidé la maternité de son contenu : les mères sont désormais semblables aux pères, une thèse puissante qui traverse tout le livre.

Il y a une différence fondamentale entre les couples homosexuels : les hommes « gays » ne peuvent pas avoir d’enfants, et s’ils en ont le désir, c’est pour réaliser le phantasme de l’engendrement sans femme, déjà présent chez Euripide. Il y a là un paradoxe signalé par l’auteur. Car ceux-là même qui veulent se tenir en dehors du « paradigme naturel » cherchent en même temps à lui trouver un substitut qui lui ressemble. Les femmes lesbiennes, au contraire, peuvent avoir des enfants en ayant recours à la procréation médicalement assistée, et vivent donc une réalité différente qui les rapproche des mères vivant dans un couple hétérosexuel (normal comme on disait autrefois).

Du désir de l’enfant apparaît un nouveau droit encore implicite : le droit à l’enfant. L’enfant n’est plus voulu pour lui, il devient une valeur refuge, et fonde la dimension sociale des couples. La Gestation Pour Autrui (GPA) révèle alors sa nature perverse : elle est réalisée dans le seul intérêt des couples qui désirent un enfant. Le projet parental prime l’intérêt de l’enfant, contrairement à l’adoption où la question de l’enfant est première. On voit la manipulation opérée sur le plan du droit : avant la grossesse de la mère exploitée par la GPA, le désir d’enfant est seul guide, et sa valeur morale est sujette à caution. Lorsque l’enfant est né se pose la question de ses droits, qui doivent être défendus. Pourquoi seraient-ce ceux qui ont commandé et ordonné la GPA qui devraient être chargés de la garde de l’enfant ? « En acceptant la GPA au nom d’un droit qui n’existe pas, le droit à l’enfant, on abandonne l’enfant au désir de toute-puissance des adultes », souligne l’auteur.

Le féminisme des années 60, sujet cher à l’auteur, revendiquait la libération des femmes, du point de vue des contraintes sociales et familiales. Il s’agissait de permettre aux femmes de ne plus être réduites socialement à la maternité, mais de l’accepter librement. Au final, les femmes, au lieu de s’émanciper, ressemblent maintenant aux hommes. Ont-elles perdu le modèle de la féminité ? L’utopie en tout cas a clairement échoué. Ainsi le contrôle des naissances est-il devenu une obligation qui s’impose aux femmes dès l’âge de l’adolescence. Le corps féminin est devenu un simple objet de jouissance, dépourvu de dignité. La fécondité n’est pas maîtrisée, elle est niée. Et le rapport sexuel entre dans le registre de la consommation. Le bonheur espéré a été confisqué par la quête du désir, par nature insatiable : « On est passé du devoir de se reproduire au devoir de jouir dans une situation où les femmes fournissent un corps féminin disponible en permanence à procurer et à recevoir du plaisir sexuel » (p. 46). Au regard de la maternité, les limites de l’horloge biologique des femmes demeure : il y a un âge au-delà duquel elles ne pourront plus avoir d’enfant. Sous couvert d’égalité des sexes, le privilège accordé à la jouissance sexuelle au détriment de la maternité génère une inégalité dont sont victimes les femmes. L’idéologie de l’égalité des sexes butte sur la réalité : ce n’est que devant Dieu que nous sommes tous égaux en tant que fils adoptifs.

L’humanité de la mère qui porte l’enfant au profit d’une GPA est généralement effacée. Les risques médicaux qu’elle encoure sont également nombreux, depuis la stimulation hormonale jusqu’aux accidents post-partum. L’auteur évoque aussi à plusieurs reprises l’inégalité sociale engendrée par la GPA : ce sont généralement des femmes pauvres portent les enfants de couples riches. Peut-on parler de consentementen la matière ? Le consentement est fondé sur la liberté individuelle et l’égalité de droit des parties. Ce n’est clairement pas le cas des « mères porteuses », qui sont poussées par la pauvreté. Elles aliènent leur individualité et perdent leur dignité humaine pour devenir des instruments, des « fabricantes d’enfants ». Sans surprise, le contrat qui s’impose aux « couveuses d’embryon » renverse totalement la revendication féministe en les réduisant à n’être qu’un outil. L’auteur les compare très justement aux prostituées, à propos desquelles on ne saurait évoquer leur libre consentement (un sujet traité magistralement par Geneviève Fraisse). Les esclaves goths se vendaient eux-mêmes aux Romains plutôt que de mourir de faim : est-ce que l’esclavage serait pour autant légitimé ?

L’auteur met aussi en exergue une autre contradiction, rarement évoquée : les liens entre la mère et son enfant pendant la grossesse sont étudiés et font l’objet d’une abondante littérature. Étrangement, ils ne sont jamais évoqués à propos de la GPA, qui élude les sentiments des mères, supposées avoir renoncé par contrat à toute affection humaine. De plus, l’adoption est toujours un traumatisme pour l’enfant : pourquoi en serait-il autrement pour la GPA ? La question de l’anonymat des donneurs est également abordée par l’auteur avec sa cohorte de souffrances : peur des unions incestueuses entre enfants d’un même donneur, recherche des origines, etc. D’une manière générale, lorsqu’il est question de GPA, les droits de l’enfant sont seulement évoqués pour masquer le désir des adoptants, jamais pour lui-même. L’auteur note même que les recherches menées sur les enfants adoptés par des couples homosexuels n’abordent jamais le sujet du donneur maintenu par force dans l’incognito.

Au final, l’ensemble des pratiques devenues banales, de l’avortement à la GPA, font perdre à la femme sa dignité et sa différence. La femme est sommée de ressembler en tout à l’homme, la mère de devenir « un père comme les autres ». Le refus de reconnaître la maternité comme une expérience humaine fondatrice engendre la déshumanisation. Le corps n’est plus qu’un instrument, tout comme l’enfant programmé par GPA est le fruit d’un désir narcissique.

L’auteur élargit le champ de ses réflexions en soulignant que la perte du don gratuit de la maternité découle de l’oubli de la référence à Dieu. L’homme se veut créateur de lui-même, et veut en poursuivant sa chimère de liberté effacer toutes les différences au compte d’une égalité indistincte. Y compris la différence sexuelle.

Vincent Aucante